La scène était plus ou moins terrible, selon le point de
vue. Ces gens-là avaient été dépossédés de tout ! Ils avaient pourtant, il
n’y a si longtemps, gagné le temps d’une révolution, ce qu’on appelait l’Individu
– Mais il ne fallait plus désormais prononcer le mot qu’avec distance, en y
ajoutant un « isme » de réprobation. Très vite la Terreur, avant d’endosser
l’habit flamboyant de l’Empire, allait ramener le Dieu du groupe et de la horde
à ses justes dimensions – la sauce y était.
Sauf qu’il faisait très froid dans ce mensonge, une fois l’île
d’Elbe les cent jours et Waterloo passés ; alors bien sûr les poilus ont
rallumé le poële, puis on a remis ça encore une fois, avant de trouver enfin la
solution quant à ckill en était du feu central dans cette grotte bien humide –
comment vivre sans foyer ? Alors on a exporté le problème, fixé la greffe
en terre ceinte, et surtout soufflé régulièrement dessus, sur des décennies… hystoire
que ça s’éteigne jamais.
Bien sûr dans les campagnes (car il n’y avait plus que ça,
un seule alinea y suffirait) on grelottait de froid ; les hommes avaient
retrouvé une sorte d’étape préhistorique, si tant est que jamais ils fussent
réellement entrés en histoire - un très grand Poète nommé guy debord avait même
émis l’hypothèse que jamais… Mais bref, dépossédés de tout ils étaient, et d’abord
de la terre. Mobilisation totale, avait titré le bosch…
Il faisait donc grand
froid, et les lumières bleues, clignotant partout sur cette pauvre planète très
ensommeillée, distribuaient leur vingt heures éternel. En général, précisément
là-dessus, ils mangeaient ! Oh sans grognements ni grands slurps peut-être, mais
avec des exigences d’abord… Il fallait que le sang coule, qu’il témoignât que
là-bas, cyprès d’ici n’est-ce pas, ce feu restait bien allumé...
D’abord il nous épargnait d’avoir à flamboyer ici – et quelle
misère ; ensuite, ça réchauffait un peu sur des heures de mensonge ces
quelques vérités vieilles comme le monde : crânes d’enfants explosés,
seins déchirés, haines délivrées, qui étaient bien toutes les nôtres – et de
raison ! – mais comme c’était derrière l’écran, on pouvait encore découper
son steak tranquille.
Surtout pas que ça s’arrête !
Surtout pas.
Et dans ce vaste cirque quelle différence entre poujadas, la
chabot et ariel sharon ou moshe dayan au fond ? Soyons sérieux : à moins d’être
un garagiste de talent, il est bien difficile de distinguer entre deux pièces
moteur, quelles que soient les couleurs, sous cette lampe de poche.
En résumé, cet antre, cette grotte… et eux tous dedans,
grelottant depuis tant. Parfois quelques gémissements de fond, des accouplements
en série, mais jamais au grand jamais ! Loana au plus chaud de sa piscine
ne mettrait un terme, ou le moindre entracte à la vaste fornication voulue là,
jamais !
Pas d’illusions... on n’éteint pas le grand feu de la misère comme
ça.
Il sert d’abord à pas se rallumer ailleurs...
Ces derniers temps cependant, il avait des ratés ce feu, ce feu d’ici mais de là-bas : Il suffisait de mater quelques videos de notre dame d’hellande – l’huile avait coulé jusque là-bas – pour se rendre compte que loin d’être
une question d’avions, c’est tout le bled qui était radiographié là, qu’un
émétique devenait une urgence, qu’il n’allait pas tarder, que c’est sans doute
toute la baraque qui allait flamber.
L’image faisait penser à un gros bonhomme très content de sa
cheminée, mais qui avait trop vite oublié que le gaz était ouvert, à fond, dans
le grenier ; quelques minutes et tout allait sauter.
Le mazerolles finirait attaché sous un arbre, et nos héros trouveraient
bien vite leurs sangliers.