LETTRE
OUVERTE
DE
L’ASSOCIATION
DE DEFENSE DES INVENTEURS FRANCAIS
A
Madame
Edith CRESSON
Premier
Ministre
Hotel
Matignon
75007
PARIS
Paris
le 5 juin 1991
Madame le Premier Ministre,
Il faut remonter loin dans le temps pour
trouver un Premier ministre qui a montré, comme vous, à sa nomination, autant
de détermination et autant d’ardeur à vouloir redresser la France. Tant de
souci du bien public et de l’intérêt national encouragent les inventeurs que
nous sommes à vouloir vous alerter.
A l’aube de son premier septennat, le
Président François MITTERRAND avait prescrit :
"Il
nous faut mettre en oeuvre une volonté industrielle grâce en particulier au
développement de la recherche et de l’innovation."
Il est bien connu en effet que sans
innovations, dont la principale source sont les inventeurs (voir en particulier
INNOVATION AND ENTREPRENEURSHIP de Peter F. DRUCKER), une entreprise ne peut
légalement s’affranchir de la concurrence, et, par conséquent, est vouée à une
mort plus ou moins accélérée, avec le cortège des conséquences qu’endure
aujourd’hui notre pays :
- inflation du
nombre des chômeurs ;
- augmentation
du déficit commercial ;
- incapacité
croissante à supporter les charges sociales.
C’est dire que si vous ne parvenez pas à
mobiliser maintenant les inventeurs français, et pas seulement les quelques
inventeurs que compte notre organisation, votre grand plan de redressement est
condamné d’avance. Et vous risquez à terme de perdre toute crédibilité et, avec
vous, la majorité présidentielle toute entière.
Et que faudrait-il pour mobiliser les
inventeurs ?
Tout simplement adopter les deux mesures
de propriété industrielle sur lesquels s’appuie l’économie de notre plus grand
concurrent : le Japon. Comme l’a rapporté le député Claude GERMON au retour
de sa mission dans ce pays en 1985 :
"Les
Japonais pensent presque unanimement que le système de propriété industrielle a
été le facteur essentiel de la croissance économique de leur pays après-guerre
... Le système de propriété industrielle a joué le rôle de stimulant vis à vis
de la concurrence en matière d’innovation, et a permis d’élever le moral des
travailleurs japonais et de favoriser la pensée créatrice."
Plus précisément, le Professeur Teruo
DOI, de l’Université WASEDA de Tokyo, a déclaré :
"The
remarkable achievements of Japanese companies in terms of technological advance
during the past three decades after the war, could not have been made without
adequate incentives for employees’ inventive activities. Such incentives
include the legal protection of the rights of employee inventors and the
provision of compensation for their inventions".
Depuis trente ans, les Japonais
appliquent tranquillement un cocktail de deux mesures, une sorte de fusée à
deux étages :
- premier
étage : le système du premier inventeur (alinéa 6 de l’article 39 de la loi
japonaise sur les brevets)
- deuxième
étage : intéressement des inventeurs salariés aux profits générés par leurs
inventions de mission (alinéas 3 & 4 de l’article 35 de loi japonaise sur
les brevets).
Grâce à cette fusée la courbe des dépôts
de demandes de brevet s’est envolée au rythme de 8,5% l’an et le Japon est
devenu le premier producteur d’innovations du monde (50 fois plus de dépôts de
brevets au Japon qu’en France). A coté de cela, aux USA avec seulement le
premier étage et en Allemagne avec seulement le second étage de cette fusée, la
courbe stagne et ces deux pays, qui ont encore de bons résultats économiques,
commencent à souffrir sérieusement de la concurrence japonaise.
En France, sans aucun de ces étages, la
courbe des dépôts régresse et l’économie s’effondre.
Pays
des droits de l’homme, la France manque à son destin.
Le 7 janvier 1791, l’Assemblée Nationale avait voté, dans le cadre de l’article
17 de la Déclaration de 1789, une loi sur les brevets qui conférait à
l’inventeur la propriété de son invention (ce que respecte la loi japonaise en
vigueur).
En 1844, cette loi a été remplacée par
une loi contraire, qui a introduit le système du premier déposant, système
consacré par la loi actuelle (de 1968, modifiée en 1978 et 1990). Parce qu’il
expose les inventeurs salariés ou indépendants au pillage de leurs inventions
par les entreprises, ce système les incite à garder secret le fruit de leurs
découvertes.
Le plus fâcheux c’est qu’en appliquant
la loi actuelle des brevets, la France viole un Pacte de la Charte
Internationale des Droits de l’Homme que le Parlement français a approuvé le 4
novembre 1980, Pacte qui a une autorité supérieure aux lois en vertu de
l’article 55 de notre Constitution. L’article 15.1.c du Pacte des Droits
Economiques, Sociaux et Culturels, accorde en effet aux créateurs industriels
les mêmes droits moraux et matériels sur leurs créations qu’aux créateurs
artistiques car les Etats parties au présent pacte reconnaissent à chacun le
droit de :
"bénéficier
de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute
production scientifique,
littéraire ou artistique dont il est l’auteur".
Ce qui fait que si la France respectait
vraiment les Droits de l’Homme, ses entreprises industrielles pourrait
caracoler aux premières places mondiales comme le font leurs homologues
artistiques, en particulier dans le domaine de la Haute Couture.
"Considérant que l’ignorance,
l’oubli ou le mépris des Droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs
publics", nous restons évidemment à votre disposition pour vous fournir
tout éclaircissement, référence, ou détail supplémentaire.
Le passé a largement démontré que
vouloir redresser l’économie à coups d’aides financières aux entreprises sans
que celles-ci disposent réellement d’innovations, revient à vouloir relancer la
production d’un champ par des apports massifs d’engrais en oubliant les
semences dans le sac.
Vous pouvez être assurée, Madame le
Premier Ministre, de toute notre considération
Philippe
BERNA
2
rue du Clair Soleil - 86130 JAUNAY CLAN