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Commentaire de Luc-Laurent Salvador

sur Aristote juif ? L'argent et le commerce chez Aristote, par Keroas


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 28 mars 2013 17:35

Merci pour votre très intéressante réponse.

Votre hypothèse du communisme primitif nous met en accord sur la secondarité du marché.
De quelque manière que l’on se figure les communautés primitives, il est assuré qu’il n’existe rien de tel que ce que nous appelons le marché.

Ce dernier n’est pas premier (sic), à l’origine il n’existe pas. Les économistes repasseront.

Mais dès le pas suivant, nous nous retrouvons en désaccord.

Car le sacrificiel et donc le religieux est absent du modèle du communisme primitif alors que, comme l’a montré René Girard, il est la clé qui tient la communauté rassemblée au lieu qu’elle se divise à l’occasion des conflits pour les objets appropriables et donc difficilement partageables car hautement (mimétiquement) désirables que sont, par exemple, les aliments, les femmes ou le pouvoir.

Si cette « originarité » du conflit (issu de la rencontre des désirs mimétiques pour un même objet d’appropriation) n’est pas prise en compte, on est juste dans la fable.

Le désir d’appropriation a toujours été là, constamment  renforcé par l’imitation et la rivalité qu’elle amène.

Quand la force du système religieux, avec rites sacrificiels et tabous (sur les aliments, les femmes, etc.) faiblit et ne peut plus contenir la puissance du désir mimétique, ce dernier ressurgit, mais il ne naît pas du néant. J’y insiste, il a toujours été déjà là.

On peut se focaliser autant qu’on veut sur le non appropriable, l’appropriable est toujours là à susciter les conflits qui peuvent dissoudre la communauté.

C’est de cela dont Girard a pu rendre compte avec son anthropologie générale qui fait du sacrifice la source de toutes les cultures humaines, religieuses par construction.

Ceci étant, même sans prendre en compte cet aspect, votre position est problématique car tout en niant d’entrée de jeu la primauté du marché, en convenant qu’à l’origine était le « non marché », vous faites apparaître ce dernier (un peu par miracle  smiley il me semble, avec la formule "Et puis il s’est passé au cours du temps une modification" ) pour à nouveau postuler une forme de troc avant l’émergence de la monnaie.

Donc vous persévérez dans la chaîne causale « troc —> monnaie » dont toute l’anthropologie et l’histoire montre qu’elle n’a jamais existé. La monnaie n’est pas née de la nécessité d’optimiser le troc.

Cette chaîne causale est un mythe, une contruction post hoc.

La monnaie n’est pas une émergence du plan horizontal de l’échange, elle est issue de la verticale, cad, de la dimension religieuse, actée dans le sacrifice, source originelle de l’institution de la royauté et donc fondation du pouvoir temporel.
Je pense que d’un point de vue anthropologique et historique, ceci n’est pas contestable.

Ma conviction est que c’est sur cette dimension verticale qu’il faut chercher l’origine de la monnaie.

L’histoire de la Mésopotamie montre que c’est dans les temples, lieux de tous les sacrifices consentis aux différentes divinités, que sont apparus, complètement intriqués, les fonctionnements que nous reconnaissont à présent comme étant ceux de la dette (donc du crédit), de la monnaie et donc de l’échange d’une chose pour une autre.

Tout se passe comme si le temple avait été le lieu d’un marché « originel » entièrement sous le contrôle de l’institution religieuse et ensuite de l’institution royale qui l’a semble-t-il, imitée (le roi, vivant, prenant en somme la place de la divinité)

Graeber écrit par exemple :

Certains des tout premiers documents écrits qui nous sont parvenus sont des tablettes mésopotamiennes enregistrant des crédits et débits, des rations données par les temples, des sommes dues pour la location des terres appartenant aux temples, chacune de ces valeurs étant exactement précisées en grain ou en argent

Du point de vue de l’anthropologie sacrificielle de René Girard, cela fait sens que la valeur des choses soit mesurée à l’aune de ces valeurs de références que sont les offrandes rituelles (donc exactement fixées) que l’on fait aux divinités pour se remettre de ses dettes à leur égard.

Rien de surprenant à ce que les monnaies aient si souvent été de par le monde les animaux habituellement sacrifiés.

Ainsi du temps d’Homère, la valeur d’un bateau par exemple se mesurait en boeufs et se payait en n’importe quoi d’acceptable dont la valeur correspondait au montant fixé de boeufs.

Voilà la piste que je veux tenter de creuser afin de comprendre la monnaie dans le contexte de la logique sacrificielle dont j’ai montré ailleurs qu’elle est ce par quoi nous construisons socialement (cad mimétiquement) la réalité.

Sous ce rapport Agoravox me paraît un excellent endroit pour penser à haute voix car je ne cesse de constater qu’il y a une impressionnante somme de connaissances présente dans l’esprit des lecteurs et je trouverais extrêment intéressant que des ateliers de réflexions puissent s’initier autour de thèmes porteurs comme celui-ci.

J’avoue ne pas connaître les ateliers E&R dont j’aurais toutes raisons de souhaiter intégrer car j’apprécie la pensée de Soral, mais je ne vois pas l’intérêt d’intégrer un cercle fermé.
L’intelligence collective vient d’abord du nombre, donc de l’ouverture.

Mais en définitive, donc, qui est l’auteur véritable du texte que vous avez publié ?

PS : bien sûr, je vous tiendrai au courant de mes recherches car les premiers écrits seront pour Agoravox.


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