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Commentaire de Sceptique

sur Mondes persistants, des univers impitoyables


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Sceptique (---.---.27.61) 13 février 2007 15:03

Article intéressant de par le sujet qu’il traite, mais hélas incomplet et teinté d’un parti-pris discutable.

L’exemple d’Eve Online est tristement révélateur des dérives occasionnées par la complexité et la richesse sans cesse grandissantes de ces mondes persistants, dont les joueurs reproduisent à l’échelle virtuels les comportements du monde réel, et bien entendu leurs excès. Je ne m’affolerais pas pour autant de cette affaire de collusion développeur-faction, le petit monde du jeu en ligne est impitoyable et CCP a tout à perdre de ce genre de comportement qui ne traduit en fait que l’égoïsme naturel du joueur passionné qui se cache derrière tout développeur. Par ailleurs, tous les développeurs de MMO ont une tendance à chouchouter leurs plus gros joueurs, sans toutefois aller si loin à chaque fois. Ces relations privilégiées concernent tous les mondes persistants (y compris les amateurs tels ceux de Neverwinter Nights où staff et joueurs les plus réguliers sont forcément en étroite relation) et sont même nécessaires à leur bon fonctionnement, tant qu’il ne s’agit pas d’avantages en nature dont l’obtention peut être préjudiciable aux autres joueurs.

L’avis sur World of Warcraft est totalement à côté de la plaque : en aucun cas Azeroth n’a vocation à être un nouveau modèle de société parfaite, et baser un argument sur une telle remarque est pour le moins incongru. L’enchaînement sur l’exploitation honteuse de la misère du monde ne rajoute pas à la crédibilité, surtout quand il prépare à une énormité : le farming serait « délégué » à des joueurs pauvres pour le plaisir égocentrique des joueurs occidentaux ? Là, on est dans le fantasme pur et dur, et un petit développement sur World of Warcraft et le farming s’impose.

Le farming au sens où l’entend le joueur de WoW consiste à chercher des objets ou composants artisanaux précis dans une zone donnée. Ceux-ci sont utiles pour les combats entre joueurs, les raids dans les donjons de haut niveau, ou tout simplement la spéculation par la valeur qu’ils ont. Selon les besoins, ça peut prendre des heures et des heures, à tourner dans la même zone en enchaînant les monstres. Les composants obtenus en farmant se monnayent cher à l’hôtel des ventes, et sont généralement très recherchés. Mais évidemment, le côté fastidieux de la chose a créé un besoin. Avec le succès bondissant de WoW, des sociétés américaines et chinoises se sont donc lancées dans le farming. Concrètement, bots et joueurs chinois affluent (illégalement) sur les serveurs européens, prennent d’assaut les zones où tombent les matériaux les plus recherchés et ne les lâchent plus. Ce rendement stakhanoviste (la plupart des persos illégaux tournent 24h/24) permet d’amasser des quantités d’or revendues ensuite sur des sites spécialisés, casse l’économie du monde en faisant chuter les cours de composants qui deviennent soudain très courants, et va jusqu’à empêcher le joueur normal d’aller chercher ce dont il a besoin : les endroits qui l’intéressent sont saturés par les farmers ; du coup, celui-ci est obligé d’acheter à l’hôtel des ventes, ce qui rend l’achat de monnaie virtuelle encore plus attractif. Notons que les entreprises de farming chinoises sont généralement composées de pauvres bougres sous-payés qui passent plus de quinze heures par jour dans une cave ou un entrepôt, devant l’écran, pour une compensation ridicule. Et ça ne bénéficie en rien aux joueurs occidentaux, mais bel et bien aux sociétés véreuses sur place qui ont flairé le filon.

Parler de « délégation » des tâches ingrates relève donc du non-sens. Tout ce que les joueurs occidentaux retirent de ce piratage à grande échelle est une baisse des cours qui ne les arrange généralement pas. Certains, face à l’impossibilité de contrer ce genre de phénomène, se servent allégrement des à-côtés ainsi engendrés : la course au pouvoir est ce qu’elle est. Il est ainsi possible de se faire monter son personnage du niveau 1 au niveau 70, pour une somme modique. Mais ceux qui utilisent ce type de service ne s’en vantent généralement pas. Pour autant, ils ne font qu’exploiter eux aussi les failles d’une situation qu’ils n’ont pas voulue. Et dans le petit monde de World of Warcraft, on se passerait bien de ce poison qu’est l’industrialisation du farming.

Une bonne nouvelle pointe toutefois le bout de son nez à cet effet : eBay va prochainement supprimer de son site les ventes de biens virtuels. Cela devrait freiner la surenchère dans un premier temps. Mais le monde persistant est devant un choix : embrasser la logique de marché qui lui tend les bras avec l’apparition proche et programmée de jeux où le pouvoir obtenu sera fonction des achats effectués, en espèces sonnantes et trébuchantes cette fois-ci, ou s’accrocher à son principe vieillissant d’égalité des chances en interdisant l’intervention de tout argent réel, louable mais qui sera contourné tant que les MMO auront leur économie propre.

Comme l’a très bien résumé Ohnil, tous ces mondes virtuels ne seront jamais que le reflet romancé de notre société. Après, on aime, ou pas.


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