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Bébel, du charme canaille au sacre cannois

Non, rassurez-vous, Jean-Paul Belmondo n’est pas mort, il s’agit juste, à travers cet article et parce que l’actualité s’y prête, de revenir en quelques lignes sur la trajectoire hors norme de Bébel dans le cinéma français. 

Ironie du sort, alors que c’est notamment au Festival de Cannes que cet acteur éminemment populaire avait connu des accueils critiques des plus froids pour ses films présentés (Moderato cantabile de Peter Brook, 1960, Stavisky d’Alain Resnais, 1974), c’est au même endroit, au sein même de la Mecque du cinéma international, qu’il est désormais honoré en grandes pompes. On ne s’en plaindra pas. Bien au contraire. Pour Gilles Jacob et Thierry Frémaux, organisateurs du sacro-saint Festival, « L’étendue de son registre, le charisme de sa personnalité, la précision de son jeu et la gouaille de ses propos en font, avec Jean Gabin et Michel Simon, l’un des plus grands comédiens de tous les temps. » Belmondo (né en 1933 à Neuilly-sur-Seine), ce n’est pas un secret, n’a jamais été fan des prix et de toutes ces récompenses en veux-tu en voilà qui transforment les artistes et l’art en chevaux de course et tombola. En 1989, on s’en souvient, il ne s’était pas déplacé pour recevoir le César du Meilleur acteur pour sa prestation dans Itinéraire d’un enfant gâté de Lelouch. Et, à ses débuts au théâtre, s’il avait convaincu d’office ses partenaires qui deviendront la fameuse « bande à Bébel » (Beaune, Cremer, Marielle, Rochefort, Vernier), les profs du Conservatoire, eux, encore très conservateurs, ne lui avaient décerné, pour son interprétation d’un texte de Feydeau en 1956, qu’un simple accessit ; ce qui lui interdisait l’entrée à la Comédie-Française. Déjà boudé par la critique, voire incompris pour la modernité de son jeu, mais choyé par le public, Belmondo reviendra sur scène porté en triomphe par ses camarades, allant même jusqu’à faire un bras d’honneur au jury ! Dans son savoureux bouquin Le Grand n’importe quoi (2010, éd. Calmann-Lévy), son vieux complice Jean-Pierre Marielle se souvient de ces années-là : « Il passait une scène au Conservatoire et notre professeur Georges le Roy, l’interrompit, se tourna vers nous en s’exclamant : "Regardez comme il bouge, cet animal-là." Il a vu en un instant ce qui ferait de lui un comédien aussi atypique, son jeu plastique, son aisance canaille – ce que verra aussi Godard. Son impression rejoignait la mienne : il ne ressemblait à aucun autre élève, d’ailleurs il ne ressemblait à personne. L’académisme le rejetait, et il le lui rendait bien. » 

Jean-Paul Belmondo, âgé aujourd’hui de 78 ans, ce qui fait sa singularité, c’est sa spontanéité de jeu confinant à la désinvolture, sa légèreté, son corps élastique, « à l’américaine », puis son charme canaille, oscillant entre tendresse et ironie ; bref on craque, et pas seulement la gent féminine !, pour son air de… Tendre Voyou, titre de l’un de ses films tournés en 1966 (Jean Becker). S’appropriant facilement les mots de Godard comme ceux de Michel Audiard, il est capable de tout jouer, en mode acteur ou cascadeur - au choix ! Sa filmographie en témoigne : elle enchaîne, pendant des décennies, films d’auteur (surtout à ses débuts), bons films populaires et productions des années 80 nettement plus oubliables mais tout de même, pour certaines, attachantes. Le Magnifique a été tour à tour Léon Morin, Cartouche, Pierrot le Fou, Nicolas Philibert, Arthur Lespinasse, Docteur Popaul, Bob Saint-Clar, François Merlin, Stavisky, Joss Beaumont, Philippe Jordan, Pierre Augagneur, Sam Lion et autres Jean Valjean. Voleur, rebelle, flic, sergent, voyou, boxeur, prêtre, toubib, séducteur, escroc et on en passe : Bébel est un acteur multi-facettes. Ce qu’avait bien compris Truffaut, cinéaste de la Nouvelle Vague qui l’a fait tourner en 1969 dans La Sirène du Mississippi, « Pour moi, cela ne fait aucun doute, Jean-Paul Belmondo est le meilleur "jeune premier", le meilleur et le plus complet. Belmondo peut jouer avec autant de vraisemblance et de naturel un aristocrate ou un garçon du peuple, un intellectuel ou un gangster, un prêtre ou un clown. Cette disponibilité est telle que Jean-Paul pourrait même jouer un homme aimé des femmes, un séducteur, ou au contraire un homme rejeté par elles et ces deux rôles contradictoires il serait capable de les conduire vers le drame ou vers la comédie, "à la demande". »

Mais comment se fait-il qu’un acteur si doué, incarnant la Nouvelle Vague avec des rôles inoubliables chez Godard (en Michel Poiccard descendant les Champs-Elysées aux côtés de Jean Seberg dans A bout de souffle, 1959, en Ferdinand au visage bleu dans Pierrot le Fou, 1965) et ayant tourné à ses débuts avec une poignée d’auteurs (Truffaut, Resnais, Chabrol, Sautet, Melville, De Sica), ait fini, aux yeux de certains, par « s’abîmer » en tournant des films ouvertement plus commerciaux à partir des 70’s et surtout 80’s ? La pierre angulaire, ou film-charnière, de sa filmographie est certainement Stavisky (1974) qui, s’il est un film audacieux et expérimental, n’en est pas moins à sa sortie un cuisant échec commercial - « Je ne voulais pas que le film aille à Cannes mais on m’a persuadé du contraire. Un massacre ! C’est la seule fois où Alain Resnais s’est fait traîner dans la merde. Les critiques ne m’ont jamais empêché de dormir, sauf sur Stavisky. Je me suis dit : "Là, c’est vraiment des cons !". » (Bébel, in VSD n°1755, avril 2011). Belmondo, pour Stavisky, en était la vedette mais également le coproducteur. Blessé par ce gros bide, à partir de là, Bébel sacrifiera plus que jamais au dieu Argent, enchaînant des films-produits labellisés Cerito Films et René Chateau où il répète ad nauseam son numéro de bagarreur au grand cœur virant au stéréotype, voire à l’image de marque. Alors c’est vrai, en route, Bébel a perdu quelque chose. Sa spontanéité désinvolte s’est effacée au profit d’un tiroir-caisse de plus en plus gourmand. Ce qui fait dire à l’époque, non sans justesse, à Philippe de Broca : « Je pense qu’il devrait faire un peu moins de commerce et un peu plus de cinéma. » Dans les 80’s, son image de gros dur cascadeur, véhiculée dans les films aux millions d’entrées que sont Flic ou Voyou, Le Professionnel, L’As des as, Le Marginal et autres Morfalous, a fini par faire les beaux jours et les bons sketchs des humoristes du moment, dont Michel Leeb (cf. « Allez ! Hop ! Cascade ! »). Si on peut regretter qu’une telle liberté de je(u) ait viré au fil du temps à la caricature, on ne peut pour autant nier que même dans ses moins bons films (Le Guignolo, Joyeuses Pâques, Le Solitaire, Amazone ; je mets de côté Un homme et son chien (2009), film tourné après son AVC de 2001 qui lui a laissé des séquelles irréversibles), Bébel a toujours su garder un « capital sympathie » fort. Certes, on aime un acteur pour ses films, ses personnages, mais aussi pour ce qu’il est ou dégage. Belmondo, avec son nez cassé, son bronzage méditerranéen et son charme foldingue au bord de l’échappement libre, a été - et peut-être l’est-il encore - le plus populaire de nos acteurs français. Alors que son grand rival Alain Delon est plus distant, Bébel garde l’image du bon copain avec lequel on prend plaisir à s’identifier car il est vecteur de fantasmes et de rêves. Cette star sympathique, qui en 50 ans de carrière a attiré dans les salles près de 130 millions de spectateurs, incarne quelque chose de la France. C’est une particularité hexagonale : les Etats-Unis et Hollywood n’ont pas ce modèle-là ! Il emprunte à Humphrey Bogart et à James Dean tout autant qu’à Jean Gabin et Michel Simon et cette somme donne : Jean-Paul Belmondo. Ce n’est donc pas par hasard s’il inspire encore aujourd’hui bon nombre d’acteurs (Clovis Cornillac, Vincent Cassel, Jean Dujardin, Romain Duris, Albert Dupontel, Gilles Lelouche, Samy Naceri, etc.). 

En évitant de jouer les filmologues patentés ou les ayatollahs cinéphiliques, il est possible d’aimer cet acteur dans ses différents registres. Ce qui est mon cas, et peut-être le vôtre aussi. Bien sûr, Belmondo, c’est des rôles iconiques inoubliables dans des classiques du 7e art signés Godard (A bout de souffle, Pierrot le Fou), Truffaut (La Sirène du Mississipi) et Melville (Léon Morin, prêtre, Le Doulos, L’Aîné des Ferchaux). Mais c’est également un acteur passionnant à suivre dans le cinéma de genre, et pas seulement pour ses courses poursuites et cascades ! A l’aise dans le film d’aventures (L’Homme de Rio, Cent mille dollars au soleil, Les Mariés de l’an II), la comédie (Le Cerveau, Le Magnifique), le drame (Week-end à Zuydcoote, Le Voleur), le film sociétal (L’Héritier, Le Corps de mon ennemi) ou dans le policier (Le Casse, Borsalino, La Scoumoune, Peur sur la ville, L’Alpagueur), il a souvent su s’entourer de bons faiseurs : Verneuil, Lautner, Deray, Giovanni, de Broca. Et si on l’associe d’emblée à des personnages charismatiques, son parfum de légende passe non seulement par l’image mais également par le son - qu’on se souvienne des très bonnes partitions musicales d’Ennio Morricone (Le Casse, Peur sur la ville, Le Professionnel, Le Marginal), de François de Roubaix (La Scoumoune) et de Claude Bolling (Borsalino). A côté des films d’auteurs et de bons films de genre, certes il y a des scories dans la filmo inégale de Bébel. Mais même dans ses productions dispensables, il y a de belles surprises. Ca peut être du comique involontaire (le fameux jean moulé de Bébel et la description cliché du milieu gay dans Le Marginal, 1983), une réplique qui fait mouche (le cultissime « C'est bien la première fois qu'il fait des étincelles avec sa bite ! » de Marie Laforêt dans Les Morfalous, 1984) ou encore l’abattage de ses partenaires de jeu en roue libre (les très bons Marielle et Villeret dans Hold-up, 1985). Et ce qui ne gâche rien, Belmondo, indépendamment de son talent de comédien et contrairement à un Delon plus mégalo, ne manque point d’humour. Le mot de la fin à son vieux copain Guy Bedos qui, dans son livre Plans rapprochés (2011, éd. Stock), nous dit ceci à propos du Bebel séducteur aux conquêtes féminines nombreuses (Ursula Andress, Laura Antonelli, Carlos Sotto Mayor, Natty l’ex Coco Girl, Barbara Gandolfi...) : « Dans l’expression de ses sentiments, qu’il s’agisse d’Ursula Andress, de Laura Antonelli ou de quelques autres stars qu’il avait séduites, le moins qu’on puisse dire est qu’il a toujours été très pudique. "Le cul d’Andress, y a un moment où t’en as marre !" m’avait-il confié à la fin de leur liaison. Du Marivaux.  »  

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