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Commentaire de Alain SOULOUMIAC

sur Création, croissance et responsabilité


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Alain SOULOUMIAC Alain SOULOUMIAC 5 septembre 2014 09:30

Du droit de l’inventeur et de celui du créateur

La question du caractère mondial ou national de la crise soulevée en introduction de sa remarque par M. Laurent Simon recoupe la question 2, relative au financement des inventions et des créations. J’y reviendrai dans la réponse 2. La présente réponse ne vise que les autres aspects du premier message. Ma thèse est que le droit du créateur est plus élaboré et donc préférable au droit de l’inventeur.

D’abord, il est établi (voir en particulier les articles français, et plus encore anglais, de Wikipedia sur le brevet et sur le patent) que le brevet a des origines et reste de nature monarchique. Encore aujourd’hui, c’est le souverain qui octroie un monopole temporaire au déposant d’un brevet.

Il ne s’agit pas de la reconnaissance d’un droit de propriété. C’est un droit créé par l’Etat. Une personne informée peut empêcher le dépôt d’un brevet en publiant l’invention. Les intérêts de la défense nationale peuvent justifier le détournement de l’invention hors du libre marché.

Le brevet donne le droit au titulaire déposant de demander au juge d’interdire à un tiers d’exploiter la caractéristique revendiquée dans son brevet dans le territoire relevant de la souveraineté concernée. Mais ce tiers peut demander l’annulation du brevet, qui est délivré sans garantie du gouvernement responsable. S’il obtient gain de cause, les effets du brevet cessent dans le territoire concerné.

L’auteur possède un droit de propriété sur son œuvre, sans que le souverain intervienne. Pareillement l’auteur (créateur d’une œuvre originale) peut interdire à un tiers d’exploiter son œuvre. Le tiers peut contester l’opposabilité de l’œuvre en prouvant son absence d’originalité.

Ensuite, l’invention et la création ne désignent pas les mêmes objets en droit.

Un brevet d’invention revendique une caractéristique technique nouvelle – pratiquement plus depuis longtemps, à l’opposé de ce que le public croît, un produit nouveau. Une création vise une œuvre économique originale, plutôt qu’un truc particulier, marquée par l’empreinte de son auteur. Ainsi dans son brevet Roland Moreno revendiquait un :

Comparateur de phase numérique fournissant des valeurs numériques (E) correspondant aux différences de phase entre un premier signal (F) ayant un rapport cyclique proche de 0,5 et un deuxième signal (Fref), caractérisé en ce qu’il comprend un compteur (30) à sens unique initialisé à la fréquence du premier signal et cadencé par un signal d’horloge (CK) de fréquence élevée par rapport à celle des premier et deuxième signaux, et comprenant une porte logique (32) pour valider le compteur quand les premier et deuxième signaux sont à des états respectifs prédéterminés, une différence de phase étant considérée comme nulle lorsqu’elle correspond approximativement à la moitié de la capacité du compteur.

Alors que l’œuvre économique de Roland Moreno est une carte à puce remplie de multiples savoir-faire, de divers logiciels, dont certains furent empruntés au domaine public et d’autres furent l’œuvre d’autres créateurs.

Comme vous le soulignez, la grande différence entre le brevet et le droit d’auteur réside dans le fait que le premier est inabordable pour l’inventeur alors que le second est a priori gratuit. Le droit des créateurs est démocratique, tandis que le droit des brevets, capté par les grands déposants, ne l’est plus vraiment. Dans le monde global où nous sommes, la base inventive des nations s’est trouvée singulièrement rétrécie ; à l’heure où ce même monde en a le plus besoin.

D’autres différences mériteraient d’être soulignées. Par exemple :

- pour des coûts au départ très réduits, le créateur peut monter des dossiers numériques étendus prouvant ses droits de manière beaucoup plus étoffée que le brevet dont l’ancienneté remonte à bien avant la création de la machine à écrire ;

- la durée de vie effective des brevets est extrêmement courte et le nombre des inventeurs qui ne disposèrent pas du temps de développer leurs inventions est légion ; celle du droit d’auteur, beaucoup plus longue, est favorable au plein développement d’une œuvre économique – comme à son financement.

Nous y reviendrons sans doute.

Enfin, le droit d’auteur offrirait, selon vous, le désavantage par rapport au droit des brevets de mal distinguer l’apport des créations précédentes, concomitantes ou postérieures. Cette question se posait sans doute pour la carte à puce de Roland Moreno. Le problème des inventions et des améliorations dépendantes existe aussi pour les brevets.

Mais vous avez deux fois raisons. En premier lieu, et surtout, parce que le problème de la pluralité d’inventeurs est moindre pour les brevets est moindre car selon la théorie, l’invention appartient au premier déposant ; toutes les autres inventions non brevetées sont soumises au libre pillage. En second lieu, parce que la durée de vie du droit d’auteur étant plus longue, ce problème se pose avec plus d’acuité.

Toutefois, ainsi qu’on vient de le dire, les créations plus étoffées, donc plus visibles. Alors que les brevets privilégient des revendications tarabiscotées par des professionnels pour servir, dès le départ, de support à des procès, les œuvres des créateurs s’imposent plus naturellement par elles-mêmes, par leur force propre.

Les créateurs sont poussés à passer les accords de coopération nécessaires à l’épanouissement de leurs œuvres. Ce système est particulièrement développé dans le cinéma où de multiples auteurs prennent part à la réalisation d’une œuvre – la longueur des génériques en témoigne. Ce système est pratiqué chez les auteurs de logiciels et ces accords de coopération prennent de plus en plus d’importance.

Dans un passé plus lointain, contemporain de la création du droit d’auteur par Caron de Beaumarchais, il m’étonnerait que Rousseau se soit opposé à l’hommage que Mozart avait voulu rendre à son œuvre en écrivant l’Opéra de Bastien et Bastienne (Cf. la poste consacrée à la Musique de Mozart recréant Jean-Jacques Rousseau).


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