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Commentaire de Catherine Coste

sur Transplantation et clichés : Ils ont la peau dure !


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Catherine Coste Catherine Coste 10 septembre 2009 09:44

Bonjour Nathalie, à nouveau merci pour votre témoignage. Par respect pour votre histoire, celle d’Aurélien et votre deuil, vais essayer de vous faire une réponse la plus sincère possible. Ai parlé de clichés qui ont la peau dure, et vous avez vu que même le pionnier des greffes des tissus composites de la face n’est pas très éloigné de partager ces idées, à savoir : il y a des clichés qui ont la peau dure. En fait, il les partage, ces idées. Est-ce à dire que lui et moi ne sommes pas d’accord avec votre point de vue ?? Vous seule avez vécu la situation, celle d’être confrontée au don d’organes. Rendons hommage à votre expérience. Alors, pourquoi parler de clichés qui ont la peau dure ? Parce que ces clichés se nourrissent de pensées « à première vue ». A première vue, les organes ne se voient pas. Mais le visage, si. Alors prendre tous les organes, cela permettrait de laisser une image intacte du corps, tandis que prendre le visage ou une partie du visage, cela toucherait à l’identité du donneur et empêcherait la famille confrontée au don d’organes de faire son deuil. Lorsque brutalement on se retrouve confronté à la question du don d’organes - nous sommes bien d’accord que cela met une pression inhumaine - on n’a pas le droit à l’erreur. Il y va du deuil de toute une vie. Du deuil à vie. De son deuil à soi à vie. Alors on se saisit à pleines mains de l’idée que le visage, il ne faut pas y toucher. Une bouée à la mer, ou à l’océan. Cette idée, purement théorique avant d’être confrontée à la question du don d’organes et de tissus, devient tout à coup une question de survie. Comme je vous comprends.

De mon côté ... mais comment oserais-je parler de ce que je n’ai pas vécu, et donc, de ce que finalement je ne connais pas ? En fait, je connais ça un petit peu. Ai eu parmi mes collègues un enseignant qui ne s’est jamais remis du fait que les cornées de son fils (un jeune homme) aient été prélevées (et cela remonte à 1991).

Je ne sais pas quel âge avait Aurélien ?

Pour ce père, le prélèvement des cornées a touché à l’identité de son fils. Alors que les autres organes prélevés lui ont posé moins de problème (ce père est à l’origine de « l’Affaire d’Amiens », dont vous avez peut-être entendu parler). Ce que j’essaie de vous dire, Nathalie, c’est que chacun a ses symboles, et qu’ils varient probablement d’une personne à une autre. A force de chercher à aider ce père à faire un deuil impossible (à cause du prélèvement des cornées, ce que, finalement, il n’a pas supporté), je me suis interrogée sur ce qui, moi, me « choquerait » le plus. Et mon intime conviction (qui n’engage que moi) est qu’un prélèvement multi-organes (joli mot pour une réalité à peine imaginable, n’est-ce pas ?) toucherait au moins autant (en fait, je pense, beaucoup plus) à l’image d’un proche donneur d’organes (peut-être ai-je peur du vide ?) qu’un prélèvement des tissus composites de la face. Une chose est sûre : il ne serait pas question pour moi de voir ce proche après le prélèvement d’organes et de tissus. Je lui dirais adieu avant. La « restauration tégumentaire », la restauration du corps me laissent froide. Ce n’est qu’un trompe l’oeil - pour moi - , car vous avez, quant à vous, ressenti les choses différemment. Cette restauration du corps vous a aidée dans votre processus de deuil. Ouf !

Mais contrairement à vous, chère Nathalie, j’ai pu réfléchir à la question (sur des années, en écoutant les témoignages de gens confrontés à la situation, de politiques, de médecins et chirurgiens), sans être brutalement confrontée à la situation. Depuis mars 2005, je joue un rôle de médiation éthique entre les usagers de la santé, les médecins, chirurgiens et politiques sur le thème « éthique et transplantation d’organes ». Est-ce utile ? Oui, car le don d’organes est infiniment plus complexe que ce qu’on veut bien en dire au grand public. N’êtes-vous pas d’accord avec moi là dessus ?

« Mais contrairement à vous (...) » (disais-je plus haut) ?!? En fait, comment puis-je être certaine, s’il m’arrive d’être confrontée à la situation, de ne pas me raccrocher aux mêmes « clichés » (le visage se voit, les organes ne se voient pas) ? Tout ce qui me rassurera alors sera bon à prendre. Je ne peux pas être sûre de ce qui me rassurerait « en situation ».

Vous parlez de « garder d’Aurélien un souvenir intact ». Très modestement, j’aimerais vous dire que nous avons le même objectif (même si le mien n’est que théorique). Il me semble que c’est là la clé de l’affaire. Garder du donneur un souvenir intact. Comment ? Peut-être que la réponse touche à l’intime de chacun. (Intime = vécu, mode relationnel avec ce proche). Pour moi, « garder un souvenir intact », c’est avant tout l’accompagner sur sa fin de vie, et m’assurer qu’il ne souffre pas davantage en décédant du fait du don d’organes, que s’il était décédé sans donner ses organes. C’est pour cela que je suis infiniment reconnaissante au Pr. Devauchelle de ne pas éluder la question de la fin de vie du donneur, à savoir, le thème : douleur et prélèvement d’organes, puisque dans la réalité des faits, le donneur est un patient en toute fin de vie.

Ces images dont vous parlez, ces images qui reviennent tout le temps, prouvent bien que la mort fait partie de la vie, contrairement à ce que tant de gens voudraient croire. Au risque d’être provocante, je vous dirais que ces images qui reviennent tout le temps, c’est la vie. D’où l’importance de « garder un souvenir intact ». M’autorisez-vous à dire que « garder un souvenir intact » d’un proche disparu, c’est la vie ? C’est la vie qui chemine dans le processus de deuil. Donc : ce travail de deuil avance, il chemine, comme la vie. Dans la vie, il faut pouvoir porter ces images du disparu. Si l’image n’est plus intacte, alors le poids risque d’être trop lourd à (sup)porter.

N’ayant pas été confrontée à la situation, je ne peux parler qu’avec mes mots à moi, forcément différents des vôtres, qui sont « passés par là ». Pour autant, mes mots à moi ont aussi un vécu. D’où ma prétention à vous « répondre » ici.

Nathalie, merci à vous.
Catherine Coste


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