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Commentaire de BA

sur L'enfer quotidien vécu par la population grecque


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BA 20 janvier 2013 13:40

Samedi 19 janvier 2013 :

 

L’aveu est incroyable, presque inimaginable. Quatre ans après le déclenchement de la grande crise qui secoue les économies occidentales avec une violence sans égale depuis 1929, l’un des plus grands experts économiques de la planète, en l’occurrence le directeur du département recherche du Fonds monétaire international (FMI), vient de publier un rapport dans lequel il avoue que le FMI – et avec lui, l’ensemble des dirigeants européens, chefs d’Etat, ministres des Finances, Banque centrale et Commission européennes… – a gravement sous-estimé les effets néfastes des politiques d’austérité infligées aux Etats les plus endettés.

 

Oui, vous avez bien lu : Olivier Blanchard, l’une des sommités économiques mondiales – on cite même son nom pour un futur prix Nobel, c’est dire… –, admet noir sur blanc, dans un rapport de 43 pages rendu public le 3 janvier dernier, que le FMI s’est trompé sur toute la ligne. La faute à une simple erreur de calcul.

 

Dans ce document inouï, intitulé « Erreurs de prévision de croissance et multiplicateurs budgétaires » (téléchargeable sur notre site, www.marianne.net) et cosigné par un autre économiste du FMI, Daniel Leigh, Olivier Blanchard reconnaît, chiffres et arguments à l’appui, que la réduction drastique des dépenses publiques – cette fameuse cure d’austérité présentée par le cercle de la raison comme « la seule politique économique possible » –, imposée en Grèce, mais aussi au Portugal, en Italie, en Espagne, en Irlande, en Grande-Bretagne et même en France, n’a pas seulement causé le malheur des peuples, mais a précipité ces pays dans une crise plus violente encore. Avec, à la clé, la récession accélérée, les fermetures d’usines et le chômage de masse…

 

Cette confession salvatrice, certes, honore ses auteurs. Après tout, il n’est pas si fréquent de lire un tel mea culpa sous la plume d’un expert aussi reconnu, pas plus que sous celle d’un responsable politique. Mais elle sonne comme un véritable coup de tonnerre pour tous les tenants de la pensée économique dominante, pour tous ces experts autoproclamés, ces éditorialistes qui nous assènent leur science libérale soi-disant infaillible, ces Diafoirus de l’économie sinistrée qui, depuis 2008, infligent aux peuples des remèdes pires que le mal qu’ils sont censés soigner. Bref, la cohorte de ces imposteurs qui, après avoir mis en place eux-mêmes les conditions du désastre, s’avisent de nous faire croire qu’ils sont les plus aptes à nous sortir de la catastrophe à laquelle ils nous ont conduits au son du clairon. Comme si, disait Einstein, on pouvait compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre…

 

Mais revenons sur cette… erreur de calcul. Elle vaut son pesant d’or. Souvenez-vous, c’était en mai 2010, autant dire hier. Dans le communiqué annonçant son premier plan d’aide à la Grèce, le FMI, qui apportait 30 milliards d’euros au gouvernement de Georges Papandréou – l’Union européenne, de son côté, mettait 80 milliards dans la corbeille –, appelait le peuple grec aux « sacrifices nécessaires pour reconstruire l’économie du pays ». Un ballon d’oxygène pour sauver Athènes de la banqueroute, oui. Mais à condition de consentir autant de sang que de larmes. Baisse des pensions de retraite, réduction des prestations sociales et des salaires de la fonction publique, suppression des primes de Noël et de Pâques versées aux travailleurs, hausse massive de la TVA et des impôts… Le tour de vis budgétaire, conditionné à l’octroi de ce prêt, devait permettre aux Grecs de renouer avec « la croissance, la création d’emplois et la prospérité », selon les prédictions de Dominique Strauss-Kahn, qui dirigeait alors le FMI. Plombée par un déficit public de 13,9 % du PIB en 2009, la Grèce était censée repasser, grâce à ce traitement de choc, sous la barre des 3 % à l’échéancede 2014. Ces fameux 3 % qui constituent, depuis vingt ans, l’alpha et l’oméga des politiques publiques en Europe et dont François Hollande lui-même a fait son mantra.

 

Sur la foi de ce dogme, repris en boucle par les chantres de la rigueur – dirigeants politiques, économistes et commentateurs de tout poil biberonnés à la vulgate libérale selon laquelle l’Etat est forcément dispendieux et l’entreprise, nécessairement bien gérée –, les Grecs ont enduré une purge sans précédent.

 

Pour quel résultat ? Le déficit a certes baissé, mais moins que prévu (il va dépasser cette année les 5 % du PIB) ; la dette publique s’est envolée (189 % du PIB) et les recettes fiscales n’en finissent pas de se contracter (44,3 milliards d’euros attendus en 2013, 5 milliards de moins qu’en 2011). Contrairement aux riants augures du FMI, le pays, englué dans la récession, ne redémarre pas. Pis, il s’enfonce dans la récession, envoyant toujours plus de Grecs grossir les rangs des demandeurs d’emploi.

 

Et devinez pourquoi ? Parce que le principal bailleur de fonds de la planète, le FMI, s’est planté dans ses calculs. Et pas qu’un peu : une erreur de un à trois ! La boulette porte sur un coefficient bien connu en économie : le multiplicateur. Entre 1970 et 2007, les prévisionnistes avaient constaté que 1 % de dépenses publiques en moins – ou d’impôts en plus – entraînait, en moyenne, 0,5 % de croissance en moins dans les pays avancés. Soit un multiplicateur de 0,5, qu’ils ont doctement retenu dans les travaux préparatoires aux plans d’aide à la Grèce ou au Portugal.

 

Mais ça, c’était avant la crise et son lot d’incertitudes qui perturbent le comportement des consommateurs. Dans son « Panorama de l’économie mondiale » rendu public en octobre dernier, le FMI a d’abord reconnu au détour d’une page, repérée par les seuls spécialistes de la science économique, que les multiplicateurs actuels pouvaient être compris « entre 0,9 et 1,7 ». C’est-à-dire entre deux et trois fois plus ! L’étude détaillée que vient de publier son économiste en chef, Olivier Blanchard, confirme donc la bévue.

 

Les conséquences sont abyssales : en obligeant les gouvernements d’Europe du Sud à ponctionner drastiquement les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités, le FMI a fait plonger la demande intérieure de deux à trois fois plus vite que prévu.

 

La suite, hélas, est connue : faillites en série, explosion du chômage et manifestations monstres dans les rues d’Athènes ou de Lisbonne.

 

« Le multiplicateur n’est pas un truc qui tombe du ciel, explique Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il varie selon le contexte : est-on en haut ou en bas de cycle ? Quelles politiques mènent les pays qui nous entourent ? Peut-on dévaluer sa monnaie, ou pas ? C’est à l’aune de ces éléments que l’on peut estimer l’impact d’une cure d’austérité. Pas en appliquant mécaniquement un coefficient au prétexte qu’il fonctionnait avant, quand la croissance était au rendez-vous. »

 

C’est pourtant ce qu’ont fait les brillants cerveaux du FMI et ils ont eu tout faux ! Leur huile de foie de morue a rendu malades des centaines de millions d’Européens déjà mal en point. En clair, ils n’ont fait qu’ajouter de la crise à la crise.

 

Déjà, dans les années 90, le FMI avait fait fausse route, en imposant aux pays en crise des réductions budgétaires excessives. En octobre 2003, le bureau d’évaluation indépendant du FMI avait même dressé un réquisitoire au vitriol sur la façon dont l’institution avait cru bon de gérer, à coups de hache budgétaire, la crise en Indonésie, au Brésil ou en Corée du Sud. Au moins, cette fois, le FMI reconnaît-il son erreur…

 

Reste cependant à en convaincre la Commission et la Banque centrale européennes (BCE). Et là, visiblement, ce n’est pas gagné. De Bruxelles à Berlin, on reste persuadé que la guérison viendra de cette cure de rigueur dont on persiste à minorer les effets néfastes sur la croissance. Donc sur le chômage et les rentrées fiscales. N’est-ce pas Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, qui déclarait que l’austérité budgétaire « ne risquait pas de provoquer de stagnation en Europe » ? N’est-ce pas son successeur, Mario Draghi, ex-numéro deux de la banque d’affaires Goldman Sachs en Europe, celle-là même qui a maquillé les comptes publics de la Grèce pour complaire aux marchés financiers et aux agences de notation, qui a intensifié ces politiques de rigueur sur l’ensemble du Vieux Continent ?

 

Un signe ne trompe pas : l’aveu de cette erreur de calcul du FMI devrait faire la une de tous les journaux, déclencher le mea culpa de tous ceux qui se sont fourvoyés. Or, rien. Silence total. Pas un mot. Un éditorial dans le Washington Post et le New York Times, quelques articles en pages intérieures dans la presse française (l’Humanité, Libération…), un sujet au journal de 20 heures de France 2, et c’est tout, ou presque. Pas le moindre débat. Pas la plus petite remise en cause des politiques menées.

 

De Lisbonne à Athènes, de Madrid à Paris, les gouvernants, toujours sous la pression des marchés financiers – qui fixent les taux d’intérêt – et des agences de notation – qui, elles, se sont toujours trompées sur tout – continuent à foncer droit dans le mur. Pis : ils persistent à traiter par le mépris tous ceux – dont Marianne – qui osent prétendre que cette ordonnance-là est létale et qu’une autre politique économique est possible.

 

Pour en avoir le cœur net, Marianne est allé consulter le blog de Paul Jorion (www.pauljorion.com/blog/), un de ces économistes iconoclastes qui, avant tous les autres, avaient vu venir la crise des subprimes de 2008. Voilà ce qu’on peut y lire :

 

« Vous êtes plusieurs à me contacter pour me demander pourquoi je ne parle pas de la nouvelle qui agite la presse et la blogosphère : “Le FMI s’est trompé !” Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que le FMI s’est trompé sur à peu près toutes les questions depuis sa création en 1944. La seconde, c’est que l’article d’Olivier Blanchard et Daniel Leigh a déjà fait l’objet d’un excellent billet de François Leclerc en octobre dernier. Trois mois d’avance, seulement ! »

 

Sauf que la plupart des médias n’en ont pas soufflé mot et que les opinions publiques ont été soigneusement tenues à l’écart de ces révélations. Voilà pourtant ce que ce blogueur, l’économiste François Leclerc, écrivait il y a trois mois :

l’erreur de calcul avouée par Blanchard et Leigh démontre que « la politique d’austérité a plus d’impact négatif qu’envisagé sur la croissance. Poursuivre cette politique pourrait se révéler difficile dans les années à venir, en raison de l’effet des coupes budgétaires, qui sont de plus contrecarrées par la baisse des rentrées fiscales résultant du ralentissement de l’activité économique et de l’accroissement du chômage, qui lui-même implique une hausse des transferts sociaux ».

 

Et d’ajouter : « Ce qui est observé ces derniers temps, non seulement dans les pays du sud de l’Europe mais également au Royaume-Uni, semble confirmer ce pronostic pessimiste. De surcroît, les répercussions d’un tel processus sont immenses dans une économie mondialisée. L’effet boule de neige est garanti. »

Dans son éditorial du New York Times, Paul Krugman, prix Nobel d’économie en 2008, est encore plus sévère : « Si le FMI lui-même dit qu’il s’est trompé, cela signifie que tous les autres se sont encore plus trompés. Au moins le FMI a-t-il le mérite de vouloir repenser sa position à la lumière des faits. La mauvaise nouvelle, c’est que bien peu d’autres acteurs font la même chose. Les dirigeants européens, qui ont créé des souffrances dignes de la crise de 1929 dans les pays endettés sans restaurer la confiance financière, persistent à dire que la solution viendra d’encore plus de souffrances. La vérité, c’est que nous venons de vivre un échec monumental en termes de politique économique – et que de trop nombreuses personnes responsables de cet échec sont toujours en place et refusent de tirer les leçons de leurs erreurs. »

 

C’est pourtant en apprenant de ces erreurs que cessera cette imposture entretenue depuis le début de la crise qui considère la réduction drastique des déficits comme l’horizon indépassable des gouvernants. La question vaut évidemment pour la France : comment inverser la courbe du chômage d’ici à la fin 2013 en menant une politique d’austérité qui, si elle n’a pas l’intensité de celle menée à Athènes, Madrid, Rome ou Lisbonne, étouffe toute possibilité de croissance ? « Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou », dit un proverbe japonais.

 

Arnaud Bouillin et Laurent Neumann.


 

http://www.marianne.net/L-incroyable-erreur-des-experts-du-FMI_a225822.html

 


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