Aimer les « Tintin », aimer l’Occident
Il y a en Occident, beaucoup d'adultes qui se souviennent avoir lu dans leur enfance, ces bandes dessinées racontant Les aventures de Tintin. Pour beaucoup, cela a été l'une des principales lectures de leur enfance, ou l'une des seules. Et certains même, vers l'âge de 7 ans, ont appris à lire seuls, en complément des cours de l'école primaire, avec les Tintin. Beaucoup d'adultes ont conservé des albums, ou ont même la série complète, et ils les relisent de temps en temps. La série complète comporte 24 albums, parus entre 1930 et 1986, traduits en 53 langues. 200 millions d'albums ont été vendus depuis la parution du premier. Quelqu'un qui avait 7 ans en 1930, a fêté son 77ème anniversaire en l'an 2000, et ceux qui avaient 7 ans en 1945, 1968 et 1989, sont aujourd'hui des septuagénaires, quinquagénaires, et trentenaires, qui auront 77 ans en 2015, 2038, et 2069.
Tintin commence ses aventures comme reporter originaire de Belgique, et se rend d'abord Au pays des Soviets, puis Au Congo. Quand en 1930, le personnage de Tintin apparaît pour la première fois dans un album, l'auteur de cet album est un jeune Belge de 23 ans. Un jeune lecteur, qui ouvre un album de Tintin pour la première fois, a environ 7 ans, et si on est dans les années 1930, l'Occident où vit sûrement ce jeune lecteur a des colonies en Afrique et en Asie (la Belgique a une colonie au Congo), et il a face à lui la Russie soviétique et ses pays satellites. Tintin, les albums où vit ce personnage, les lecteurs qui lisent ces albums, la société occidentale dans laquelle vivent souvent ces lecteurs, tous ont au départ des traits qui les rapprochent de l'enfance, et vont suivre des évolutions parallèles, au cours desquelles ils vont devenir plus adultes.
Le personnage de Tintin qui au départ n'avait vu que sa Belgique natale, va voyager dans le monde entier, sur les 5 continents, dans toutes sortes de civilisations, et il va même aller sur la Lune (dans un album paru en 1954, soit 15 ans avant le vrai premier pas de Neil Armstrong sur la Lune). Seul au départ avec son chien (un peu comme un enfant avec sa peluche), et remplissant à lui seul son tout petit monde de cases dessinées (comme un enfant), il va peu à peu rencontrer des gens, et s'inscrire peu à peu dans un grand tissu d'amitiés. Candide, il va se confronter à toutes sortes de personnages cyniques ou simplement malicieux ou bizarres ; sans histoire, il va se remplir des souvenirs de toutes ses expériences.
Les premiers albums de Tintin sont assez enfantins, et seraient surement oubliés aujourd'hui, s'ils n'avaient pas été suivis par les autres albums. Les histoires sont de simples succession d'actions, sans fortes charges affectives, interactions humaines ou caractères humains, sans beaucoup de perspectives, beaux paysages ou beaux visages, sans beaucoup de lien les unes avec les autres, et avec un presque unique personnage. Les dessins sont plutôt grossiers, simples, et en noir et blanc. L'humour est très enfantin. Les albums sont remplis de préjugés sur les étrangers : ceux d'un jeune auteur belge d'une vingtaine d'années qui n'est pas méchant, qui ne veut faire de tort à personne, mais qui croit naïvement ce qu'on disait aux jeunes belges dans les années 1920 et 1930. Ces premiers albums nous font moins visiter le monde réel, que le monde tel que se l'imagine l'auteur (dans des histoires qu'il se raconte sur le monde, tel un enfant).
Mais tout cela évolue au fil des albums, les histoires prennent une construction complexe, elles deviennent riches en interactions humaines et en caractères, elles deviennent subtiles dans leur manière d'entremêler le réalisme et l'émerveillement, le quotidien et le mystérieux, le scientifique et le magique (le magique par petites touches délicates). Les dessins se colorent, s'affinent et s'embellissent. L'humour devient très drôle. Et enfin l'auteur fait des efforts pour se documenter sur les pays dont il parle, pour montrer la vraie beauté de leurs paysages, de leurs formes d'art, et de leurs populations aux moments du XXème siècle où elles vivent ; et à des moments il finit par se moquer lui-même des préjugés qu'il avait eus dans ses premiers albums.
L'évolution normale d'un enfant vers l'âge adulte est donc reflétée par les Tintin qu'il lit, s'il en lit : agrandissement de son monde, rencontres d'amis, découvertes de lieux, expérience du mal ou du bizarre, maturation de l'humour et de la curiosité, affinement du goût et de la compréhension du monde, naissance de l'esprit critique et atténuation des préjugés.
Et au cours du XXème siècle, la mentalité collective occidentale gagne elle aussi une certaine maturité, largesse de connaissances sur le monde, la science ou les autres civilisations, et ses préjugés s'estompent.
La lecture des Tintin est encore une bonne manière de découvrir et admirer la beauté des lieux, des arts et des gens du XXème siècle, à travers un regard occidental. Ces albums témoignent aussi de certaines manières occidentales du XXème siècle d'être amical, policé ou parfois énervant ou ridicule, ou du goût prononcé de la civilisation occidentale pour les voyages, les énigmes et les inventions. On ne peut aimer les Tintin que malgré leurs errements, de même qu'on ne peut aimer l'Occident que malgré les errements de la mentalité collective occidentale, en se disant que malgré ces errements ils ne cherchaient pas à faire du mal, gardaient un bon fond, et ont des charmes qui leur sont propres. Mais n'est-ce pas aussi de cette seule manière, qu'on peut aimer un être humain ?
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