Du
droit de l’inventeur et de celui du créateur
La question du caractère mondial ou national
de la crise soulevée en introduction de sa remarque par M. Laurent Simon recoupe
la question 2, relative au financement des inventions et des créations. J’y
reviendrai dans la réponse 2. La présente réponse ne vise que les autres
aspects du premier message. Ma thèse est que le droit du créateur est plus élaboré
et donc préférable au droit de l’inventeur.
D’abord, il est
établi (voir en particulier les articles français, et plus encore anglais, de Wikipedia sur le
brevet et sur le patent) que le brevet a des origines et reste de nature
monarchique. Encore aujourd’hui, c’est le souverain qui octroie un monopole
temporaire au déposant d’un brevet.
Il ne s’agit pas de la reconnaissance d’un
droit de propriété. C’est un droit créé par l’Etat. Une personne informée peut empêcher
le dépôt d’un brevet en publiant l’invention. Les intérêts de la défense
nationale peuvent justifier le détournement de l’invention hors du libre
marché.
Le brevet donne le droit au titulaire déposant
de demander au juge d’interdire à un tiers d’exploiter la caractéristique
revendiquée dans son brevet dans le territoire relevant de la souveraineté
concernée. Mais ce tiers peut demander l’annulation du brevet, qui est délivré
sans garantie du gouvernement responsable. S’il obtient gain de cause, les
effets du brevet cessent dans le territoire concerné.
L’auteur possède un droit de propriété sur son
œuvre, sans que le souverain intervienne. Pareillement l’auteur (créateur d’une
œuvre originale) peut interdire à un tiers d’exploiter son œuvre. Le tiers peut
contester l’opposabilité de l’œuvre en prouvant son absence d’originalité.
Ensuite, l’invention
et la création ne désignent pas les mêmes objets en droit.
Un brevet d’invention revendique une
caractéristique technique nouvelle – pratiquement
plus depuis longtemps, à l’opposé de ce que le public croît, un produit nouveau.
Une création vise une œuvre économique originale, plutôt qu’un truc particulier,
marquée par l’empreinte de son auteur. Ainsi dans son brevet Roland Moreno
revendiquait un :
Comparateur de phase numérique
fournissant des valeurs numériques (E) correspondant aux différences de phase
entre un premier signal (F) ayant un rapport cyclique proche de 0,5 et un
deuxième signal (Fref), caractérisé en ce qu’il comprend un compteur (30) à
sens unique initialisé à la fréquence du premier signal et cadencé par un
signal d’horloge (CK) de fréquence élevée par rapport à celle des premier et
deuxième signaux, et comprenant une porte logique (32) pour valider le compteur
quand les premier et deuxième signaux sont à des états respectifs
prédéterminés, une différence de phase étant considérée comme nulle lorsqu’elle
correspond approximativement à la moitié de la capacité du compteur.
Alors que l’œuvre économique de Roland Moreno
est une carte à puce remplie de multiples savoir-faire, de divers logiciels,
dont certains furent empruntés au domaine public et d’autres furent l’œuvre d’autres
créateurs.
Comme vous le soulignez, la grande différence
entre le brevet et le droit d’auteur réside dans le fait que le premier est
inabordable pour l’inventeur alors que le second est a priori gratuit. Le droit
des créateurs est démocratique, tandis que le droit des brevets, capté par les grands
déposants, ne l’est plus vraiment. Dans le monde global où nous sommes, la base
inventive des nations s’est trouvée singulièrement rétrécie ; à l’heure où
ce même monde en a le plus besoin.
D’autres différences mériteraient d’être
soulignées. Par exemple :
- pour des coûts au départ très réduits, le
créateur peut monter des dossiers numériques étendus prouvant ses droits de
manière beaucoup plus étoffée que le brevet dont l’ancienneté remonte à bien
avant la création de la machine à écrire ;
- la durée de vie effective des brevets est
extrêmement courte et le nombre des inventeurs qui ne disposèrent pas du temps
de développer leurs inventions est légion ; celle du droit d’auteur,
beaucoup plus longue, est favorable au plein développement d’une œuvre économique
– comme à son financement.
Nous y reviendrons sans doute.
Enfin, le droit d’auteur
offrirait, selon vous, le désavantage par rapport au droit des brevets de mal
distinguer l’apport des créations précédentes, concomitantes ou postérieures. Cette
question se posait sans doute pour la carte à puce de Roland Moreno. Le
problème des inventions et des améliorations dépendantes existe aussi pour les brevets.
Mais vous avez deux fois raisons. En premier
lieu, et surtout, parce que le problème de la pluralité d’inventeurs est
moindre pour les brevets est moindre car selon la théorie, l’invention
appartient au premier déposant ; toutes les autres inventions non
brevetées sont soumises au libre pillage. En second lieu, parce que la durée de
vie du droit d’auteur étant plus longue, ce problème se pose avec plus d’acuité.
Toutefois, ainsi qu’on vient de le dire, les
créations plus étoffées, donc plus visibles. Alors que les brevets privilégient
des revendications tarabiscotées par des professionnels pour servir, dès le
départ, de support à des procès, les œuvres des créateurs s’imposent plus
naturellement par elles-mêmes, par leur force propre.
Les créateurs sont poussés à passer les
accords de coopération nécessaires à l’épanouissement de leurs œuvres. Ce
système est particulièrement développé dans le cinéma où de multiples auteurs
prennent part à la réalisation d’une œuvre – la longueur des génériques en
témoigne. Ce système est pratiqué chez les auteurs de logiciels et ces accords
de coopération prennent de plus en plus d’importance.
Dans un passé plus lointain, contemporain de
la création du droit d’auteur par Caron de Beaumarchais, il m’étonnerait que Rousseau
se soit opposé à l’hommage que Mozart avait voulu rendre à son œuvre en
écrivant l’Opéra de Bastien et Bastienne (Cf. la poste consacrée à la Musique de Mozart recréant Jean-Jacques Rousseau).