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Commentaire de Naja

sur Et si on en parlait ?


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Naja Naja 11 septembre 2008 15:54

	 	 	 	

En tant qu’ostrogothe (lol pour le terme), cet article pourrait être une occasion pour moi de témoigner, dans le but d’informer sur la réalité de l’inceste : le vécu, ses conséquences, les réactions autour de moi, les carences sociales (psys incompétents ou dans le déni, justice désinvolte, etc.). Une biographie en 15 tomes donc... que je suis bien la première à trouver « glugiarque », ie dégoûtante et pathétique.
Intériorisant l’accusation, une partie de moi se flagelle pour le caractère exhibitionniste du témoignage qui suit. Une autre le pense utile. L’un dans l’autre, je décide : au diable mes réticences, ce n’est que du virtuel.
D’avance pardon pour la longueur.

..........

Un père pervers, dictateur familial, dominateur, manipulateur, sadique et retors. Un frère devenu pervers à son tour dès l’adolescence, alternant entre des accès de violence haineuse et une prétendue dévotion doucereuse, répugnante et envahissante. Une mère tellement aveugle et égocentrique qu’elle en fut abandonnique.
Climat malsain permanent, violences physiques et psychologiques, viols, agressions sexuelles, harcèlement sexuel. Du père et du frère. Le tout sur de longues années. Objet sexuel de mon frère à partir de mes 10 ans.. jusqu’à... je n’ose même pas l’écrire anonymement. Pour mon père ? J’ai quasiment tout zappé. Trop violent, trop tôt. A 7 ans je vivais déjà dans la terreur de ses visites nocturnes. A 4 ans, j’étais encore saine d’esprit : je ne voulais rien savoir de cet homme redoutable et j’espérais qu’il disparaisse.
Et pendant ce temps, il fallait rassurer ma mère et répondre à sa demande affective perpétuelle en tâchant de la combler de mon supposé bonheur.

J’ai été l’exemple même de la fille sans problème. Equilibrée, douée à l’école, sociable, curieuse et enthousiaste. Voilà l’image que j’ai vendu à grand frais et avec succès pendant des années. Si bien que personne n’a jamais songé à se soucier du sort d’une telle veinarde. Mieux : nombre de mes amies issues de familles décomposées ou recomposées enviaient ma place.

Mon père est un homme tout ce qu’il y a de plus civilisé et respectable en apparence. Intellectuel, bourgeois, socialiste... la fine fleur de l’honnête citoyen. Et même si tout le monde semble le craindre, personne ne soupçonne les monstruosités dont il est capable chez lui.
Mon frère est presque une caricature du « pédophile - ami des enfants ». Au point que personne ne le soupçonne non plus d’être pédocriminel, supposant que si il l’était vraiment, il s’en cacherait mieux que ça.
A chacun sa méthode donc ! Tout ou presque peut marcher pour peu que l’on s’appuie sur l’incrédulité et l’aveuglement des autres.


Voilà pour les trois premiers tomes. Pour le reste, je vais commenter quelques phrases de l’article qui ont retenues mon attention plus que d’autres.
	 	 	 	

« Comme si tout accès au bonheur pouvait dissimuler un piège. »
Exactement. Pour moi, le bonheur est suspect. Soit je suppose qu’il annonce une inévitable trahison. Soit je crains qu’il ne soit factice, c’est à dire qu’il ne soit que l’expression d’une énième forme de déni de ma part, destiné à me cacher encore d’autres horreurs... que je finirais bien par me prendre dans la gueule.
Résultat des courses : je suis plus sereine en évitant le bonheur.
Pire peut-être : j’estime qu’il est dangereux. Ma famille n’a-t-elle pas été aux yeux de tous -à commencer par les miens- cette image d’Epinal du bonheur et de la vie facile ? N’est-ce pas à cause de cela que personne ne s’est jamais préocuppé de mon sort ? N’est-ce pas en m’accrochant à cette illusion que j’ai continué à souffrir si longtemps leurs perversités ?
J’ai un mal fou à simplement « profiter de la vie » comme on dit. Pour ça, il faudrait que je consente à me faire plaisir. Quel risque ! A quoi bon si le plaisir me dégoûte ? Je n’ai pas ou peu le désir du plaisir.

« En effet, l’individu se retrouve un peu comme un exilé qui parviendrait dans un pays sans rien en connaître et qui serait obligé de s’adapter par le seul effet de sa sensibilité aux comportements des autres sans qu’il en comprenne tout à fait le sens. »
Tout à fait. Et là encore, je supposais que c’était cela l’existence, que tout le monde avait ce même rapport absurde au monde et à la vie, et qu’il était vain de s’interroger davantage... à moins de se prendre pour S. Beckett.

« Pour une personne qui a été victime d’inceste dans l’enfance, homme ou femme, une relation amoureuse peut-être une expérience particulièrement complexe, voire douloureuse. »
Complexe, assurément. Mon unique amoureux à ce jour (je suis une jeune adulte) n’a rien compris des quelques mois passés avec moi. Je le comprends.
Douloureuse, certainement. Par l’impossibilité à faire confiance, à se penser digne d’amour, ou même d’intérêt...autre que strictement sexuel. Mais plus encore par le bonheur, les bons moments, les marques d’attention elles-même. En ce sens qu’elles ont révélé cette triste évidence : je n’en avais jamais reçues de simplement gratuites et sincères.

Je vous glurge là ?
« Vous savez, ceux qui savent d’avance et si bien qu’ils vont vous glurger et qui se taisent... »
Et oui...
Je le fais rarement pour épargner les autres, mais pour m’éviter une plus grande exclusion. Ben ouais, personne n’a envie d’entendre ce qui me tracasse quand je tire la tronche. Même si la question m’est parfois posée. Je sais que ma réponse serait trop trash, gore, dégoûtante, gênante, perturbante, effrayante. Je préfère en général m’éviter les réactions défensives qui en découlent.
Mais dieu que c’est compliqué parfois de taire tout ce qui se rapporte à son histoire et son passé ! Pas facile de trouver quoi répondre à des questions aussi banales que : « Tu fais quoi à Noël ? » ou « T’as des frères et/ou soeurs ? » . Délicat de participer à certaines conversations sur la famille, l’amour, la sexualité. Difficile de réagir comme je le souhaiterais à des propos qui me choquent sur le viol ou la pédophilie.
Mon passé n’est pas un secret pour tout mon entourage. Il y a des amis qui savent. Et c’est compliqué avec eux aussi... je passe. Reste qu’au quotidien, c’est usant de masquer tant de réalités et tant d’affects. Et j’en conçois une bonne dose d’amertume.
Je trouve cela injuste de ne pas pouvoir simplement dire ce qu’il en est de ma vie et de mon état. Non que je voudrais pouvoir me confier en détail à tous, être plainte et inspirer la pitié. Je voudrais juste ne pas avoir à me retrouver à mentir en me cachant. Je trouve aussi injuste de voir que je suis ainsi supposée n’avoir aucune raison valable d’aller mal ou d’être fragile, avec ce que cela comporte de jugements accusateurs les jours où je lutte plus que d’autres.
Et je me dis en même temps que c’est con, dans la mesure où si j’avais le choix, je préférerais sans doute me taire en maintes occasions. Je victimiserais en silence alors ? C’est à dire que si ma discrétion pouvait être choisie et non imposée par le tabou, je m’en plaindrais probablement moins. Et si je n’avais pas à m’appliquer à masquer les séquelles relatives à mon histoire, je me sentirais peut-être moins piégée dans cette identité de victime qui prend forme... dans ce que je sais qu’il vaut mieux taire.

..........

Il manquerait encore au moins les tomes « justice » et « psys ». Je passe pour conclure en rappelant les pertinentes questions que Gül a soulevées dans son article (http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=43920) :

Quels sont les moyens de lutte ? Quels sont les actes de prévention ? Quelles sont nos responsabiltiés ? Quelles et comment doit être la répression ?

Et surtout :

Dans quel monde vivons-nous ?

Sachant que mon histoire n’est malheureusement pas du tout exceptionnelle.


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