• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Courouve

sur Proposition de loi 2895 : instauration du délit de blasphème


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Senatus populusque (Courouve) Courouve 20 mars 2006 12:05

J’ai pris connaissance avec effarement de la proposition de loi du 28 février 2006 (n° 2895) du député UMP Jean-Marc Roubaud (Gard) visant à modifier l’article 29 de la loi sur la presse.

« Dans le contexte international que nous connaissons actuellement, l’Église catholique demeure convaincue que, pour favoriser la paix et la compréhension entre les peuples et entre les hommes, il est nécessaire et urgent que les religions et leurs symboles soient respectés, et que les croyants ne soient pas l’objet de provocations blessant leur démarche et leurs sentiments religieux », déclarait le pape Benoît XVI en recevant, le 20 février 2006, Ali Achour, nouvel ambassadeur marocain auprès du Saint-Siège.

Jean-Marc Roubaud a entendu le message et transposé la « directive » vaticane en pas plus d’une semaine ! Il propose d’inscrire dans la loi sur la presse que : « Tout discours, cri, menace, écrit, imprimé, dessin ou affiche outrageant, portant atteinte volontairement aux fondements des religions, est une injure. » Les peines applicables pour ce délit d’injure sont énoncées à l’article 33 de cette loi.

Or interdire de porter atteinte aux fondements des religions, cela reviendrait à interdire l’expression de l’athéisme.

On peut lui opposer un autre point de vue, formulé notamment par Charlie-Hebdo dans le fameux « appel des douze » : « Nous refusons de renoncer à l’esprit critique par peur d’encourager l’ « islamophobie », concept malheureux qui confond critique de l’islam en tant que religion et stigmatisation des croyants. Nous plaidons pour l’universalisation de la liberté d’expression, afin que l’esprit critique puisse s’exercer sur tous les continents, envers tous les abus et tous les dogmes. Nous lançons un appel aux démocrates et aux esprits libres de tous les pays pour que notre siècle soit celui de la lumière et non de l’obscurantisme. »

Ou par Pascal Bruckner soulignant, le 6 mars dernier dans Libération, la nécessité de maintenir « climat d’examen, de pluralisme, d’ironie, de sarcasme, d’anticléricalisme qui caractérise notre nation ».

Ainsi ce joli sketch de Coluche sur le Christ, parodiant l’évangile selon Matthieu (XXVI, 26-28) :

« - Prenez et mangez, c’est mon corps. - Prenez et buvez, c’est mon sang. - Regardez mais touchez pas, c’est mon cul. »

Ou encore cette diversion du philosophe Diderot sur saint Jean et le Christ : « Si la Madeleine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si, aux noces de Cana, le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noce et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires. » (Essai sur la peinture, 1765, chap. IV).

On songe également à l’audacieuse paraphrase, par le marquis Sade, de l’Ode à Priape d’Alexis Piron :

« Foutre des saints et de la Vierge, Foutre des anges et de Dieu ; Sur eux tous je branle ma verge Lorsque je veux la mettre en feu [...] Du fils de Dieu la voix horrible, Tâche en vain de parler au coeur : Un cul paraît, passe-t-il outre ? Non, je vois bander mon jean-foutre, Et Dieu n’est plus qu’un enculeur. » (Histoire de Juliette, 4e partie).

Si cette disposition était adoptée, ce sketch ainsi que, et surtout, la réédition d’oeuvres de Diderot, de Sade, de Nietzsche, de Prévert et de quelques autres deviendraient illégaux ; c’est un pan entier de la culture française qui se verrait censuré par ce « politiquement correct » (UM)populaire. Ce serait en fait le rétablissement du délit de blasphème supprimé par l’Assemblée nationale en juillet 1791.

Dans une société moderne, ouverte à la connaissance objective, les sentiments religieux sont confrontés à l’incroyance, et réciproquement. La disposition que le député Roubaud voudrait faire adopter laisse entendre qu’il conviendrait de protéger les croyant(e)s, jugé(e)s « faibles d’esprit » des productions intellectuelle des esprits forts, et que la foi ne pourrait supporter la contradiction et les manifestations d’incroyance. Un tel privilège d’incontestabilité me semble en contradiction avec notre bloc de Constitutionnalité (art. 10 et 11 de la Déclaration de 1789) ainsi qu’avec les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). En particulier avec la loi de 1905 : art 1, La République assure la liberté de conscience ; art. 2, La République ne reconnaît [...] aucun culte (PFRLR) ; aussi avec la loi du 26 janvier 1884 (PFRLR) :

« Le service public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. » (art. 3, al. 1)

Après les lois Gayssot, Taubira et HALDE (sexisme, handiphobie, homophobie), a-t-on vraiment besoin en France de ce nouveau tour de vis, et d’un renforcement de la police de la parole ?

Matignon m’avait fait savoir, le 9 février 2006, que « Monsieur de VILLEPIN et son gouvernement entendent concilier l’exigence de la liberté d’expression et en même temps défendre le respect de l’autre. C’est pourquoi il est nécessaire, comme l’a déclaré le Premier Ministre, d’éviter ce qui peut blesser ou choquer inutilement toutes les convictions religieuses tout en condamnant l’engrenage de la violence. » Ce qui semble suggérer un accord de de Villepin avec la ppl. de M. Roubaud. À suivre ...

Caricature, humour, dérision, rire, tout cela découle de l’intelligence, du « penser par soi-même », c’est-à-dire d’un certain rapport occidental à la connaissance. Dans notre conception moderne, la critique de toutes les religions participe tout autant de la liberté d’expression que les diverses pratiques religieuses et l’expression des crédulités. Croyances et religions sont libres, mais ce serait porter atteinte à la liberté de conscience et au pluralisme que d’exiger, en plus de cette liberté, le « respect » de la part des journalistes et des citoyens. Le respect mentionné à l’article 1 de la Constitution de 1958 n’est que celui de l’Etat à l’égard des croyances ; il ne comporte aucune prescription à l’égard des simples citoyens, qui respecteront spontanément ce qu’ils jugeront respectable et non ridicule.


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès