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Commentaire de easy

sur Les marchés émergents seront-ils à leur tour victimes de la spéculation ?


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easy easy 10 octobre 2010 14:58


La manière qu’a notre ami Santi de dire les choses me semblant aval, je vais essayer de les dire de manière amont.

Je vais parler de la paresse qui gagne le Monde.

Sans forfanterie ni étalage livresque, depuis la nuit des temps, le travailleur, l’Obélix, celui qui mettait ses mains dans la boue pour en extraire de quoi nourrir et enchanter, réussissait plus ou moins.
Avec plus d’ambition prométhéenne, certains de ces travailleurs visaient à plus de célébrité. Il y avait donc des Bernard Palissy, des Michel Ange et des échecs aussi bien entendu (par exemple Van Gogh, Gauguin, qui n’ont réussi que post mortem) .
Et puis il y avait les pilleurs, les Attila, les Alexandre le Grand, les Napoléon, les Leopold II,


Le public a donc assisté à ces différentes spectacles de vies. Celle du riziculteur plutôt humble avec sa part de stabilité, de sécurité au niveau de la production et sa part de misère. Celle de l’artiste qui ambitionne à plus d’éclat, avec sa part d’échec et de brillant. Celle du conquérant, avec sa part de fascination et sa part de risques aussi.

Puis, un mouvement s’est mis en marche qui disait que finalement, chacun avait sa chance pour gagner sa place au soleil. Chaque individu sa valant, il n’y avait aucune raison que chacun ne prétende pas à la course au soleil.

Pendant la monté de cet esprit anti déterministe (mais encore raciste pendant une paire d’années) , chacun a eu accès à l’information (livres, voyages, commerce). Chacun a pu considérer que malgré les risques et déboires possibles, les ambitions solaires étaient les plus motivantes.
Chacun a entendu dire « Pfff, celui-là, il manque d’ambition »

Ce dénigrement de la vie de laboureur ou de berger remonte vraiment à très loin, n’a jamais cessé de prépondérer et a affecté progressivement tous les recoins de la planète.
Le brillantisme n’a été que très rarement contrecarré de manière idéologique(Communistes, Mormons, Zénistes...). Heureusement, malgré la pression au brillantisme, des gens ont tout de même pratiqué le travail humble, celui de charpentier, de plombier, de cantonnier, de matelassier. Mais en dehors des rares cas précités, ces travailleurs de l’ombre, ces soutiers (selon le regard des brillantistes) vivaient ainsi sans idéologie, sans rhétorique, sans discours (en réalité, un berger Massaï tient tout de même un discret discours auprès de son fils mais si ce dernier va à l’école, il entend le discours du soleil et succombe). Car, à des exceptions très marginales près, l’ambition de l’école, du savoir par le livre et le brillant docteur, n’est pas de former des fromagers ni des savonniers mais des ingénieurs, des fonctionnaires d’Etat, des actuaires, des docteurs et des financiers.

Si la notion de pillage par l’épée s’est quelque peu estompée (encore que l’Irak...) elle est remplacée par la notion de pillage par l’intelligence pervertie, celle qui se pratique apparemment sans armes.

Débarrassé de ses aspects jusque là trop visiblement sanglants, le brillantisme par la conquête est devenu disons l’impérialisme commercial et financier emballé dans un discours, dans un marketing plus chouette : Liberté, droits de l’homme, mondialisme, ouverture, développement, croissance, protection, préservation...que des mots à connotation positive.
Ainsi restylée, la conquête (de marchés et non de gens) ne pouvait que convaincre les derniers récalcitrants au brillantisme.

Et les artistes n’ont plus eu de problème pour confondre leur éthique avec celle des conquérants (ceux qui bouffent toujours sur le dos des autres et qui ont désormais une image moins agressive). La coopération est désormais massive entre les artistes et les rois du pétrole. Il n’y a que très peu de Facteur Cheval.

L’éclat, la présence de ces deux groupes réunis est phénoménale et le pêcheur de sardine, qui ne peut plus ne pas voir les navires usine et les yatchs qui en résultent, se sent minusculé. Le petit discours qu’il pouvait tenir autrefois à ses fils ne vaut plus rien à côté des gratte-ciel. Dès l’âge de 5 ans, son fils le trouve largué et désire entrer dans la danse du brillantisme. Et dans cette danse, le jeu consiste à ne surtout rien faire qui ressemble de près ou de loin à ce que fait un pêcheur de sardines. Dès 5 ans, le garçon vise le fric facile et ne veut plus suer au travail.

S’il y a eu, du fait des décalages des civilisations, une période transitoire où cohabitaient sur la planète des groupes convaincus du casino pendant qu’un autre groupe en restait à croire au vrai travail et nourrisait, habillait et manucurait le premier, cette période s’achève. 

Au-dela des questions de ressources qui vont forcément manquer tant il y a de gens qui veulent un bateau de 30m, nous partons tous ensemble vers la décadence par fascination pour le brillant et par mépris pour le travail. 

L’attitude qu’ont nos enfants de France, pourtant instruits aux meilleurs bancs, ne relève plus en rien du travail. Le seul travail que beaucoup acceptent encore de faire c’est celui de documentaliste en puisant dans le web qui devient en fait une chambre d’écho où chacun ne remonte dans ses filets que l’info qu’un autre avait remontée et C/C. Même le véritable travail de réflexion, même le véritable travail intellectuel pour lequel on pensait qu’on était taillé, nous ne le faisons plus.
Il suffit de voir ce qui se passe ici. Aucun auteur n’est foutu d’écrire un papier qui ne soit fondé sur un chalutage webien et donc bourré de liens ou références comme si ce qu’il y avait au bout des ces liens était du cristal ou de l’or. Comme s’il n’était plus possible d’être crédible en exposant une idée sortie de soi, comme s’il fallait forcément que l’on soit inscrit dans un courant d’idée battues et rebattues pour être entendu. Comme si plus aucun d’entre nous ne pouvait parler à son grand-père sans évoquer des références ou des liens. Comme si chacun de nous ne pouvait plus être que journaleux.-commentateur-animateur de discours et orateur.

Notre pays, qui ne produit plus rien en comparaison de ce qu’il produisait du temps des colonies, qui est bourré de bacheliers, ne produit même pas de l’intelligence alors qu’il se croyait doué pour ça. Que Dati fasse un lapsus et 40 millions de Français vont en parler pendant une semaine. Ca fait passer le temps et l’angoisse mais ce n’est pas ça la production d’intelligence.


Nos enfants sont nantis sur le plan de la formation au brillisme. Et que font-ils ? Certains cherchent certes à briller et Dati en fait partie. Mais comme c’est comme le loto, un jeu où il faut beaucoup de perdants pour faire une gloire, nos gosses non glorifiés ne bougent plus. Un temps, dans leur jeunesse, ils font un peu de sport, ils s’amusent, mais ensuite, c’est fini. Ils n’en foutent plus une ou continuent de jouer, sur les vagues, sur scène, sur la neige, sur le web. Tu fais quoi dans la vie ? Je surfe.

La nature humaine étant ce qu’elle est, je ne vois aucune raison que cette paresse (qui conduit à développer une intelligence roublarde) ne gagne le monde entier.


Les bourses, dont aime nous parler notre ami Santi, l’engouement pour les placements traduit le déplacement des valeurs qui vont vers de plus en plus de farnienten quitte, bien entendu à en crever.


Car c’est là qu’est le fond de notre décadence, elle est irréversible même si on en crève.
Regardez nos gosses, ce n’est pas parce qu’ils ont faim qu’ils se mettent à labourer ou planter des légumes. Pas du tout. Ils sont dans une misère certes non voulue puisqu’ils rêvent de briller, mais acceptée par dépit. Ils vont au suicide lent et accepté par dépit (en ne manquant pas d’invoquer mille prétextes pour ne rien foutre : parents salauds, patrons salauds.)
 
Aujourd’hui, ceux de nos enfants qui n’ont pas gagné au loto, préfèrent crever la gueule ouverte pendant qu’en Inde et en Chine, la plupart des gosses acceptent encore de travailler. Mais dans 10 ans, les enfants Chinois rejoindront les nôtres dans l’attitude de perdant de casino.
On fait quoi quand on sort du casino humilié ? On se bourre la gueule.


Le cinéma n’est qu’un des miroirs de notre société mais il est important puisqu’il est le meilleur endroit pour faire la promotion de la vie de casino royal.

J’ai vu environ 3000 films. J’en ai vu très peu où l’on voyait des gens tirer du bonheur de la peine au travail. Même Out Of africa, même Indochine, nous montrent la fatuité du travail, de l’entreprise laborieuse et de longue haleine. Et ce n’est pas le discours de Niezsche ou de Marx sur le travail qui aura arrangé les choses. Les prétextes pour ne plus bosser sont légion.

Il y avait les westerns où souvent on glorifiait le travail d’eleveur ou de fermier « la simplicité l’emporte sur la frime ». Mais c’est tout, rien d’autre. Pour trouver un film nous montrant l’intérêt du courage au travail, il faut se lever de bonne heure, et même. Ce qu’on nous montre le plus souvent c’est l’intelligence roublarde. Comment arnaquer, voler, tromper, quitte à être tué d’une balle, ce n’est pas un problème du tout.

A une époque, ce n’était pas un problème de partir en croisade et de risquer d’y mourir. Le jeu en valait la chandelle et c’était un jeu où il était question de gagner son ticket de paradis. Mourir pour cette idée valait le coup.
De nos jours, risquer la mort pour avoir attaqué un fougon blindé ou avoir arnaqué une banque, ça vaut le coup.

Mais travailler la terre pour manger, jamais de la vie, trop nul.


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