pourquoi le FN n’a pas dans son programme la sortie inconditionnel de l’UE ?
Pourquoi ne nous donnez vous pas les citations de Le Pen défendant la construction européenne pour combattre l’URSS ?
Toujours aussi actif dans le combat culturel,
François Ruffin nous propose cette fois une analyse sur l’évolution du
programme économique du Front national. Le rédacteur en chef de Fakir part
d’un constat simple : aujourd’hui, le discours économique et social du
parti d’extrême droite lui paraît de plus en plus proche du sien. En
effet, après avoir été un parti ultra-libéral et atlantiste prônant une
« révolution fiscale » – entendez par-là, une baisse drastique des
impôts – et critiquant les « perversions étatiques » le FN s’est
progressivement mué en un parti s’opposant au « capitalisme
mondialisé », à la « mondialisation sauvage » ou encore au « règne de la
finance ». Ce changement de bord s’accompagne d’un ralliement de plus
en plus massif des ouvriers qui était 17,9% à voter pour Marine Le Pen
lors de l’élection présidentielle de 2012 (33% pour les seuls inscrits).
Le but de « Pauvres actionnaires ! » est de comprendre comment et pourquoi cette mutation s’est opérée.
La tâche s’annonce plutôt compliquée pour l’auteur. En effet, il
commence par chercher dans la documentation déjà existante, ce qui se
révèle être un échec : de la littérature orthodoxe (type Caroline
Fourest) à celle plus à gauche (comme les analyses syndicales de la CGT,
Sud, …), rien de transcendant. Toutes les analyses consistent à
dénoncer l’irréalisme présumé du protectionnisme ou de la sortie de
l’euro. Pourtant, un travail approfondi semble être une nécessité,
surtout pour Ruffin qui est partisan d’un cordon sanitaire avec le parti
mariniste, mais partage avec celui-ci certaines critiques
(mondialisation, euro). C’est ainsi qu’il décide plutôt de se plonger
dans 40 ans de programmes et de discours du FN.
Ruffin dégage sept thèmes où le parti lepenniste a changé de cap :
l’étatisme économique, les services publics, la question européenne, le
mondialisme, les impôts, les entreprises et la précarité. A sa
formation, le FN est avant tout un parti anticommuniste. L’immigration
n’est d’ailleurs pas une obsession au départ. Ni chez Jean-Marie Le Pen,
qui en 1958, en pleine campagne pour la défense de l’Algérie française,
expliquait que les musulmans pouvaient être des citoyens français comme les autres.
Ni chez les autres leaders du Front, le parti attend 1984 avant de voir
en l’immigration la cause de l’explosion naissante du chômage. Dans ces
conditions, l’étatisme français est vu comme une « subversion
marxiste ». Jean-Marie Le Pen déclare même lors des législatives 1981 :
« Le socialisme c’est au départ l’Etat providence, puis l’Etat patron, pour finir par l’Etat kapo ».
Pour le leader FN, qui se voit en « Reagan français », il faut
désengager au maximum l’Etat et libérer les entreprises nationalisées.
L’Europe est alors un rempart au communisme : même si le parti d’extrême
droite n’est pas franchement convaincu, il se rallie à la construction
européenne contre l’ « impérialisme soviétique ». Sur la mondialisation,
c’est par contre plus subtile. En 1977, le champion du patriotisme
économique est le Parti communiste français et son leader de l’époque, Georges Marchais.
Ce n’est qu’en 1988 que le FN s’empare du thème, dénonçant sur un tract
dans la même phrase « importation sauvage » et « immigration du
tiers-monde ». Voilà comment le Front mue en parti libéral, mais non
libre-échangiste. Ruffin souligne pertinemment que les « importations
sauvages » deviennent le pendant économique de « l’immigration
clandestine », dans une vision proche du choc des civilisations
entre Nord et Sud. Dans le même temps, on ne peut pas dire que le FN
des années 1980 soit très familier avec l’impôt, son leader ne voulait
pas moins que le détruire en défendant une « révolution fiscale ».
Marine Le Pen a d’ailleurs été sur cette ligne jusqu’en 2004 où la
baisse « charges » était sa deuxième préoccupation, après l’immigration,
lors des européennes. De leur côté, les entreprises ont longtemps été
vues comme des victimes de l’Etat. Au point que l’ancien député FN
François Porteu de la Morandière, le 29 avril 1986, parle de « pauvres
actionnaires » pour dénoncer un projet de loi visant à instaurer une
participation des salariés aux conseils d’administrations des grandes
entreprises. Pour finir, combattre la précarité n’est que depuis peu une
préoccupation du parti d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen dénonçait
même au printemps 2006 les manifestations anti-CPE.