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Commentaire de AniKoreh

sur « La Stratégie du Choc » va encore frapper !


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AniKoreh AniKoreh 1er mars 2010 16:12


L’analyse marxiste n’est pas réductible aux errements du communisme...


« (...) Notons au passage que nos critiques prétendent jeter aux orties le mot »communisme« sous prétexte qu’une expérience de communisme d’État, qui a duré soixante-dix ans, a tragiquement échoué. Quelle plaisanterie ! Quand il s’agit de renverser la domination des riches et l’hérédité de la puissance, qui durent depuis des millénaires, on vient nous objecter soixante-dix ans de tâtonnements, de violences et d’impasses ! En vérité, l’idée communiste n’a parcouru qu’une portion infime du temps de sa vérification, de son effectuation.

L’hypothèse communiste

Qu’est-ce que cette hypothèse ? Elle tient en trois axiomes. D’abord, l’idée égalitaire. L’idée pessimiste commune, qui domine à nouveau ces temps-ci, est que la nature humaine est vouée à l’inégalité, qu’il est d’ailleurs dommage qu’il en soit ainsi, mais qu’après avoir versé quelques larmes à ce propos, il est essentiel de s’en convaincre et de l’accepter. A cela, l’idée communiste répond, non pas exactement par la proposition de l’égalité comme programme - réalisons l’égalité foncière immanente à la nature humaine -, mais en déclarant que le principe égalitaire permet de distinguer, dans toute action collective, ce qui est homogène à l’hypothèse communiste, et donc a une réelle valeur, et ce qui la contredit, et donc nous ramène à une vision animale de l’humanité.

Vient ensuite la conviction que l’existence d’un Etat coercitif séparé n’est pas nécessaire. C’est la thèse, commune aux anarchistes et aux communistes, du dépérissement de l’Etat. Il y a eu des sociétés sans Etat, et il est rationnel de postuler qu’il peut y en avoir d’autres. Mais surtout, on peut organiser l’action politique populaire sans qu’elle soit soumise à l’idée du pouvoir, de la représentation dans l’Etat, des élections, etc.
La contrainte libératrice de l’action organisée peut s’exercer de l’extérieur de l’État. Nous en avons de nombreux exemples, y compris récents : la puissance inattendue du mouvement de décembre 1995 a retardé de plusieurs années les mesures antipopulaires concernant les retraites. L’action militante avec les ouvriers sans papiers n’a pas empêché nombre de lois scélérates, mais a permis qu’ils soient largement reconnus comme une composante de notre vie collective et politique.

Dernier axiome : l’organisation du travail n’implique pas sa division, la spécialisation des tâches, et en particulier la différenciation oppressive entre travail intellectuel et travail manuel. On doit viser, et on le peut, une essentielle polymorphie du travail humain. C’est la base matérielle de la disparition des classes et des hiérarchies sociales.
Ces trois principes ne constituent pas un programme, mais des maximes d’orientation, que n’importe qui peut investir comme opérateur pour évaluer ce qu’il dit et fait, personnellement ou collectivement, dans sa relation à l’hypothèse communiste.

Les étapes

L’hypothèse communiste a connu deux grandes étapes, et je propose de dire que nous entrons dans une troisième phase de son existence. L’hypothèse communiste s’installe à vaste échelle entre les révolutions de 1848 et la Commune de Paris (1871). Les thèmes dominants sont ceux du mouvement ouvrier et de l’insurrection. Puis il y a un long intervalle, de près de quarante années (entre 1871 et 1905), qui correspond à l’apogée de l’impérialisme européen et à la mise en coupe réglée de nombreuses régions du globe. La séquence qui va de 1905 à 1976 (Révolution culturelle en Chine) est la deuxième séquence d’effectuation de l’hypothèse communiste.

Son thème dominant est le thème du parti avec son slogan majeur (et indiscutable) : la discipline est la seule arme de ceux qui n’ont rien. De 1976 à aujourd’hui, prend place une deuxième période de stabilisation réactive, période dans laquelle nous sommes encore, et au cours de laquelle on a notamment vu l’effondrement des dictatures socialistes à parti unique créées dans la deuxième séquence.

Ma conviction est qu’inéluctablement une troisième séquence historique de l’hypothèse communiste va s’ouvrir, différente des deux précédentes, mais paradoxalement plus proche de la première que de la seconde. Cette séquence aura en effet en commun avec la séquence qui a prévalu au XIXe siècle d’avoir pour enjeu l’existence même de l’hypothèse communiste, aujourd’hui massivement déniée. On peut définir ce qu’avec d’autres je tente de faire comme des travaux préliminaires pour la réinstallation de l’hypothèse et le déploiement de sa troisième époque.

Nous avons besoin, dans ce tout début de la troisième séquence d’existence de l’hypothèse communiste, d’une morale provisoire pour temps désorienté. Il s’agit de tenir minimalement une figure subjective consistante, sans avoir pour cela l’appui de l’hypothèse communiste qui n’est pas encore réinstallée à grande échelle. Il importe de trouver un point réel sur lequel tenir coûte que coûte, un point »impossible« , ininscriptible dans la loi de la situation. Il faut tenir un point réel de ce type et en organiser les conséquences. (...) »

Alain Badiou 
 
(extraits)

http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article12991

 


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