Je ne sais pas combien
vous allez consacrer de d’articles sur le sujet. Mais à mon avis vous auriez pu
vous éviter celui-là ou évoquer puisque je devine déjà votre thèse qui
transparait dans le titre, avec d’ailleurs un paradoxe d’ores et déjà évident puisqu’une
loi serait donc vecteur de non-droit, visant à noter un retour en arrière quant
à la nature des rapports entre salariés et patronat, évidemment au détriment
des premiers. Partir de l’antiquité grecque pour appuyer cela me semble quand
même assez osé.D’autant plus osé que ce
genre de raccourci, car on ne s’improvise pas Marx en quelques petites dizaines
de lignes, ne résiste guère à l’analyse.
On ne peut guère
comparer ce qui est comparable. Si votre analyse veut s’appuyer sur les
rapports de production uniquement, et ça semble être le cas, elle écarte avec
mépris un contexte social, ou d’organisation de la société fondé sur des
croyances, des valeurs, des rapports de force très éloignés de ces rapports de
production. Par exemple vous dites à propos du Moyen-Age que seigneurs et serfs
correspondaient à une division binaire de la société. C’est absolument faux. La
société médiévale est d’une grande complexité et certainement pas binaire. Vous
avez sans doute entendu parler des oratores, des bellatores et des
laboratores. Au passage inclure le métier des armes dans le travail
manuel selon votre expression ne me parait guère pertinent. Et le seul vrai
conflit qui a duré des siècles fut celui qui opposa le pouvoir religieux au
pouvoir temporel avec d’ailleurs aucun vrai vainqueur, ce qui offrait de belles
perspectives, ou du moins le terreau de cette séparation du spirituel et du
temporel qui est une des marques fondamentales de l’occident. A partir de ça on
pourrait d’ailleurs expliquer quelques tensions contemporaines. Mais au-delà de
de contexte général qui ne peut-être qu’ébauché ici il existe de très fortes
disparités au sein de cet ordre que vous regroupez allégrement sous le terme de
serfs et qui constitue effectivement la force de travail au sens très large.Mais et c’est peut-être
là où votre survol historique perd totalement sa pertinence, c’est que cette
organisation de la société exclut la notion d’individu. L’individu quand il
existe, c’est le déviant, celui qui trahit sa communauté.
Vous voyez peut-être où
je veux en venir. Il n’y a pas d’universalisme ni dans l’espace, ni dans le
temps et parler d’une loi sur le travail dans la France de 2016 avec en
perspective de fond des époques et même des lieux très différents me semble
être une erreur ou alors la marque de la volonté de satisfaire ceux qui dès
qu’on essaie de toucher à ce qu’on appelle très abusivement des acquis sociaux
nous renvoient à des périodes passées souvent méconnues par ailleurs.
Puisque votre sujet est
la loi El Khomry, que cette loi s’appliquera ou pas en France, il est peut-être
plus logique de circonscrire votre retour vers le passé, si vous jugez utile
d’en faire, à cette même France et de restreindre la période. Et donc d’éviter
de comparer le serf, partie d’une communauté, d’un ordre, et qui ne perçoit
sans doute pas ou guère comme un injustice le déterminisme dont il est la
victime, au salarié contemporain, individu avant tout et dont la place dans la
société est aussi celle qu’il a su se faire, nonobstant quelques réelles
pesanteurs sociales que les réformes avant-gardistes qui ont percuté
l’éducation nationale depuis la fin des années 70 n’ont fait qu’accentuer.