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Commentaire de Catherine Coste

sur Les problèmes de l'industrialisation du don d'organes


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Catherine Coste Catherine Coste 28 novembre 2007 16:51

Je souhaiterais commenter la phrase : « Refus qui semble plus motivé par l’ignorance des survivants que par un réel refus des défunts » : Le Dr. Guy Freys, service de réanimation chirurgicale, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a fait une présentation intitulée « On ne meurt qu’une fois, mais quand ? », à l’occasion des « Deuxièmes Journées Internationales d’Ethique : Donner, recevoir un organe, Droit, dû, devoir », Palais Universitaire, Strasbourg, 29-31/03/2003. Je cite un extrait de cette présentation :

« En 1968 on valide le concept de mort cérébrale (5 août 1968, déclaration de Harvard aux USA et 25 avril 1968 : circulaire Jeanneney) mais on se garde bien d’en préciser les critères, les Américains disant qu’il faut les établir en fonction des connaissances et en France, la fameuse circulaire Jeanneney dit que l’élaboration des critères va être imminente et proposée par l’Académie de Médecine. Il faudra attendre 28 ans pour les voir apparaître. La France a donc eu quelques mois d’avance sur les Américains pour décréter que la mort cérébrale était un état de mort. Monsieur Cabrol, deux jours après la promulgation de cette circulaire, va faire la première greffe à partir d’un donneur considéré en mort cérébrale. Vous voyez donc que pour une fois, nous n’étions pas en retard. L’arrivée de ce concept a apporté avec lui une multitude d’interrogations éthiques et a engendré nombre de controverses et de confusions, beaucoup n’y voyant qu’un prétexte pour légaliser le prélèvement d’organes sur personne ‘décédée à cœur battant’. Ce concept est aussi initialement controversé même chez les professionnels de la santé puisque si vous regardez des études des années 80, vous vous rendrez compte que 40% des professionnels de santé sont très réticents à admettre cette mort cérébrale. Cette méconnaissance reste encore aujourd’hui à mon sens le frein le plus important pour l’acceptation du don et reste le parent pauvre de l’information au grand public, et principalement le principal responsable du refus des familles confrontées au don d’organes. Ce scepticisme est dû à l’aspect non conventionnel de la mort, puisque le cœur bat et la peau est chaude. Penser que ce corps est mort n’est pas aisé. Pour ajouter à la difficulté de compréhension, deux concepts vont voir le jour : celui de la mort encéphalique : ’whole brain death’, adopté aux USA, en France et aujourd’hui par une majorité de pays, qui exige la destruction du cerveau et du tronc cérébral, et la mort du tronc cérébral : ‘brainstem death’, concept adopté au Royaume-Uni et en Inde, qui reconnaît à cette seule destruction (celle du tronc cérébral) le statut de mort. Ce qui est sûr, c’est que ces deux états sont des états de non-retour à la vie - personne n’en est jamais réchappé -, et que la respiration est abolie. Il faut donc une suppléance de la fonction respiratoire. Ces états conduisent toujours à court terme à l’arrêt de toutes les fonctions de l’organisme, quels que soient les moyens de réanimation mis en œuvre. Les différents pays, qu’ils aient adopté la mort encéphalique ou la mort du tronc cérébral, ont rapidement ressenti la nécessité de légiférer sur la validité médico-légale de ces morts, mais aussi sur les critères de définition, la finalité de ces critères étant de constater l’état irréversible du constat de la mort. Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. Ainsi, dans certaines législations, la seule observation clinique suffira à établir le diagnostic de la mort, dans d’autres pays, on exigera un test ou un examen de confirmation pour valider le caractère irréversible de cette mort cérébrale. Je vous ai représenté là l’article du Monde qui est paru juste avant le fameux décret du 22/12/1996 qui régit la définition de la mort encéphalique en France. Cet article souligne la difficulté de la rédaction du décret définissant la mort encéphalique, et témoigne des avis divergents, qui au sein même du corps médical se sont exprimés sur un thème aussi sensible et d’une grande portée symbolique. L’article souligne aussi que ces dispositions s’inscrivent dans un paysage fort contrasté, qui voit l’opinion publique avoir à la fois confiance dans l’efficacité des équipes médicales et redouter ‘la rapacité de ces mêmes équipes’. La conclusion de cet article met l’accent sur le travail pédagogique à accomplir pour faire en sorte que soient mieux perçus les objectifs, les difficultés et les nécessités pratiques du corps médical. On voit bien que dans tous ces textes, dans tous ces besoins de législation, les peurs ont changé, les peurs se sont déplacées : la peur de l’inhumation prématurée a fait place à la peur des morts qui n’en seraient peut-être pas. »

En résumé : la question n’est pas : est-ce que je veux donner ? La question est : à quelle mort est-ce que je crois ? Si pour moi la notion de mort implique la destruction du cerveau, du coeur et des poumons, je dois savoir : 1 qu’un patient en état de mort encéphalique est un patient à coeur battant 2 qu’un patient en arrêt cardio-respiratoire persistant est certes en état de mort neuronale, mais pas en état de mort encéphalique. La mort étant un processus continu et non un point, il n’est pas aisé de pouvoir déterminer avec précision le moment de la mort. Le don point d’interrogation est à remplacer par : la mort point d’interrogation.


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