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Commentaire de Bernard Dugué

sur L'économie française en panne


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Bernard Dugué Bernard Dugué 21 novembre 2006 11:24

A lire, cet édito de le Boucher dans Le Monde

’économie française s’est arrêtée au troisième trimestre : croissance zéro. Mais comme le deuxième trimestre avait été extraordinaire (le gouvernement s’était précipité cet été pour s’en attribuer le mérite), au total la tendance reste celle d’une expansion d’environ 2 % sur l’année 2006. Ce n’est pas glorieux, loin de là, ce n’est pas non plus catastrophique (1,2 % en 2005). Mais cette médiocrité cache un mal grave et profond.

La France est repassée sous la moyenne européenne. Elle fait, en particulier, moins bien que sa grande soeur germanique pour la première fois depuis 1994. Or, sa relativement féconde démographie devrait lui donner une croissance supérieure. Il y a quelque chose qui cloche...

Ce quelque chose, c’est l’industrie. La France est en train de perdre pied en matière industrielle, régulièrement, insidieusement, sans que personne ne s’en alarme en haut lieu.

L’indice de la production manufacturière française a reculé de 0,8 % au troisième trimestre. Le quatrième trimestre devrait être morose. L’année 2006, plate. Avec du recul, la production industrielle n’a plus progressé depuis la fin 2000. Les biens d’équipement (machines) ont gagné 15 % environ, les biens de consommation ont été atones, les biens intermédiaires (matériaux) ont perdu 5 %. Depuis deux ans, phénomène nouveau : la construction automobile s’effondre (- 15 %).

Comme les Etats-Unis, la France n’est plus capable de produire autant qu’elle consomme, elle importe donc du travail des autres. Le commerce extérieur français est redevenu déficitaire en 2004, et le trou ne cesse de se creuser depuis. Il représentera cette année 1,5 % du PIB, une « ponction » d’autant dans la croissance.

Le commerce mondial se développe vivement, la demande des ménages français est solide et régulière : pourquoi l’offre des industriels reste-t-elle si « inerte », comme le déplore Patrick Artus, économiste en chef d’Ixis ? Les économistes et les experts de l’administration se sont disputés sur les réponses pour savoir si les difficultés n’étaient que passagères et au fond pas très graves. La persistance de l’atonie industrielle devrait aujourd’hui chasser les lunettes roses du nez des optimistes : force est maintenant de constater que le mal est triple.

1. L’industrie souffre d’un recul de sa compétitivité, au moins par rapport à son compétiteur le plus frontal, l’Allemagne. Le problème n’est pas le coût des salaires mais l’impact accumulé des mesures qui rendent pénibles la vie des entreprises : prélèvements trop nombreux, bureaucratie paralysante (notre confrère des Echos, Jean-Marc Vittori, décrit les ministres qui n’ont plus d’argent mais tiennent à faire des réformes forcément de plus en plus insignifiantes) et, il n’est plus possible de l’occulter, les 35 heures. L’histoire retiendra que la RTT aura été le fruit amer d’une alliance objective entre les socialistes et les grands du CAC40, qui y ont trouvé leur compte et qui délocalisent, aux dépens des entreprises de taille moyenne et petite, celles qui emploient et produisent en France.

2. L’industrie souffre de maux « structurels » dont l’inventaire est connu : l’investissement est insuffisant (voir graphique), les entreprises n’arrivent pas à grossir, les dépenses de recherche et développement ne sont pas à la mesure du défi de la mondialisation. Ce dernier problème n’est pas que français, il est européen : l’Europe ne cesse de reculer dans l’« industrie de la connaissance » faute de crédits, faute de vocations, faute, surtout, de n’avoir pas réalisé son décrochage. Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d’étudiants que l’Europe ! Comment croit-on pouvoir maintenir notre niveau de vie dans ces conditions ?

3. L’industrie souffre de difficultés sectorielles. Le recul dans l’automobile est le plus alarmant étant donné son impact sur l’ensemble du tissu national. La sous-traitance des pièces se délocalise, il en sera de même des usines de montage. Seule une montée en gamme de Renault et PSA permettrait d’en reculer l’échéance, mais est-ce possible face aux groupes allemands ?

L’autre lourd dossier est celui de l’aéronautique et des armements. Les entreprises françaises et européennes tardent à se réorganiser. Dassault n’exporte toujours aucun Rafale. Comment Airbus peut-il sortir du trou d’air, retrouver des moyens financiers et technologiques face à un Boeing fort de la détermination du complexe militaro-industriel et de toute la recherche américaine, à reprendre la place de numéro un ? La pharmacie française, dernier exemple, peut-elle survivre à l’incroyable accélération des dépenses de recherche qu’imposent les biotechnos ? En dehors de Sanofi, on s’interroge.

Mais le plus inquiétant de ce noir panorama est que la prise de conscience de l’ampleur de l’effort nécessaire n’est pas faite chez les dirigeants politiques français (malgré les pôles de compétitivité et l’agence de recherche) et, encore moins, parmi les commissaires européens. Que l’industrie recule ? C’est normal, on va vers une économie de services, entend-on.

L’Allemagne est parvenue à refuser cette fatalité. La France, pays d’ingénieurs, n’a pas la City. Elle devrait urgemment comprendre qu’elle aussi doit son rang, au XXIe siècle, à son industrie. Eric Le Boucher


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