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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « 3 h 10 pour Yuma », une Amérique de légendes...

« 3 h 10 pour Yuma », une Amérique de légendes...

Je viens de voir 3 h 10 pour Yuma de James Mangold, avec notamment Russell Crowe, Christian Bale et Peter Fonda. Ce film de 2 heures et 2 minutes a le goût des chiffres (3 h 10 donc / mais aussi 22 hold-up au compteur du truand Ben Wade / 200 $ de prime pour le convoyeur Dan Evans s’il réussit / 1 000 $ promis par Wade à Evans sur les 10 x 1 000 $ de son précédent coup / Wade s’est échappé 2 fois de Yuma / les desperados de la bande de Wade sont-ils 7 ou 8 ? demande-t-on à un gamin qui fait le gay, euh pardon, le guet et ainsi de suite). Ce film de chef de gare (!), à tendance train-fantôme (le train qui donne le titre au film arrivera désespérément en retard), est le remake - cinquante ans après pour être exact - d’un film de 1957 signé Delmer Daves, Trois heures dix pour Yuma, d’après un scénario d’Elmore Leonard, auteur chouchou, comme on le sait, entre autres, de Tarantino.

Le pitch est simple : il s’agit d’un « duel » entre un bandit, Ben Wade, et un fermier, Dan Evans. Celui-ci, revenu blessé de la guerre de Sécession, est un brave fermier avec femme et enfants sans le sou. Parce qu’il a besoin d’argent et parce qu’il veut coûte que coûte retrouver l’estime de son fils aîné (Will, 14 ans) qui le prend pour un branquignol, Evans accepte de convoyer Wade à la ville voisine - Yuma - où passe le train (qui) sifflera trois fois, ou presque. Mais le chemin (de traverse) est semé d’embûches et de coups bas. C’est un western se voulant psychologique, hanté par le passé, à l’instar par exemple de La Vallée de la peur (1947) de Raoul Walsh. On assiste à l’affrontement de deux hommes aux valeurs, semble-t-il, opposées. On se souvient de cette fameuse phrase d’Alfred Hitchcock, « Plus le méchant est réussi, meilleur est le film. » C’est le cas ici, moins d’ailleurs en la personne de Ben Wade (Russell Crowe, pataud à souhait) qu’en celle de son faire-valoir carrément à l’Ouest, un certain Charlie Prince, joué impeccablement par Ben Foster. C’est lui d’ailleurs qu’on voit de dos sur l’affiche française avec son manteau-grisaille et ses colts noirs comme la cendre - c’est effectivement le clou du film selon moi, chapeau bas ! Il est d’une extrême sauvagerie (il peut vous brûler vif un homme dans une diligence en deux temps trois mouvements), bref c’est une brute épaisse concernant ses envolées lyriques de violence graphique, mais, d’un autre côté, il y a du dandy en lui, il est efféminé, et ce, dès sa première apparition à l’image - ainsi, on se demande sans cesse s’il n’est pas complètement amouraché de son boss. Sans vouloir plaquer une idée reçue (l’homosexualité à l’œuvre dans le cinéma pour hommes par excellence qu’est le genre western), on ne peut s’empêcher de trouver toutes ces brutes épaisses de cow-boys à l’œuvre dans 3 h 10 pour Yuma bien attirées les unes par les autres. Nos deux personnages principaux (Ben Wade/Dan Evans) ne cessent de tourner autour du pot et de se tourner autour, allant même jusqu’à se faire quelques confidences au coin du feu, en pleine nature ou dans la ville en construction (Contention), juste après avoir essuyé une volée de tirs croisés. Ils semblent en pincer l’un pour l’autre, c’est évident. Ce jeu du chat et de la souris entre eux, oscillant entre fascination et répulsion, participe aussi de l’attirance (homosexuelle ?) que semble éprouver Evans pour Wade, et vice versa ? D’ailleurs, le fils de Dan Evans n’est pas en reste non plus, il a les yeux tout mouillés quand il regarde son idole, Ben Wade.

A part ça, le film se laisse voir avec plaisir, c’est un cinéma de grands espaces (on va de Bisbee à Yuma via Contention) et d’acteurs cinémascopiques à souhait (face-à-face d’acteurs bankable), James Mangold étant à l’aise pour jouer, à la Leone (mais, chut, en nettement moins bien quand même !), sur les visages-paysages-cicatrices de ses cow-boys cabossés par la vie, à cheval entre un fusil et une Bible. On le sait, c’est son truc à Mangold, le poids du passé et du passif, la trahison, le péché, les héros désenchantés, crépusculaires, c’était le cas de Stallone dans Copland - qui reste, selon moi, son meilleur film (2002) à ce jour - ou encore de l’homme en noir, Johnny Cash, perdu dans les vapeurs de l’alcool et de la drogue dans le sympathique et rock’n’roll Walk the Line (2005). D’ailleurs, dommage que ce 3 h 10 pour Yuma ne soit pas assez "walk the line" et qu’il ne suive pas davantage sa ligne de force : l’affrontement psychologique entre le bad boy (repenti ?) et le brave pécore, quelque peu attiré par le Mal originel. Oui, vraiment dommage que ce western ne soit pas plus sec, plus resserré sur lui-même, plus en huis clos. Par exemple, les sales coups du prisonnier, la troupe en vadrouille avec des hommes pratiquant à loisir « l’enfer, c’est les autres » ou encore l’affrontement des deux (anti-)héros : on s’en serait largement contentés, c’est le meilleur du film. C’est ce qui le rend proche de l’original - Delmer Daves ayant déclaré : « J’ai essayé de photographier cette histoire comme on l’aurait fait dans les années 1870-1875 : d’où une absence complète de maquillage et une recherche des ombres noires (...). Il fallait que l’on sente vraiment la terre sèche et brûlée, qu’on la sente en couleurs, c’est-à-dire en noir et blanc... C’était aussi une analyse de l’état d’esprit des hommes à cette époque (...) au Far West.  » Il semblerait que Mangold ait trop voulu se la jouer grand cinéaste qui va prendre en compte les réalités historiques de son pays, la conquête de l’Ouest sur fond de soif de l’or, de ségrégation raciale et tout le toutim. Du coup, il se sent le besoin de faire croiser sa troupe de Pieds Nickelés - enfin, même blessé à la jambe (une balle dans le pied), notre fermier parvient tout de même à courir à toute berzingue, c’est la magie du cinéma ! - avec des Indiens nocturnes ou avec des travailleurs Chinois. Là, ça commence quelque peu à patiner. On n’avait pas besoin de ces digressions, et on a vraiment l’impression que James Mangold rallonge la sauce, histoire de montrer à ses producteurs américains que leur budget a été bien utilisé pour faire un western non pas en vase clos, mais extra-large.

Pour autant, malgré ces quelques défauts (un trop-plein dans la digression scénaristique), il s’agit tout de même d’un bon western classique et ça fait du bien. Question western, on en était resté à Impitoyable (1992) d’Eastwood (chef-d’œuvre crépusculaire de l’ami Clint rendant hommage à ses pairs, Don Siegel et Sergio Leone) ou encore à l’honnête Open Range (2004) de Kevin Costner, et on prend donc plaisir à retrouver un western qui ne se perd pas trop en route. Contrairement à un Sam Raimi (Mort ou vif,1995), il ne tombe pas dans la parodie quelque peu éculée du western-spaghetti, exit ici Trinita et autres Plata (ouf !), on pense tout de même à Leone (celui qui interroge les mythes et les icônes de l’Ouest, notamment dans sa production internationale Mon nom est Personne) et on se rapproche aussi d’un traitement bouseux, bourru et vieilles charrues du western, façon les impeccables cases vintage de Blueberry signées Charlier & Jean Giraud, alias Moebius. Oui, le film n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est à l’image des brutes épaisses qui le parsèment. Son côté charpenté, massif, façon le physique brut de décoffrage de Russell Crowe, emporte in fine le morceau. Bon, franchement, la copie (Mangold) ne vaut pas l’original (Daves), mais ça reste de la belle ouvrage yankee - donc du 2 étoiles (de shérif !) sur 4 pour moi. En outre, la fin est très bien : la scène de pétarade tonitruante dans Contention. Ca pète de partout, le décor de la ville fantôme s’apparente alors à un décorum de parc d’attraction, style jeu de Mikado ou de dominos qui s’écroulent tel un château de cartes ou un château en Espagne, et on sent bien alors que Mangold se soucie moins de vraisemblance ici que d’une post-modernité qui s’affiche comme telle : ses acteurs jouent résolument aux cow-boys comme dans un jeu vidéo virant au jeu de massacre, la légende de l’Ouest est bien une légende et, de temps en temps, pour faire rêver les (grands) gamins d’hier et d’aujourd’hui, il est encore bon de sentir souffler le vent de l’héroïsme, même inauthentique, et d’appliquer à la lettre la fameuse devise de John Ford (L’Homme qui tua Liberty Valance), possible définition de l’Amérique (de légendes), « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ! »

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8 réactions à cet article    


  • tvargentine.com lerma 4 avril 2008 10:18

    Oui,j’ai vu ce film MOI,c’est pas comme d’autres qui cherchent à nous imposer des publi-reportages bidon sous couvert d’information

    Un grand film à voir ,car c’est le retour du vrai western comme à sa plus belle époque

     


    • masuyer masuyer 4 avril 2008 10:33

      Bonjour Lerma,

      chez moi il fait un temps magnifique. Et chez vous ?

      Bonne journée


    • stephanemot stephanemot 4 avril 2008 10:47

      Tres classique dans la forme et le fond, limite decale tant il use et abuse des ficelles du genre.

      Trop lineaire et sur les rails bien avant que le fameux train fasse son apparition, mais suffisamment divertissant pour tuer une bonne partie de mes 12 heures de vol (3:10 pour Seoul).


      • Vincent Delaury Vincent Delaury 4 avril 2008 10:52

        Stephanemot : " ...suffisamment divertissant pour tuer une bonne partie de mes 12 heures de vol (3:10 pour Seoul).

        3H10 pour Seoul  : un prochain remake à la sauce asiat’ se profilant à l’horizon ? J’achète !

         

         


        • stephanemot stephanemot 4 avril 2008 13:18

          Pourquoi pas ? Le western "Les 7 mercenaires" de John Sturges (1960) n’était-il pas un remake du film "Les 7 samouraïs" d’Akira Kurosawa (1954) ?

          Ce 3:10 pour Yuma est déjà un remake, dont le prequel le plus célèbre demeure le fameux 3:10 pour Pau de John Chevalier et Akira Laspalès.


        • Vincent Delaury Vincent Delaury 4 avril 2008 14:43

          Stephanemot : " Pourquoi pas ? Le western "Les 7 mercenaires" de John Sturges (1960) n’était-il pas un remake du film "Les 7 samouraïs" d’Akira Kurosawa (1954) ? "

          Tout à fait. Et n’oublions pas que " Pour une poignée de dollars " (1964) de Bob Robertson, alias Sergio Leone, est une sorte de remake, plus ou moins masqué (ou déclaré !), de " Yojimbo " ( " Le Garde du corps ", 1961) d’Akira Kurosawa. La boucle est bouclée, comme ça ! 


          • Proto Proto 4 avril 2008 16:59

            Beaucoup aimé ce film, ainsi que la prestation de Christian Bale (Equilibirum , un film très sympa)

            Mais bon ca ne vaut pas un Sergio Leone :)


            • Juliette Goffart 8 avril 2008 17:18

              Ca donne envie ! Merci pour cette critique instructive !

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