• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de L’Ankou

sur Mariage « pour tous », homosexualité et droits de l'homme


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

L’Ankou 27 janvier 2013 04:50

Et revoilà sur le terrain l’épouvantail d’un « droit à l’enfant ». Rhétorique facile qui offre le beau rôle à bon compte à ceux qui s’y opposent au nom d’un droit « de » l’enfant. Sauf que l’opposition est factice et la notion de droit « à » l’enfant sans aucune réalité. Il n’y a que les cons - des deux bords, je vous le concède – pour utiliser un tel concept à la place du seul qui vaille : la liberté de faire un enfant. La liberté et non le droit. Et oui, encore une liberté !

Vous n’avez aucun droit à l’enfant. Vous êtes libre d’en avoir. Je reprends ici ma distinction entre la loi et la nature : les ailes ne vous poussent pas dans le dos et la nature vous interdit donc de voler. Pourtant vous être libre de voler. Ça ne regarde pas l’Etat, qui n’a pas à interférer dans vos efforts éventuels pour voler : si vous le faites naturellement, tant mieux pour vous. Sinon, inventez des subterfuges pour contrer l’impossibilité naturelle. C’est une liberté, et à ce titre, l’Etat n’a ni à mettre à votre disposition les moyens de le faire si le marché s’en charge, ni à vous les interdire sauf à tirer de la violation d’une autre liberté, les motifs suffisants pour limiter votre liberté de voler (la sécurité de l’espace aérien, par exemple). Ce qui vaut pour l’envol vaut pour la procréation.

Suit un long paragraphe, dans l’article de Francis BEAU pour démontrer que le sujet est d’importance. Je ne le reprends pas : l’importance des débats sur le rôle de l’Etat dans l’accès aux artifices de procréation ne m’a pas échappé. Comme je l’ai dit, il y a assez de matière pour qu’on cible un débat entier rien que sur ce point. C’est-à-dire dans le contexte d’une loi qui traiterait spécifiquement de ces problèmes de procréation assistée, ou mieux encore d’une loi pour chacun des type de procréation assistée.

Notez au passage de ne pas inverser les logiques : Les pratiques sexuelles ne bénéficient pas d’une protection à la condition de rester strictement circonscrites à la sphère privée, mais parce qu’elles SONT une pratique privée. Cela n’empêche pas de rendre votre orientation sexuelle publique ni d’aller assouvir vos pulsions dans certains lieux publics, à vos risques et périls… Je ne vois pas trop ce qu’apporte la mention que plusieurs religions de France la considèrent comme une pratique contre nature et la jugent contraire à la morale. D’autres non, comme le bouddhisme et l’athéisme, lui, s’en fout.

Ce ne sont pas non plus les religions qui font les lois. Le fait que l’Etat s’interdise de connaître les orientations sexuelles de ses citoyens n’est pas une concession bienveillante faite aux minorités mais une stricte condition de l’Etat de Droit.

L’article aborde néanmoins le mariage sous un angle voisin du mien : Je vois effectivement le mariage comme une cérémonie publique qui officialise une situation aux yeux de la société. Elle a un aspect contractuel, bilatéral, privé, personnel, et un aspect externe, public, officiel. Comprendre le mariage, c’est comprendre cette dualité. Je compare souvent avec le droit des brevets : vous pouvez protéger un secret de fabrication en le dissimulant. Cela ne regarde pas l’Etat et cela présente des risques, que vous pouvez assumer. Mais l’Etat vous propose de choisir librement une autre possibilité : trahir votre secret ! Le rendre public, le faire connaître à tous. En contrepartie, il vous en garantit la reconnaissance de paternité (Voyez qu’on est bien dans le sujet). Telle est la valeur du mariage : rendre une situation opposable aux tiers. C’est ce qui le distingue d’un simple contrat qui ne vaut qu’entre les parties. Dans le mariage, je l’ai évoqué, les effets opposables aux tiers sont principalement patrimoniaux. Les effets matrimoniaux concernent déjà le nom des époux, bien avant de s’intéresser au nom que porteront les enfants s’il y en a. Et il y a aussi les effets sur la présomption de paternité que j’ai déjà évoquée sous l’angle d’une fiction juridique.

Dans un premier temps, Monsieur Beau reconnait que les couples de même sexe doivent jouir de leur liberté sexuelle sans souffrir de discrimination dans leur vie publique. Leur ouvrir le choix de bénéficier d’une officialisation comme alternative au secret ou à la discrétion d’une union libre, ou en remplacement de l’humiliant ersatz de mariage édulcoré qu’est le PACS me semble d’assez bonne politique pour y parvenir en toute simplicité.

Dans un second temps, selon lui, ce qui s’y opposerait serait le droit, pour les couples de sexes différents, de se différencier. C’est l’un des plus mauvais arguments que j’ai entendus. C’est, en quelque sorte, être contre les discriminations à condition qu’on les conserve ? Pour un peu c’est comme êtes parfaitement favorable au changement… à condition que les choses restent exactement comme elles sont, bien sûr.

Il faudrait craindre que les couples hétérosexuels ne se reconnaissent plus dans le mariage des personnes de même sexe ? Mais qui le leur demande ? Les uns et les autres auront accès au même dispositif d’officialisation, mais rien ne les oblige pour autant à adopter quoi que ce soit des mœurs des autres, ni à se reconnaître dans le mariage des autres ! Quelle idée ! Quelle idée, aussi, d’aller se projeter dans le mariage des autres, seraient-ils de mêmes mœurs que vous ? Chaque mariage n’est-il pas unique et les époux aussi peu interchangeables avec des tiers que possibles ?

Et inévitablement, Francis BEAU aborde ce qui devient un poncif : l’épouvantail du droit « à » l’enfant, dont j’espère avoir présenté une critique assez virulente. Parce qu’une fois son argumentaire dégraissé des contresens, force est de constater que ce qui reste ressemble à s’y méprendre à des préjugés, des idées préconçues et des jugements à l’emporte-pièce.

Voilà où cela culmine : « mais surtout et enfin, le bien-être des enfants doit primer (…), afin d’éviter tout risque qu’ils en soient des victimes innocentes. » Mais une fois pour toute, victime innocente de quoi ? Vous n’en avez pas marre d’insulter des centaines de milliers de parents responsables et aimants, qui élèvent pour la plupart leurs enfants de façon exemplaire, au seul motif qu’ils sont de même sexe ? Par quelle déformation de l’esprit supposez-vous que la faculté de prodiguer de l’amour, de la paix, de la protection, du secours, de l’instruction, de la compréhension, de l’attention, des conseils, des valeurs, de la culture, une langue, des projets, un soutien psychologique, moral, financier, affectif, serait atteinte et remise en question par l’orientation sexuelle ? Ne cherchez pas plus loin le fondement des accusations d’homophobie qui sont adressées aux opposants s’ils n’ont pas de meilleurs arguments ! La source profonde en est ici et la honte devrait leur en couvrir le front d’écarlate.

Appelez-moi « bien pensant », pour ça, mais ce raisonnement même est une insulte à ceux qui sont différents et je ne leur pardonne pas ces préjugés. La morale qu’invoque M. Beau n’est pas juste et n’a pas de « justes exigences » au sens de la déclaration universelle. Elle ne rend pas justice de cet amour parental. C’est trahir l’esprit et la lettre des textes que invoqués que de dénoncer comme amorale ou immorale les velléités maritales d’une catégorie de citoyens identifiée par ses orientations sexuelles. Et c’est reconnaitre un pouvoir d’ingérence excessif et liberticide à l’Etat que de le laisser plus longtemps s’y immiscer. Si ce n’est pas un fond de préjugés homophobes qui y pousse, c’est alors probablement une terreur néophobe ou une méfiance réactionnaire pour l’idée même que le parlement puisse faire des lois qui s’opposent aux traditions. Je veux bien me forcer à ne pas en invectiver les tenants, mais admettez que cela puisse m’être dur.

La définition juridique que cite M. Beau de l’autorité parentale mentionne des qualités dont je vous mets au défi de démontrer que les homosexuels sont dépourvus. Notez que les parents qu’elle vise sont les parents « légaux » et non les géniteurs. Si des fictions juridiques du même ordre permettent à des personnes de même sexe de se trouver en situation de parents, et il y en a, rien sauf vos prétendues « valeurs » si respectables ne s’oppose, dans l’intérêt de l’enfant, à ce que la liberté d’avoir un enfant soit reconnue et affirmée avec la même force que la liberté de choisir entre l’union libre et le mariage. Ces valeurs si respectables me semblent avoir à défaut des mêmes causes, au moins les mêmes effets que l’homophobie. C’est tout de même un peu suspect.

Si l’on avait écouté les thuriféraires du principe de précaution que mentionne l’article, on n’aurait probablement pas aboli l’esclavage, ni avant lui le servage, ni les privilèges de la noblesse, ni accordé le droit de vote aux femmes ou aboli la peine de mort. Si les résistants s’étaient « donné le temps de réfléchir au problème » de l’occupation « de manière plus approfondie », c’est peut-être en Allemand que nous tiendrions cette conversation.

Francis BEAU déplore que sa morale n’ait pas toujours bonne presse, dans nos sociétés modernes. Mais concevez que ce puisse être parce que cette « morale » s’avère finalement opposée à deux libertés au moins, ainsi qu’antidémocratique en ce qu’elle conteste au peuple souverain le droit de légiférer en certaines matières. Voulez-vous priver la Nation de sa souveraineté quand ça va à l’encontre de la tradition, de la nature, des usages, de la science, de la morale, de la religion, et qui sait quoi d’autre encore… ? Êtes-vous bien sûr d’être démocrate ?

Les efforts sincères et notables que fait M. Beau pour concéder effectivement un possible régime – discriminatoire mais d’une certaine tolérance – l’honorent probablement un peu mais changent peu de chose au fond. J’ai surtout l’impression que, braqué dès le départ contre cette réforme ou contre ce gouvernement, certains se sont bâti un monde de représentations qui légitime leur opposition par tous les moyens. De proche en proche, de controverse en controverse, les voilà obligé de remonter de plus en plus loin dans la recherche des socles les plus anciens des sagesses capables de justifier cette opposition de principe. Or, clairement, cette réforme trouve ses sources dans la philosophie des lumières, dans l’Enlightenment, l’Aufklärung. A vouloir retrouver les racines ancestrales desquelles ces modernités prenaient le contrepied, on en vient à défendre des obscurantismes et à puiser ses sources dans des logiques d’ancien régime. On passe très vite de conservateur à réactionnaire dans ces conditions.

Comme je l’ai déjà dit, ce sont les députés et les sénateurs qui font les lois. Ce n’est pas non plus l’IFOP : d’autres lois injustes que nous rougirions d’avoir conservé ont pu être soutenues par une minorité bruyante, voire par une majorité des citoyens, lors de leur abrogation.

Francis BEAU le dit dès son introduction : la manif contre le mariage pour tous défendait principalement ces « valeurs ». En l’occurrence, les « valeurs » sont des imprécisions, du ressenti, un attachement peu rationnel pour un passé mythifié, pour un « naturel » idéalisé, une peur de la liberté en général et de celle des autres, en particulier. Pas un manifestant n’était personnellement lésé, dans des conditions qui puissent être reconnues comme préjudiciables par un juge. Voilà donc ces belles valeurs, un alibi pour contester une évolution dont les seuls risques sont purement abstraits ou éventuels, et dont l’idée même ne peut naître sans le préjugé que des personnes qui n’ont pas les mêmes orientations sexuelles que soi seraient de facto de mauvais parents. Bravo ! Belle mentalité ! Désolé mais si nous partageons des valeurs qui fondent notre destin commun, ce ne sont certainement pas celles-là !

Bien à vous,
L’Ankoù


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès