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Commentaire de easy

sur La perte de la dignité


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easy easy 24 novembre 2011 12:41

Vous êtes probablement jeune et face à la question de la dignité, vous pointez le cas des écoles de commerce.

Si vous faites un exposé sur la dignité et que vous citez, entre autres exemples, celui des écoles de commerce, il sera facile de vous suivre. Alors que quand vous ne citez que leur cas comme paradigme, vous passez pour un gamin.

Tout ce que vous dites est sensé et bien senti mais ici vous vous adressez à un public où maraudent de très vieux singes qui ne voient pas dans ce que vous exposez sur les écoles de commerce, de quoi en faire un exemple du genre.

Je vous invite à sortir de votre très petit périmètre et à étudier cette question à travers le Monde et l’Histoire. Pourquoi pas en partant de Diogène de Sinope. Car s’il avait traité cette question de manière éclatante et très probante (d’une part il n’en était pas resté à théoriser, d’autre part n’a jamais cherché à vendre son point de vue), c’est qu’elle s’était posée, déjà à son époque.


Oui, il se passe des choses qui bradent la dignité dans les écoles de commerce et c’est intéressant d’en parler, mais chacun de nous a connu des épreuves de dignité sans avoir jamais mis les pieds dans ces écoles.




Vous terminez par une citation tirée d’Obermann. Veuillez remarquer que l’assertion en question repose sur le concept de justice posé comme allant de soi (l’époque révolutionnaire et sa suite, obligeait chacun, meurtrier du Père ou des valeurs de lAncien Régime, à développer de nouveau supports de croyances, dont la liberté, l’égalité et la justice).
Or ce concept de justice, à poser qu’il n’existe pas chez les animaux (alors qu’ils semblent avoir un concept d’esthétique, de dignité, de domination, de fidélité), est peut-être très artificiel. Si ça se trouve, il dissimule un sentiment moins noble, celui de la jalousie, de la cupidité, de la lâcheté et de la vengeance.

(Richard Durn disait à sa mère et à son ami que son sort n’était pas juste et pour le solutionner, il a tiré dans le tas d’un conseil municipal à Nanterre)

Ce n’est pas au nom de la liberté qu’on tue le plus, mais au nom de la justice. Car la liberté, si elle nous semble légitime, repose sur le fait qu’elle serait juste (pendant que la fraternité ne repose pas autant sur le concept de juste). C’est toujours le concept de justice qui se trouve en socle de nos grands concepts. Aussi bien l’Inquisition que la contre Inquisition, ont procédé essentiellement du concept de Justice.


Et Diogène, qui n’a jamais accusé personne, se méfiait surtout du concept de justice.



La dignité, que semblent connaître certains animaux qui servent d’emblèmes aux hommes, est un concept ou un élan vital (pour dire qu’il a des fondamentaux indiscutables) est d’enveloppes très culturelles. Enveloppes au pluriel. Il y aurait comme une dignité basique, mettons que Diogène l’aurait atteinte, et cette base serait contenue au fond d’une série d’enveloppes culturelles. Il y aurait la nudité où certains trouvent déjà leur compte à condition de pouvoir arborer un os dans le nez, puis l’enveloppe culturelle du cache sexe chez certains, puis l’enveloppe culturelle de l’habit plus complet, puis l’enveloppe culturelle de la dentelle et des rubans sur ces habits chez les plus enveloppistes.

Comme en France, aujourd’hui, de très nombreuses enveloppes entourent le noyau diogénique de la dignité, le jeu de la vie consiste à protéger son oignon toutes couches comprises et, le cas échéant, selon les aléas de la vie, accepter, se faire une raison, d’en perdre une couche.

Ce jeu de couches de dignité, s’il a ses déterminants conventionnels (normalement, ça ne se fait pas de se promener en slip sur le trottoir, mais en cas d’incendie, ça se comprend) a aussi et c’est là qu’est toute la subtilité de l’Homme, des déterminants personnels.

Il appartient à chacun de construire des sous-couches de telle sorte que là où les autres le voient dégradé, il se voit encore digne.
C’est très exactement ce travail de subsomption qu’avait entrepris Diogène. Il a prouvé à Alexandre, qui ne s’y attendait pas, que même en son état apparemment dégradé, il en avait encore sous le pied, il avait encore des couches à son oignon.


Reste que ces couches personnalisées que chacun s’invente en oignon autour de son trésor ultime sont soit invisibilisées aux autres, soit visibilisées.

Elles sont invisibilisées par Diogène s’il se tait, elle sont visibilisées par lui lorsqu’il répond à Alexandre que la présence du soleil lui suffit.

C’est cette possibilite en oignon, en matriochka ou tiroirs sans fin qui conduit beaucoup de ceux qui sont placés devant un peloton d’exécution à maintenir leur opinion jusqu’à la fin. La torture, ne serait-ce que par l’isolement, étant le moyen que trouvent ceux qui tiennent à retirer à leur torturé ses ultimes couches. Grande chance pour Diogène qu’il n’ait pas eu à subir la torture.

Je pense ici à Cadoudal, digne, très digne jusqu’au bout et dont le squelette a été ensuite suspendu en ridicule dans la faculté de médecine (beaucoup d’autres véritables squelettes humains ont ainsi été pendouillés dans des salles de cours mais au moins, ignorait-on de qui il s’agissait).


Si vous voulez continuer votre thèse sur la dignité, je vous invite à poser la question suivante, après l’avoir définie de manière plus universelle : n’est-il pas profondément indigne celui qui dépouille autrui de ses couches dignitaires toujours plus profondes sans lui laisser la moindre chance et l’acculer ainsi au suicide ?

La question basculant alors de la préservation de son propre oignon à la préservation de celui d’autrui et envoyant alors de Diogène vers Saint Martin.


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