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Commentaire de easy

sur Argent = Bonheur, sauf quand on n'en a pas... (Corée du Sud)


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easy easy 9 février 2011 13:05

J’ai passé mon enfance à Saigon.

Il y avait, dans les années 50-60 une diaspora chinoise constituée des plus commerçants, des plus entreprenants parmi les habitants de la Chine ayant choisi d’en partir quand elle s’était déchirée entre la tradition impériale et la convoitise des Occidentaux.
Le Vietnam avait clairement subi 1000 ans d’influence chinoise. Mais la présence de cette diaspora chinoise à Cholon, ville voisine de Saigon, que la colonisation française avait eu bien du mal à maîtriser, enfonçait le clou de cette sinisation du Vietnam.

Le résultat c’est que, par exemple, la fameuse fête du Têt est très rouge de couleur (parce que c’est la couleur du bonheur en Chine. D’où le rouge des pétards) et bourrée de références à l’argent (faux billets, faux lingots d’or offerts sur les autels, à l’intention des morts)

Et les gamins, chez eux, entre voisins, sur les trottoirs devant les écoles, jouaient à mille sortes de jeu ayant la plupart du temps comme enjeu final, de l’argent.

C’est un des pays où à tout coin de rue, que dis-je tous les 3 m de rue, on voit des gens, des enfants (dont le sens est alors bien différent d’ici) vendre des trucs, des bidules, des machins, bouffe, cigarettes, friandises, gadgets...) Plus que n’importe où ailleurs.

L’enfant de Saigon de l’époque était donc hyper névrosé non exactement de l’argent en masse, car la masse, la fortune, ça n’existait pas, c’était hors de concept de la plupart des gens, maisdu petit jeu de l’argent.

Toute leur attention étaient tendue vers les petites actions susceptibles de rapporter quelque pièce ou billet.

Vous savez, une névrose, il faut la regarder de près. Par de moindres détails, elle entraîne dans une direction ou dans une toute autre.
Et là j’insiste, la névrose du fric, chez les Saigonnais d’alors était de se faire du petit fric, très souvent, constamment, du petit fric. Il y avait donc dans cette vision obsédante, la considération que l’argent devait obligatoirement tourner, circuler, vite, vite, passer d’une main à une autre. Observez le commerce de rue en Extrême-Orient et vous verrez ce qu’on ne voit pas ici : l’argent circuler.


Puis il y a eu l’influence Occidentale avec principalement les études poussées, l’acquisition des diplômes pour, plus tard, avoir un bon métier. Et la préoccupation à étudier a pris progressivement le dessus sur les jeux de rue, de trottoir. Chacun s’est replié dans sa chambre en sacrifiant ses instants présents, en investissant du sacrifice présent pour un futur meilleur. Et ce futur meilleur, ce fantasme qui se vit isolément des autres, ouvre la porte aux délires. D’autant que les médias de plus en plus présents montrent des cas de fortunes colossales édifiées un peu partout sur la planète.


Petit à petit, l’attrait pour l’argent s’est transformé. Il est passé d’une passion pour le jeu de billes ou de combat de coqs où l’on gagne trois sous, le jeu étant lui-même une composante énorme de cette passion, à une passion pour la fortune. Ce qui est toute autre chose.

Dans la névrose d’autrefois, il allait de soi qu’il fallait des partenaires de jeu. Il était donc indispensable d’être urbain, agréable, gai. Et il était également indispensable d’aider un ruiné à se rétablir en lui prêtant trois sous. On se prêtait tout le temps de l’argent, de personne à personne (la tontine étant un des aspects de ce principe).

Alors que dans la nouvelle version de cette névrose, on n’a plus du tout besoin de partenaires de jeu. On ne se voit pas jouer avec qui que ce soit. On se voit jouir de la seule possession de la fortune et des biens matériels qu’elle procure.
Dans la nouvelle version, les autres peuvent bien crever.

Je considère qu’actuellement, le Vietnam pourrait être un des derniers endroits d’Asie où il reste encore une part conséquente de la névrose ancienne formule, celle qui place le jeu au centre de l’affaire. Celle où l’on n’envisage pas la fortune. Celle où l’on explose de joie pour avoir gagné à un jeu de cartes. Celle où il faut des camarades de jeu. Celle où il faut que ça grouille, celle où il faut des éclats, des cris, des rires. Celle où l’argent permet de jouer avec les autres, de créer des cris, des rires.

De nos jours, en France, l’exemple des énormes yatchs nous montre que l’objectif est de faire fortune pour s’isoler, pour pouvoir vivre sur une île où tout est façonné à sa manière. Cet objectif névrotique est bien plus difficile à avouer, et pour cause puisqu’il est associal, puisqu’il méprise le grouillant.

La névrose fric-jeu, quoique névrose donc forcément un peu inconnue par soi-même, pouvait tout de même s’avouer indirectement. On disait très clairement qu’on avait envie d’aller voir des potes pour jouer aux cartes avec eux.

La névrose fric-fortune, elle aussi nous échappe en zone de semi-conscience, mais elle est forcément bien plus muette puisque par essence, elle va à écraser complètement les autres et vise l’isolement maximal dans le confort matériel maximal.


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