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Commentaire de Marsupilami

sur L'exploitation des employés par la diaspora arabo-musulmane au Burundi


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Marsupilami (---.---.54.163) 17 octobre 2006 13:55

@ Tristan Valmour

Bien vu, mais malheureusement l’éducation ne suffit pas pour endiguer l’esclavagisme. Voir par exemple le sort que les Italiens (qui ont un système éducatif qui fonctionne à peu près) réservent à leurs esclaves de la tomate (article paru dans Courrier international que je reproduis intégralement vu qu’il n’est accessible que dans l’espace abonnés :

CLANDESTINS DANS LE SUD DE L’ITALIE • Un saisonnier en enfer

De l’aube au crépuscule, des immigrés récoltent les tomates à la merci de contremaîtres sans scrupule. Un reporter de L’Espresso s’est fait passer pour l’un d’eux.

Le patron porte une chemise blanche, un pantalon noir et des chaussures poussiéreuses. Né dans les Pouilles, il parle très peu italien. Pour se faire comprendre, il fait appel à son gorille, un Maghrébin qui assure l’ordre et la sécurité dans les champs. “Demande-lui un peu ce qu’il veut, celui-là. S’il cherche du travail, dis-lui que pour aujourd’hui nous sommes au complet”, lâche-t-il en dialecte avant de s’en aller à bord de son 4x4. Le Maghrébin, lui, parle parfaitement italien. Il n’a pas de galon sur son tee-shirt taché de sueur, mais on sent tout de suite que le chef, ici, c’est lui. “Tu es roumain ?” Un demi-sourire lui confirme qu’il ne s’est pas trompé. “Je peux te prendre, mais demain, promet-il. Tu as une copine ? - Une copine ? - Amène-moi une de tes copines. Pour le patron. Si tu lui en amènes une, il te fait travailler tout de suite. Une fille, n’importe laquelle.” Le petit chef désigne une jeune fille d’une vingtaine d’années qui s’active avec son compagnon autour d’un gros engin servant à la cueillette mécanique des tomates. “Ce sont des Roumains, comme toi. Elle, avec le patron, elle y est allée, précise-t-il. - Mais je suis tout seul.- Alors, pas de travail.”

Une jeune fille pour le patron, pour qu’il puisse la violer. Voilà le prix de la main-d’œuvre au cœur des Pouilles. Un triangle d’esclaves qui recouvre la quasi-totalité de la province [département] de Foggia, de Cerignola à Candela, en passant par San Severo, au nord. Ils sont au moins cinq mille, voire sept mille. Personne ne les a jamais recensés avec précision. Tous sont étrangers. Tous exploités et payés au noir. Des Roumains avec ou sans carte de séjour, des Bulgares, des Polonais, mais aussi des Africains originaires du Nigeria, du Niger, du Mali, du Burkina Faso, d’Ouganda, du Sénégal, du Soudan et d’Erythrée. Certains sont arrivés il y a quelques jours. Ils sont partis de Libye parce qu’ils savent qu’ici, l’été, ils vont trouver du travail. Pour veiller sur leurs affaires, les agriculteurs et propriétaires terriens s’appuient sur un réseau de contremaîtres sans pitié [les caporali, comme on les désigne en italien], pour la plupart des Italiens, des Arabes et des Européens de l’Est.

Ils logent leurs saisonniers dans des taudis sans eau, sans électricité ni hygiène. Ils les font travailler de 6 heures du matin à 10 heures du soir. Et ils les paient - quand ils les paient - 15 à 20 euros par jour. Ceux qui protestent sont réduits au silence à coups de barre de fer. Certains se sont adressés à la préfecture de Foggia. Là, ils ont fait connaissance avec la loi sur l’immigration. Ils ont été arrêtés ou simplement expulsés parce qu’ils n’avaient pas de permis de travail. D’autres se sont enfuis. Les gorilles les ont cherchés toute la nuit. Ils les ont rattrapés. Certains ont été tués.

C’est la saison de l’or rouge, l’époque de la cueillette des tomates. Les fruits cultivés ici finissent en boîtes ou en coulis, et les moins mûrs, en salade. Ils partent du triangle des esclaves pour arriver dans les assiettes de toute l’Italie et d’une bonne partie de l’Europe. Sans compter les tomates en grappes pour les pizzas, ou d’autres légumes comme les aubergines et les poivrons. Dans quelques jours, ce sera le moment des vendanges. Les exploitants feignent de ne rien savoir. Et, une fois la cueillette terminée, ils iront tous faire la queue pour encaisser les subventions de Bruxelles.

Il suffit d’un rien pour entrer sur le marché le plus sale de l’Europe agricole : un nom inventé, qu’on utilisera de temps à autre ; une photocopie de l’arrêté de refus de séjour délivré il y a un an par le centre de détention des immigrés de Lampedusa ; et un vélo, pour fuir le plus loin possible en cas de danger. Le contremaître qui exige une jeune fille en sacrifice contrôle la cueillette des tomates à Stornara. L’un des premiers champs à gauche à la sortie du village, le long de la route qui mène à Stornarella. Pour arriver jusqu’ici, il faut pédaler sur la nationale 16 avant de se faufiler sur une dizaine de kilomètres parmi les oliveraies. A la gare de Foggia, Mahmoud, un Ivoirien de 35 ans, m’avait dit que la récolte avait sans doute déjà commencé. Lui, il vit dans un fossé du côté de Lucera et est sans travail. Les tomates doivent encore mûrir, alors, en attendant, Mahmoud vivote en vendant des renseignements aux derniers arrivants pour quelques pièces.

Ce doit être la journée la plus chaude de l’été. Quarante-deux degrés, annonçaient les journaux à la gare. Dans l’air brûlant, une étable abandonnée se dresse, perdue dans les champs. A l’intérieur, des Africains se reposent sur un vieux canapé, sous un arbre. L’un d’eux parle tamachek. Ce sont des Touaregs. Un salut dans leur langue facilite les présentations. La ségrégation raciale est très stricte ici. Les Roumains dorment avec les Roumains, les Bulgares avec les Bulgares, les Africains avec les Africains. Même chose pour le recrutement. Les contremaîtres ne tolèrent aucune exception. S’il veut voir comment les Noirs sont traités, un Blanc n’a pas d’autre choix que de prendre un faux nom : Donald Woods, sud-africain, comme le célèbre journaliste qui a dénoncé les atrocités de l’apartheid au reste du monde. “Si tu es sud-africain, tu peux rester”, me lance Asserid, 28 ans. Parti de Tahoua, au Niger, en septembre 2005, il a débarqué à Lampedusa en juin 2006. Cela fait cinq jours qu’il est dans les Pouilles. Il est resté enfermé quarante jours au centre de détention de Caltanissetta, en Sicile, avant d’être relâché avec un arrêté de refus de séjour. Asserid a traversé le Sahara à pied et en 4x4 décati jusqu’à Al-Zuwara, la ville libyenne des trafiquants et des bateaux qui lèvent l’ancre pour l’Italie. “En Libye, tous les immigrés savent que les Italiens recrutent des étrangers pour la cueillette des tomates. C’est pour ça que je suis ici. Mais ce n’est qu’une étape. J’espère pouvoir bientôt économiser et aller à Paris”, me confie Asserid. Adama, 40 ans, Touareg nigérien d’Agadez, a fait le trajet inverse. Il a atterri à Paris avec un visa de tourisme. Mais les choses ont mal tourné, et ce travailleur clandestin s’est fait expulser de France. Il est alors descendu dans les Pouilles, répondant à l’appel de l’or rouge. “Ici, c’est le campement touareg le plus au nord de l’Histoire”, dit-il en riant. Pourtant, il n’y a pas quoi de rire. L’eau qu’ils tirent du puits est pleine de purin et de désherbants. Les W-C ? Une colonie de mouches au-dessus d’une fosse. Pour dormir à deux sur des matelas crasseux par terre, ils doivent payer au contremaître 50 euros par personne et par mois. Et encore, le tarif est avantageux. Dans d’autres taudis, on retire jusqu’à 5 euros par nuit sur les salaires. Ils doivent aussi verser 50 centimes, voire 1 euro, par heure travaillée, auxquels viennent s’ajouter les 5 euros par jour pour le transport dans les champs. A deux heures et demie de l’après-midi, le caporale arrive à bord de sa Golf. “C’est vraiment un Africain, celui-là ?” demande-t-il aux autres en désignant le seul Blanc de l’assistance. Personne ne peut répondre avec certitude. “Je paie 3 euros de l’heure. Ça te va ? Si t’es d’accord, monte.”

Trois devant, cinq à l’arrière et un jeune garçon blotti sur la plage arrière. Rien que pour ce trajet de dix minutes, le gorille va encaisser 40 euros. Les autres l’appellent Giovanni. Ils ont déjà travaillé de 6 heures à 12 h 30. La pause de deux heures n’est pas un cadeau de la direction. Aujourd’hui, il fait tellement chaud que les patrons ont dû faire la sieste. “Moi John, et toi ?” se présente aussitôt Giovanni en me regardant dans le rétroviseur. Et d’ajouter : “John est gentil si toi gentil. Mais si toi méchant...” Il ne comprend ni l’anglais ni le français, ce qui a l’avantage de mettre un terme à la conversation. Mais le poignard de plongée qu’il tient bien en vue sur le tableau de bord parle pour lui. “Giovanni, aujourd’hui, on est vendredi et tu ne nous as pas payés depuis trois semaines. On a bientôt fini notre réserve de pâtes. Ça fait quinze jours qu’on ne mange que des pâtes à la tomate. Les jeunes sont épuisés. Ils ont besoin de viande pour travailler”, rappelle Amadou, 29 ans, originaire du Niger, reflétant l’humeur de chacun. Les 3 euros de l’heure qu’on leur avait promis n’étaient qu’un leurre. Mais Giovanni promet encore. Quand il répond, il dit toujours : “Nous les Turcs...” Sa plaque d’immatriculation est pourtant bulgare. Et, avec son accent, il pourrait bien être russe ou ukrainien. “Je te jure sur Dieu, poursuit-il. Aujourd’hui, il y aura de l’argent pour vous payer. Tu dois me croire. Je travaille comme toi à Stornara. Je ne me moque pas de mes collègues.” Giovanni habite un pavillon en brique, sur la droite à mi-chemin de la route qui mène à Stornarella, pas très loin d’une autre étable croulante sans eau, remplies de matelas et d’esclaves.


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