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Commentaire de Catherine Coste

sur Les problèmes de l'industrialisation du don d'organes


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Catherine Coste Catherine Coste 28 novembre 2007 16:14

Bonjour, Merci pour votre réaction.

Officiellement créée le 5 mai 2005 par décret dans le cadre de la loi de bioéthique du 6 août 2004, l’Agence de la Biomédecine prend le relais de l’Etablissement Français des Greffes. Son rôle, inscrit dans ses statuts et défini par la loi de bioéthique de 2004, est de promouvoir les dons et greffes d’organes. En même temps, elle centralise les actions de communication grand public, donc le discours officiel sur les transplantations, c’est-à-dire l’information faite aux usagers de la santé, cette fameuse information qui doit permettre le consentement (ou le refus) « éclairé » de tout un chacun sur la question du don d’organes. L’Agence de la biomédecine est donc un organisme bicéphale, responsable à la fois de la promotion des transplantations et du discours officiel sur le don et les greffes d’organes. Ceci pose problème, puisque promouvoir n’est pas informer... Entre promotion et information, l’Agence de la biomédecine peut-elle être le garant du consentement éclairé requis par la loi ?

Le discours public visant à informer se situe entre promotion et information, ce qui pose un problème d’éthique, au sens où ce discours ne s’affranchit jamais de la promotion. Ce problème a été exposé aux « Deuxièmes Journées Internationales d’Ethique de l’Université Louis Pasteur à Strasbourg » du 29 au 31 mars 2007, suite à la présentation de Mme Bayoumeu, de l’Agence de la biomédecine : « Mission d’information de l’Agence de la biomédecine ». Lien : http://w3appli.u-strasbg.fr/canalc2/video.asp?idvideo=5998

Par ailleurs, je ne connais que trop bien la pression exercée sur les médecins et chirurgiens opposés au don d’organes (donneurs « morts »), au sein même du corps médical. Il est intéressant de noter que Claire Boileau, qui a fait à ce jour l’étude la plus documentée sur l’éthique et le don d’organes (voir son livre : « Dans le dédale du don d’organes ») ne répond plus aux nombreuses sollicitations et invitations à s’exprimer sur la question. Son intérêt pour la question se sera sans doute tari.

Vous parlez de rechercher la non-opposition du défunt. Cette phrase est doublement paradoxale : Paradoxe 1 : L’Agence de la biomédecine gère à la fois les cartes de donneurs d’organes (envoyées aux usagers de la santé sur simple demande), la liste nationale des patients inscrits en attente de greffe (pour la répartition des greffons) et le registre national des refus, sur lequel tout usager de la santé peut s’inscrire - du moins, devrait pouvoir s’inscrire s’il est contre le don de ses organes à sa mort, cela en théorie (car formulation très cynique : l’usager de la santé qui s’inscrit sur ce registre doit reconnaître s’opposer au progrès scientifique et thérapeutique. Il faut vraiment être un monstre pour s’inscrire sur ce registre, peu de gens l’ont d’ailleurs fait). Or demander sa carte de donneur d’organes ne sert à rien, puisque nous sommes tous réputés donneurs à-priori (consentement présumé). On serait presque tentés de dire que tous les chemins mènent au Don. Voir aussi le DEA d’ Amélie Joffrin (2001) : « LES DIFFICULTES DE L’EMERGENCE D’UN DEBAT DEMOCRATIQUE SUR LA SANTE : LE CAS DU PRELEVEMENT D’ORGANES. ANALYSE JURIDIQUE »

L’information biaisée que reçoit l’usager de la santé ne permet pas le consentement éclairé. La loi de bioéthique de 2004, qui fait cohabiter consentement éclairé et consentement présumé constitue un mariage infernal entre Kant et Sade, selon un universitaire spécialiste de Mauss (théorie du don).

2) Les nombreux articles scientifiques américains et anglais, qui posent la question du constat de décès des donneurs d’organes « décédés » du point de vue de l’éthique, disent bien qu’il n’existe pas de consensus sur la définition de la mort (déterminer avec précision le moment de la mort), du point de vue médical et scientifique. Ce conflit n’est guère rassurant pour l’usager de la santé. Pis : ce conflit lui est caché, puisque la loi en France permet de dire que les donneurs d’organes en état de « mort encéphalique » ou en « arrêt cardio-respiratoire persistant » sont morts. Ceci au mépris de deux constats : a) En ce qui concerne la mort encéphalique : Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences à l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart (06/2007) :

« Depuis peu en France [lois de bioéthique d’août 1996, révisées en 2004, ndlr], il y a une définition de la mort qui repose sur la mort encéphalique, autrement dit : quand il y a un coma tel que les gens ne pourront jamais revenir et qu’ils sont obligés d’avoir des machines pour respirer, pour tout, en fait, puisque le cerveau ne marche plus. Donc la définition de la mort en France repose sur une incompétence du cerveau, disons. J’ai été le premier je pense à m’élever, il y a 15 ans, contre cette définition de la mort puisque c’est extrêmement réducteur et finalement pas du tout réel puisque tout fonctionne sauf une partie du cerveau et là on dit que les gens sont morts. Mais c’est une pétition de principe, si vous voulez, mais c’est maintenant inscrit dans la loi en France, depuis quelques années. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est inscrit dans la loi en France et en même temps, aux USA, en Grande-Bretagne, on se pose toutes ces questions qui sortent dans les articles en disant : ‘mais personne ne peut dire que ces gens-là sont morts !’ Donc c’est un paradoxe, on peut dire, une sorte de retard à l’allumage en France, où maintenant les gens sérieux et honnêtes ne peuvent pas dire que ces gens sont morts, mais il y a la pratique des transplantations, donc peut-être qu’on pourrait quand même les prélever puisque maintenant on ne peut rien faire pour eux. Mais ils ont bien compris qu’en fait personne ne peut dire qu’ils sont morts. En France, c’est inscrit dans la loi. Il faudra encore attendre un cycle, quelques années, pour qu’il y ait une prise de conscience en France »

b) En ce qui concerne les prélèvements « à coeur arrêté » (sur des donneurs en « arrêt cardio-respiratoire persistant ») : D’un côté, sur le plan légal, la mort équivaut à la mort encéphalique. De l’autre, dans le cas des prélèvements « à coeur arrêté », le diagnostic de la mort de la personne « repose sur le fait que son cœur a cessé irréversiblement de battre, et (...) aucun examen complémentaire n’est requis » (Dr. Marc Guerrier, espace éthique de l’AP-HP). La mort encéphalique n’est donc pas requise pour les prélèvements « à coeur arrêté ». Le patient « en arrêt cardiaque et respiratoire persistant » devrait donc être déclaré mort lors du prélèvement de ses organes, et non avant, alors que la mort du cerveau n’est pas requise ni vérifiée. La mort neuronale n’équivaut pas à la mort cérébrale. Le diagnostic de mort dans le cas d’un patient candidat aux prélèvements « à cœur arrêté » fait donc l’objet de dissensions au sein de la communauté médicale et scientifique, tant en France qu’à l’échelle internationale.

Au vu des importantes disparités entre les pays, ces disparités reflétant les difficultés à déterminer le moment précis de la mort, il semblerait que les différentes tentatives visant à justifier les prélèvements d’organes sur donneurs « décédés » à l’aide d’une définition des critères de la mort d’un point de vue juridique n’aient pas abouti, dans le cas de la « mort encéphalique » comme dans le cas des patients "décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant.

Concluons avec deux considérations : 1) Les limites de la pratique des prélèvements sur donneur décédé : sur le site de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), j’ai trouvé ce document, intitulé « Les limites de la pratique des prélèvements sur les personnes décédées » (2004). Auteur : Docteur Marie-Dominique Besse. « Le consentement présumé pose problème car doivent se faire connaitre les personnes opposées au don d’organes : il existe le Registre National des Refus (’vous pouvez vous inscrire sur le registre national des refus’ et non ’vous devez vous inscrire.....’ ; ’le médecin doit s’efforcer de retrouver l’avis du patient’. Quel médecin ? Notion d’effort... Apparait la notion de famille difficilement définissable : qui comporte la famille ? La loi ne reconnait que les ascendants, les descendants, les collatéraux.... d’où le questionnement des équipes et leur grande difficulté éthique à demander ’aux familles’ une autorisation lors de la perte douloureuse d’un proche (alors qu’il faudrait les aider dans leur travail de deuil). Certaines familles, très affectées répondent immédiatement par la négative, et, culpabilisant, acceptent 24 ou 72 heures après....... D’autres ’veulent bien, mais le défunt ne voulait pas.’... Les limites anthropologiques : ’utiliser le corps humain et le restituer dans son intégrité’. Pour la famille, le corps est assimilé à la personne et souvent refuse le prélèvement du coeur (affectivité ) et des yeux (’je ne voudrais pas retrouver son regard’...). »

2) Dr. Martin Winckler : « Vices de l’euthanasie et vertus de la transplantation : une coïncidence ? » Don et prélèvements d’organes sont présentés par les services de transplantation comme étant louables et susceptibles de sauver des vies, mais ils taisent (ou feignent d’ignorer) que le médecin va choisir de maintenir en vie un patient ’en état de mort cérébrale’ afin de prélever ses organes. Maintenir un patient en vie artificielle pour lui retirer le coeur, les poumons, le foie ou les deux reins est une procédure qui n’est pas dénuée de sens symbolique, même si c’est pour tenter de prolonger la vie d’un autre patient.

Certes, la ’mort cérébrale’ est la condition légale préalable à tout prélèvement, mais elle ne donne pas pour autant, à elle seule, toute liberté au médecin de cesser ou de prolonger la réanimation de tous les patients sous machine... C’est la volonté clairement exprimée du patient qui détermine ces gestes.

On ne comprend pas bien pourquoi le maintien artificiel d’une vie pour les prélèvements d’organe serait justifié parce que le patient l’a autorisé, tandis que la mort accompagnée d’un patient lucidement fatigué de vivre et qui en émet le désir serait, en revanche, inacceptable. La volonté de mourir à une heure choisie par le médecin (en fonction des nécessités du prélèvement) ne serait-elle recevable que pour les donneurs d’organes en mort cérébrale ? La mise à disposition du corps ne serait-elle justifiable que par l’existence d’un ’bien supérieur’ ? On retrouve ici l’aversion séculaire des pays catholiques (même lorsqu’ils se déclarent laïcs) envers toute forme de mort volontaire.

Aux yeux du corps médical, la décision d’un patient sain qui choisit de faire un don d’organes a beaucoup plus de valeur que celle d’un patient gravement atteint qui désire ne pas continuer à vivre.

Aux yeux de l’Eglise catholique, les greffes d’organes sont acceptables ; la mort volontaire ne l’est pas.

Coïncidence ?"

Source : « Le paternalisme médical français interdit tout débat sur l’euthanasie », par Martin Winckler. Article mis en ligne le 13 mars 2007. Lien : http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=875

Apparenter le don d’organes au don du sang est problématique : pour donner notre sang, ou à une oeuvre caritative, ou notre corps à la science, aucun médecin ne va nous maintenir en vie artificielle ou nous réanimer le temps de prélever nos organes...

Je voudrais terminer en citant M. Tesnière, parent confronté au don d’organes (l’affaire d’Amiens, 1992), d’après un message qu’il m’a fait parvenir hier (27/11/2007), et qui a pour sujet le livre du Professeur Cabrol : « De tout coeur » (2006, Odile Jacob) :

"Quand le Professeur Cabrol s’exprime sur la mort, cela donne des frissons. ’On ne peut pas prélever après une mort de maladie ou de vieillesse : les organes sont épuisés. Il est nécessaire de trouver un cœur sain, vigoureux, battant. Un coeur battant après la mort, cela paraît impossible. Sauf dans certaines circonstances où un seul des organes vitaux est détruit : le cerveau. C’est ainsi qu’en 1959, deux médecins réanimateurs français, Pierre Mollaret et Maurice Goulon, avaient signalé qu’à la suite de certains traumatismes crâniens très graves, la rupture d’un vaisseau dans le crâne ou encore un suicide d’une balle dans la tête, le cerveau subit des lésions irréversibles qui vont entraîner la mort sans, paradoxalement, que tous les autres organes cessent immédiatement de fonctionner. Dans ces cas, si l’on applique la respiration artificielle mécanique utilisée en anesthésie, celle-ci supplée aux muscles respiratoires paralysés par la mort du cerveau. Le coeur animé par son propre mécanisme continue de battre et pousse le sang dans les poumons. Grâce à la respiration, le sang s’oxygène et la circulation sanguine assure ainsi le passage d’un sang oxygéné dans tous les organes du corps. Sauf dans le cerveau, car les lésions cérébrales entraînent un œdème, c’est-à-dire une accumulation liquidienne dans le cerveau qui augmente son volume. Comme il est dans une boîte crânienne inextensible, aucune goutte de sang ne peut ni entrer ni sortir. Ainsi le cerveau est détruit et les organes continuent à fonctionner. Seulement pendant quelques heures, car un cerveau détruit ne peut plus diriger les mécanismes les plus intimes de l’organisme, telle la production des matériaux nutritifs, de sorte que les organes, peu à peu privés de ces matériaux indispensables pour leur survie, se détériorent et cessent de fonctionner. Mais ces quelques heures après la mort du cerveau, la mort cérébrale, où les organes fonctionnent encore, sont très précieuses car ce sont les seules où l’on peut prélever des organes pour les greffes sans priver le donneur d’une seconde de vie.’ Le Professeur Cabrol établit la décérébration ou le coma dépassé ou la mort cérébrale comme étant la mort. Il poursuit : ’En France des organes avaient déjà été prélevés pendant cet état de mort cérébrale. En 1958, à l’hôpital Foch, René Kuss avait obtenu l’accord de l’administration et des familles pour prélever les reins de personnes en mort cérébrale. En général il avait attendu l’arrêt du coeur.’ Donc ces prélèvements se sont faits avec le consentement explicite des familles soit à coeur battant soit à coeur non battant. Continuons : ’En 1964, Jean Hamburger put prélever un rein sur une personne décédée de mort cérébrale, mais dont le coeur battait encore. Ces quelques prélèvements faits à coeur battant n’intéressaient cependant jamais le coeur lui-même. Pour régulariser les prélèvements dans ces conditions, François d’Allaines, pionnier de la chirurgie cardiaque en France, pose en 1966 à la plus haute autorité médicale de France, l’Académie de médecine, d’après une proposition de l’ordre des médecins, deux questions. La première : peut-on considérer la mort cérébrale comme la mort légale, c’est-à-dire celle qui permet d’établir un certificat de décès ? En effet grâce aux progrès de la réanimation, il est difficile de se fonder sur les anciens critères de la mort. L’arrêt respiratoire, grâce à la respiration artificielle, n’autorise plus cette conclusion. L’arrêt cardiaque non plus car on sait y remédier par un massage cardiaque. Seule la destruction du cerveau permet à un médecin de certifier la mort. Seconde question : dans cet état de mort cérébrale, peut-on prélever des organes encore fonctionnels en vue d’une greffe ?’ L’Académie de médecine finira par donner son accord. Donc depuis 1966, la mort cérébrale est la mort. L’Académie de médecine rejette les anciens critères : plus question d’arrêt respiratoire, ni d’arrêt cardiaque. Le sénateur Caillavet, dix ans plus tard, fera passer une loi qui dispense les médecins de demander l’accord de la famille. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes ! Pourtant M. Cabrol nous rebat les oreilles avec la pénurie de greffons. Comment est-ce possible ? Les médecins ont tout l’arsenal juridique en leur faveur pour se fournir en organes sur les mourants. On aimerait entendre M. Cabrol, désormais membre de l’Académie de médecine , s’exprimer sur le décret n° 2005-949 du 2 août 2005 article 1, paru au Journal Officiel du 6 août 2005, décret qui autorise le prélèvement d’organes en utilisant le consentement présumé de M. Caillavet sur des donneurs à coeur arrêté. M. Cabrol, dans son livre ’De tout coeur’, nous explique que l’arrêt cardiaque n’est plus un critère de la mort depuis 1966. Que sont devenus les travaux de Pierre Mollaret et Maurice Goulon ? Il me semble que les Français souhaitent une explication sur ces contradictions. Le gouvernement français a des instances pour informer le public. Pourquoi l’Agence de biomédecine ne communique-t-elle pas sur cette question éthique ?"


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