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Commentaire de ronchonaire

sur Le véritable anticapitalisme, c'est le libéralisme


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ronchonaire 21 janvier 2008 17:28

Quel dommage ! Votre article partait très bien : le titre et le premier paragraphe sont corrects. La suite est malheureusement un peu trop simplifiée pour être crédible.

Vous avez raison sur un point : le libéralisme et son concept phare de concurrence pure et parfaite (CPP) sont des abstractions normatives. Ils nous disent ce qu’il se passerait si l’ensemble des axiomes que vous citez étaient réunis simultanément, ce qui n’est jamais le cas en pratique. Le capitalisme est quant à lui un concept bien réel, fondé sur l’accumulation de capital.

En revanche, il est faux d’affirmer que le libéralisme cherche un optimum social, par opposition au capitalisme qui ne cherche qu’à maximiser des profits. Le libéralisme suppose lui aussi que chaque individu cherche à maximiser son propre bien-être (utilité pour les consommateurs, profit pour les producteurs), sauf que dans ce monde "parfait", ces maximisations individuelles amènent "naturellement" à l’optimum social. Ce n’est pas tout à fait la même chose que ce que vous avez écrit. Le fait que le capitalisme ne conduise pas à cet optimum social est tout simplement dû au fait, encore une fois, que les axiomes de la théorie de la CPP ne sont pas vérifiés en pratique.

Enumérons ces axiomes pour bien cerner leurs limites dans "la vraie vie" :

  1. transparence de l’information sur les marchés : chaque agent (producteur et consommateur) est censé tout connaître. En pratique, les "assymétries d’informations" sont nombreuses : le fait que le prix soit la plupart du temps déterminé de manière unilatérale par le producteur, et non pas par confrontation de l’offre et de la demande comme dans la théorie, en est une belle.
  2. liberté de mouvement des facteurs de production ; rappelons que dans la théorie économique, la main d’oeuvre est considérée comme un facteur de production. Cet axiome suppose donc la parfaite mobilité (c-a-d sans coût) des travailleurs, à la fois dans l’espace et d’un secteur à l’autre. Comme ce n’est pas le cas en pratique, une firme peut très bien "accumuler de la main d’oeuvre", ce qui explique la tendance des industries à rester près des villes.
  3. libre entrée sur le marché (et libre sortie) : là encore, cela suppose que n’importe qui puisse créer sa firme du jour au lendemain, sans coût financier et sans contrainte administrative. Nul besoin de préciser que ce n’est pas le cas en pratique.
  4. homogénéité des produits : selon la définition du terme "produit", on peut envisager que cet axiome puisse être parfois vérifié en pratique. Rappelons toutefois que, d’après la théorie, l’homogénéité des produits implique par exemple que deux 1/2 baguettes vendues séparément ne sont pas équivalentes à une baguette entière.
  5. atomicité des agents : ce dernier axiome est en fait le résultat des précédents ; comme ceux-ci ne sont pas vérifiés en pratique (en particulier les axiomes 2 et 3), ce dernier ne peut pas l’être non plus. 

On voit bien, à partir de ces axiomes et de leur confrontation à la réalité, comment le capitalisme émerge : il résulte simplement de la mise en oeuvre de concepts "parfaits" dans un monde qui ne l’est pas.

D’ailleurs, la théorie économique a quand même beaucoup évolué depuis Adam Smith, en particulier en ce qui concerne les "imperfections de marché" et la réponse à leur apporter. C’est là qu’intervient l’Etat, en corrigeant ces imperfections par une réglementation adéquate (en théorie). L’introduction du concept d’externalité a aussi modifié profondément la conception de l’optimum social, par exemple en économie de l’environnement (la pollution étant un très bon exemple d’externalité négative et d’imperfection de marché).

Enfin, il existe certains marchés pour lesquels la CPP n’est pas la situation optimale. Ces marchés se caractérisent par des coûts d’entrée extrêmement élevés et des rendements d’échelle croissants (plus la firme produit, plus le coût unitaire de production baisse). En théorie économique, cela s’appelle des monopoles naturels ; en pratique, cela s’appelle des industries de réseau (énergie, télécoms, transports aérien et ferroviaire). Je ne sais pas si, comme vous le suggérez, Charles Beigbeder est anti-capitaliste (même si j’en doute fortement), mais ce qui est certain c’est qu’il ne contribue pas à atteindre l’optimum social sur le marché de l’énergie, cet optimum ne pouvant être atteint que par un monopole (public de surcroît).

En conclusion, la clarification que vous tentez d’opérer entre ces deux termes est la bienvenue car trop de monde utilise ces termes sans trop savoir ce qu’ils recouvrent. Surtout, trop de monde les considère comme des synonymes, ce qui n’est pas le cas. Autant je conçoit que l’on puisse être anti-capitaliste, autant se déclarer "anti-libéral" me semble être totalement absurde (et vide de sens). Mais la contradiction n’est pas aussi simple et évidente que vous le suggérez.


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