« Alors le rire, parlons-en et parlons-en aujourd’hui,
alors que notre invité est Jean-Marie Le Pen. Car la présence de Monsieur Le
Pen en ces lieux voués le plus souvent à la gaudriole para-judiciaire pose
problème. Les questions qui me hantent, avec un H comme dans Halimi sont
celles-ci :
Premièrement, peut-on rire de tout ?
Deuxièmement, peut-on rire avec tout le
monde ?
-
À la première question, je répondrai oui sans
hésiter, et je répondrai même oui, sans les avoir consultés, pour mes
coreligionnaires en subversions radiophoniques, Luis Rego et Claude Villers.
S’il est vrai que l’humour est la politesse
du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les
bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est
vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins
véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de
tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. [...]
-
Deuxième question : peut-on rire avec tout le
monde ?
-
C’est dur… Personnellement, il m’arrive de
renâcler à l’idée d’inciter mes zygomatiques à la tétanisation crispée. C’est
quelquefois au-dessus de mes forces, dans certains environnements humains : la
compagnie d’un stalinien pratiquant me met rarement en joie. Près d’un
terroriste hystérique, je pouffe à peine et, la présence, à mes côtés, d’un
militant d’extrême droite assombrit couramment la jovialité monacale de cette
mine réjouie dont je déplore en passant, mesdames et messieurs les jurés, de
vous imposer quotidiennement la présence inopportune au-dessus de la robe
austère de la justice sous laquelle je ne vous raconte pas. «
Pierre Desproges