Fidel et les vautours
par Jean-Pierre Garnier
Évitons
d’emblée tout malentendu. Pour avoir été arrêté et emprisonné en
septembre 1971 à La Havane, après cinq années de séjour professionnel à
Cuba, par la police politique (le G2) sous l’accusation d’« espionnage »
et de « propagande contre-révolutionnaire » — un simple délit d’opinion,
en fait, dû aux doutes que j’avais maintes fois et publiquement exprimés
devant des visiteurs étrangers sur le caractère socialiste du « régime »1
castriste —, on ne saurait me ranger parmi les inconditionnels de
celui-ci. Et cela d’autant moins qu’une fois revenu en France, je
me suis employé à rédiger une thèse, un ouvrage et plusieurs articles
pour étayer mon point de vue par une argumentation en bonne et due
forme. Cela précisé, je ne puis rester silencieux devant le déluge
d’insanités déversées à la chaîne par le complexe
politico-intello-médiatique hexagonal, sitôt annoncé le décès du leader
de la révolution cubaine.
De
révélations-bidon en mensonges éhontés, de diatribes hystériques en
pseudo-analyses plus niaises et plus simplistes les unes que les autres,
ce fut à qui dans les pages des journaux ou à l’antenne se montrerait
le plus disert pour dire tout le mal qu’il pensait du défunt. On
chercherait en vain dans cette prose aussi incendiaire qu’inepte un
indice quelconque de connaissance sérieuse de la réalité sociale
cubaine. En revanche, on y décèlera sans peine, pour peu que l’on se
refuse de hurler avec les loups, la confirmation de l’état de
dégénérescence idéologique avancée atteint par les gens qui, en France,
se font fort de « gouverner le peuple » ou de « former l’opinion ».
À
cet égard, les représentants de la vraie droite sont difficiles à
distinguer de ceux de la fausse gauche tant les invectives adressées à
feu le « dictateur cubain » et son « régime » sont interchangeables. Bien
sûr, on retrouve dans la meute, comme il fallait s’y attendre, les
chiens de garde anticommunistes habituels, de la droite extrême à la
droite « républicaine », peu regardants, comme à la belle époque de la
guerre froide, sur ce que recouvre réellement l’appellation « socialiste »
accolée au régime cubain pas plus que le terme « communiste » dont est
gratifié son parti dirigeant. Il suffit de prononcer ces deux mots sans
manifester de colère ou de dégoût pour qu’ils voient rouge.
Énorme « ouf » de soulagement, par exemple, en une du Figaro : « Fidel Castro est mort, une page de l’histoire du XXe siècle se tourne ». La page des révolutions, bien entendu. « Le mythe et la dictature », titrait sans surprise L’Express avant que deux éditorialistes de service ne démarrent sur les chapeaux de roues :
« À l’origine d’un désastre économique et d’un chaos moral, "El
Comandante" a mystifié le monde entier pour atteindre le seul objectif
qui lui importait : entrer dans l’Histoire. Son décès, le 25 novembre,
dévoile la face noire du dernier « géant du XXe siècle » ». Le Courrier
international, du groupe de L’Immonde, n’y allait pas non plus par quatre chemins pour annoncer en couverture la bonne nouvelle « Fidel Castro : CUBA LIBÉRÉE »