Antique et tecktonik à Garnier
Wow, voilà un retour de l’opéra comme il m’en avait été rarement donné de vivre. Ce soir au Palais Garnier, réouvert après une semaine de grève de l’Opéra national de Paris (merci pour TOSCA !!!!!), j’avais rendez-vous avec deux chorégraphes contemporains, Angelin Preljocaj et Wayne McGregor. J’en ai pris plein la gueule.
Décidement, le Palais Garnier attire un public très disparate, qui peut changer du tout au tout en fonction du spectacle programmé. Les quelques opéras encore joués dans ce monument de l’art "pompier" attirent une clique aussi friquée que prétentieuse, prête à tout pour éviter d’avoir à avouer qu’elle a été flouée par un metteur en scène indigent, allant même jusqu’à brâmer des bravos à une Traviata honteuse, mise en scène par un triste sire qui avait déjà assassiné Don Juan l’année dernière à Bastille. C’est même très drôle de voir qu’au fond, les "maîtres du monde" n’ont pas plus de culture que vous et moi. Parfois moins. En tout cas, lire un quotidien économique quasiment pendant que le spectacle se joue est une attitude qui est sans doute un must pour cette caste.
Les ballets contemporains ont un public totalement différent. Plus bobos, intellos, un brin branchouilles, avec un zeste de prétention, ils envahissent la grande salle Napoléon III avec la délectation qu’on peut imaginer, mêlée sans doute d’une pointe d’appréhension. Sait-on jamais, les maîtres du monde pourraient revenir et chasser les usurpateurs...
Bref, dans un cas comme dans l’autre, on est entre gens de bonne compagnie. Tout cela forme un cocktail plutôt sophistiqué, sans beaucoup de goût mais avec des couleurs ! Vous voyez de quoi je parle, bien sûr. Ces créations de bars chics qu’on ferait mieux de regarder sans trop les boire. Le résultat n’est jamais passionnant.
Cela dit, de la passion pour l’assistance, j’en éprouve peu. J’ai ainsi plus d’attention pour ce qui se passe sur scène. Et ce soir, j’avoue, j’ai été gâté. Vraiment gâté.
Angelin Preljocaj nous proposait un ballet qu’il a créé à l’Opéra de Paris en 2004, Le Songe de Médée. Ce ballet contemporain se base sur cette antique histoire de Médée, épouse amoureuse folle de son mari, Jason. Par amour, elle renie sa famille, ses origines et lui permet de faire main basse sur la toison d’or. Après l’avoir épousé, elle lui donne deux beaux enfants. Un vrai conte de fée pour la magicienne qu’elle est.
Sauf que Jason va la tromper avec une autre femme, plus jeune. Médée, ivre de jalousie, va tuer ses enfants pour se venger de son mari infidèle. Cette histoire sanglante est un grand classique de la culture hellénistique.
Preljocaj nous a livré un ballet fort contemporain, dépouillé, presque minimaliste. Trois danseurs adultes, deux enfants. Une scène sobre, un arbre couché stylisé, des seaux. Tout le ballet possède lui aussi cette élégance, cette sobriété, presque cette économie. Les mouvements évoquaient ces peintures grecques sur les cratères, vases et autres coupes. C’est net, parfois un peu hiératique, souvent tellement naturel. Pour nous raconter sans mots, avec une musique là encore très minimale, une fable antique, Angelin Preljocaj est revenu aux sources. Une danse contemporaine que n’auraient pas reniée et sans doute parfaitement comprise les spectateurs de la Grèce classique. Une vraie petite merveille toute en finesse, élégante comme une parisienne, sobre et délicate.
Face à cela, Wayne McGregor nous offrait ce soir une création. En raison des grèves, je crois bien que c’était la première de Génus. Après la retenue de Preljocaj, ce fut une explosion. Une musique puissante, qui prenait aux tripes, mêlant des samples de bruits quotidiens, des sons accoustiques, de l’électro pure, elle a envahi et balayé les dorures de Garnier comme une tempête impérieuse. Et là où Preljocaj avait construit son ballet sur une histoire, McGregor l’a bâti sur ces sons.
Aucune histoire, pas de propos précis. Tout juste une interrogation sur les rapports entre l’homme et la technologie, entre l’homme et sa biologie, l’homme et ses origines. McGregor part de la musique. Et traduit cette musique en une chorégraphie. C’est très contemporain. Certes. Mais, le vocabulaire qu’il emploie pour cette chorégraphie est celui de la danse de ballet. Les mouvements sont académiques. Purs. Les phrases de danse qu’ils créent sont, elles, totalement contemporaines.
C’est un peu comme si on faisait du slam en alexandrins. Comme si on faisait un roman actuel dans la langue de Racine. Son ballet, c’est une tecktonik mais avec la gestuelle, les pas d’un ballet classique. Le résultat est impressionnant. Eblouissant. La virtuosité des étoiles est mise à contribution pour faire de cette oeuvre un moment où la musique danse sur scène. Et le coeur du propos est là, selon moi. Cette fois-ci, la musique n’est pas au service de la danse. Elle n’est pas là pour magnifier une chorégraphie reine. McGregor inverse le dialogue et met la danse au service de la musique. La danse n’est plus supportée, elle interprète. Elle reste au coeur du spectacle, mais en se faisant traductrice.
Au final, le résultat de la soirée est impressionnant. Il montre de manière éclatante que la danse de ballet n’est pas condamnée à revivre sempiternellement les gloires du passé. Qu’elle est toujours capable de se mettre en phase avec un discours actuel. Et qu’elle est suffisament souple pour parler, avec le même génie, le langage de l’antique et la langue tecktonik. Et j’en suis infiniment heureux pour ces étoiles incroyables que nous avons actuellement. Que ce soit Mathieu Ganio, Jérémie Belingard, Emilie Cozette, Benjamin Pech - et j’en oublie ! - leur talent, leur génie a trouvé ce soir à s’exprimer autrement, mais toujours avec cette perfection sublime.
Ce soir oui, j’en ai pris plein la gueule. Et vous savez quoi ? J’en redemande !
Manuel Atréide
Crédits photo : Opéra national de Paris
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