Graindesable,
Au fond l’espèce humaine témoigne de beaucoup d’intelligence et de faculté d’adaptation.
Cependant, l’éthique, les valeurs humaines, l’ambition d’être en soi-même font cruellement défaut.
La gratuité du geste n’existe pas. En son temps, j’avais tenté de montrer le mécanisme de l’amour.
S’intéresser à l’autre, c’est une manière de s’aimer chez lui ex. évangélique :
Le Samaritain à l’époque virtuelle
Évangile de
Luc X, 29-37
Un docteur légiste
se leva.... « Qui est mon prochain ? »
Jésus lui dit :
« Un homme
descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba
entre les mains de brigands qui le dépouillèrent, le
battirent et s’en allèrent le laissant à demi mort.
Voici un prêtre
qui passait par là, il vit cet homme et prit l’autre côté
de la route.
De même un
lévite qui arrivait près de là, il vit l’homme
et passa. Mais, un Samaritain en voyage vint à passer près
de cet homme, il le vit et fut touché de compassion. S’étant
approché, il versa de l’huile et du vin sur ses plaies et les
banda. Puis il le mit sur sa monture et l’emmena dans une auberge où
il prit soin de lui.
Le lendemain il sortit
deux deniers et les donna à l’aubergiste en lui disant :
« Prends soin de cet homme, et tout ce que tu dépenseras
de plus, je te le rendrai à mon retour. »
A ton
avis, lequel des trois s’est montré le prochain de l’homme
tombé entre les mains des voleurs ? »
Le docteur légiste
répondit : « C’est celui qui a pratiqué la
miséricorde envers lui. »
Jésus répondit :
« Va et fait de même. »
Cela m’intrigue d’autant
plus que cette métaphore est un enjeu majeur, c’est l’un des
principaux gages d’éternité.
Le héros central
est un paria. En Galilée, à l’époque de Jésus,
les Samaritains étaient aussi méprisés qu’un Palestinien aujourd’hui en désaccord avec la politique
d’Israël. En somme tous les Palestiniens.
Les Samaritains avaient
des pratiques barbares aux survivances païennes.
C’étaient des gens
de la nature et de modeste condition.
Paysans, commerçants,
gens pratiques, peu intéressés par le Grand Livre, au
fond incultes dans la lettre et ignorants du message mosaïque.
Contrairement au prêtre
et au lévite qui contournent l’homme blessé à
demi nu, pensez donc, la nudité, l’émergence de la
sexualité, à cette époque, quand on vit dans
l’abstraction de la foi, dans le Livre, dans sa tête, si loin
de son ventre et de ses besoins physiques, ses désirs.
Le réflexe le plus
naturel dans ce cas, c’est la peur, le recul, la fermeture et il
serait mal venu de porter un jugement sur cette évidence.
Revenons à notre
homme providentiel, le Samaritain, je l’imagine un peu rond, avec un
turban rouge sur la tête, pour égayer un peu. Il marche
d’un bon pas, c’est un solide gaillard qui semble déterminé,
peut-être un modeste commerçant qui se rend au marché
pour son petit commerce mensuel.
Les chemins de l’époque
ne sont pas sécurisés, il est donc courageux.
A travers l’expérience
de la roue de médecine, de ses frères les Amérindiens
qui ont pratiqué le courage, ailleurs, beaucoup plus tard, je
sens qu’il est bien présent, vigilant, à l’écoute,
bien centré.
C’est un guerrier
spirituel, il ne le sait pas et c’est sans importance. Dans cet état
d’esprit, il est attentif à tout, au danger, à la
misère, aux autres, à l’autre.
C’est un homme pratique,
il agit. Peut-être qu’il possède, dans les sacs posés
sur le dos de son âne, du vin pour désinfecter les
plaies du malheureux, de l’huile pour masser ce pauvre corps meurtri
étendu sur le chemin.
L’homme qui vit dans la
nature a le geste juste, le bon réflexe, son efficacité
est naturelle et se transmet d’instinct de père en fils.
La gratuité du
geste s’inscrit dans l’empathie. Il sait que cet homme au-dessus
duquel il pratique les premiers soins ce pourrait être lui. Il
est plein de compassion comme une mère qui fait son enfant,
comme elle il sait d’instinct que cet homme le prolonge, comme la
mère il s’aime dans ce geste vital.
Tout ça est
tellement simple, tellement sain que les théologiens eux-mêmes
n’en perçoivent pas l’essentiel en s’égarant dans des
considérations morales qui écornent, voire déforment
le message.
Bon ce n’est pas tout, le Samaritain a un projet, une activité, il remet maintenant le
blessé dans les mains d’un hôtelier en lui donnant des
consignes. Il a materné, il paterne et promet de repasser. Il
poursuit sa route, il assume sa vie.
Quel est le sens du
message ?
Donner du temps à
la personne en difficulté et, pour la personne qui reçoit,
le souvenir attendri, une pensée d’amour ?
Ce Samaritain est
étranger au cadre du savoir biblique, étranger au
caractère apostolique formel et conventionnel.
Intentionnellement, c’est un étranger.
Pas de réelle
gratuité du geste. Entrer en contact avec l’autre c’est voir
chez lui notre miroir. L’autre est un autre nous-même. S’aimer
chez l’autre.
Le Samaritain a donné
de son temps, de son affection, de son aide sans rien recevoir en
retour... le blessé pourra faire de même en pareilles
circonstances.
Au hasard des chemins, si
nous rencontrons un être en difficulté, tentons de nous
reconnaître.
J’ai le souvenir que dans
un train qui revenait d’Italie, j’ai rencontré un prof qui
rentrait d’un séminaire consacré à
l’iconographie. Il me révéla que dans une présentation
médiévale, relative à la parabole du Samaritain,
les illustrations successives présentent la particularité
suivante : le Samaritain apparaît
sous les traits présumés de Jésus, assume les
soins et disparaît. On le voit de dos s’éloignant.
Maintenant, c’est
l’hôtelier qui occupe la scène, curieusement, il a le
visage présumé de Jésus, puis il disparaît
avec le blessé dans sa maison.
Plus tard, sur le seuil
de l’hôtellerie, notre convalescent se présente... devinez
l’empreinte de son visage ? Eh oui bien sûr, c’est comme une chaîne
de solidarité dans sa permanence et sa continuité, il a
le visage de Jésus.
« Aime ton
prochain comme toi-même. »
La pensée
d’éternité s’inscrit dans cette attitude d’esprit et
dans l’élan et le positionnement actif du Samaritain qui ouvre une
voie, une perspective vers un autre lui-même.