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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Berlin : les concerts historiques du 12 novembre 1989

Berlin : les concerts historiques du 12 novembre 1989

La majorité d’entre nous garde en mémoire les images du mini-concert donné par Mstislav Rostropovitch au pied du Mur de Berlin près de « Checkpoint Charlie » le 11 novembre 1989. Rares sont en revanche nos compatriotes qui ont eu connaissance du concert donné le lendemain par le Philharmonique de Berlin – alors dirigé par Daniel Barenboïm – pour fêter la chute du « Mur de la honte ». Un concert gratuit destiné aux seuls résidents de la RDA, désormais libres de se rendre à l’Ouest. De l’aveu même du célèbre pianiste et chef d’orchestre, il s’agit là de l’un de ses plus émouvants souvenirs…

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Jeudi 9 novembre 1989. Le grand violoncelliste « Slava » Rostropovitch apprend dans son appartement parisien du 16e arrondissement l’ouverture du Mur de Berlin. Le matin du samedi 11 novembre, bouillant d’impatience de marquer l’événement de son empreinte, le violoncelliste téléphone à son ami Antoine Riboud, alors pédégé de Danone, pour lui demander d’affréter sur-le-champ son avion personnel. Ce même jour, le plan de vol établi, les deux hommes décollent pour Berlin-Tempelhof. Quelques heures plus tard, ils débarquent d’un taxi à Checkpoint Charlie, Rostropovitch étant muni de son inséparable Stradivarius. Et pour cause : le « Maître » veut absolument jouer dans ce lieu hautement symbolique pour rendre hommage aux tombeurs du Mur, au peuple est-allemand, et plus encore aux victimes des VoPos, tués dans leur quête de liberté à l’Ouest : « Je suis venu jouer ici pour que l’on souvienne de tous ceux qui sont morts à cause de ce Mur  », confie le musicien au Cercle de minuit en 1997 (lien).

Ce que ne dit pas Rostropovitch à ce moment, c’est qu’il est également venu pour prendre indirectement une revanche sur les Soviétiques qui les ont déchus de leur nationalité russe, son épouse Galina et lui. Après avoir emprunté un tabouret dans la guérite militaire de Check Point Charlie, Rostropovitch s’installe devant le Mur et joue la sarabande de la 2e suite en ré mineur pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach. Un choix qui ne doit probablement rien au hasard : Bach est « Dieu » aux yeux du musicien, autrement dit le plus grand compositeur de tous les temps ; qui plus est, Bach est né, a vécu, et est décédé sur ce territoire de Saxe qui, sous le joug soviétique, fait partie intégrante de la République démocratique allemande (RDA) depuis la fin de la 2e guerre mondiale. Captées par plusieurs chaînes internationales présentes sur ce lieu emblématique, les images de de mini-concert font le tour du Monde et restent à ce jour emblématiques de ce moment d’Histoire. Rostropovitch, très ému en se remémorant cet épisode, dira plus tard « Cet instant illumine toute ma vie. » Un propos dont la sincérité n’est mise en doute par personne.

Un « Ausweis « est-allemand comme ticket d’entrée

Sincérité également du côté du Philharmonique de Berlin. Le 9 novembre dans la matinée, Daniel Barenboïm et les musiciens du prestigieux orchestre se retrouvent comme convenu pour une séance d’enregistrement de l’opéra de Mozart Cosi Fan Tutte. Entretemps, le régime de la RDA s’est effondré, et le « Mur de la honte » a commencé à être démantelé ici et là à coups de pioche et à l’aide d’outils de fortune par une foule en liesse. Comme on peut l’imaginer, cet événement suscite une émotion considérable, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Chacun est conscient de vivre un moment historique. Y compris les administrateurs et les musiciens du Philharmonique. Qui a eu l’idée d’organiser un concert pour marquer la chute du Mur ? Nul ne le sait plus aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, cette idée fait son chemin et suscite un réel enthousiasme dans les rangs des musiciens. La décision reste toutefois suspendue à la volonté du chef d’orchestre. Questionné par les administrateurs dès son arrivée à la Philharmonie, Barenboïm accepte aussitôt que soit organisé ce concert, mais à une double condition : qu’il soit réservé aux seuls résidents de la RDA et qu’il soit totalement gratuit. Le projet est validé : le concert se tiendra trois jours plus tard, à 11 heures.

L’information ayant été portée à la connaissance de la population berlinoise est-allemande, une queue se forme dès 4 heures du matin le dimanche 12 novembre à la Philharmonie. Seule obligation pour assister au concert : présenter une pièce d’identité officielle de la RDA. Le concert a lieu dans ce bijou d’architecture et d’acoustique qu’est la Grande salle dont les 2400 places ne suffisent pas : il y a du monde jusque dans les travées ! Au programme, deux pièces majeures de Beethoven : le Concerto pour piano n°1 (en réalité, le 2e du compositeur) avec Barenboïm au clavier et à la direction, suivi de la Symphonie n°7, dirigée par le même Barenboïm.

De Beethoven à Nina Hagen

De l’avis de tous, musiciens et spectateurs, ce concert – retransmis en direct à la télévision – a été un moment unique au cours duquel chacun a pu ressentir une émotion particulière et d’une très grande intensité en lien avec l’événement historique qui se jouait dans la ville. Pour mémoire, après une immense et très longue standing ovation du public, l’orchestre interprète en rappel l’Ouverture de Cosi Fan Tutte de Mozart. Un extrait du final de la 7e symphonie peut être vu ici. On y découvre un public enthousiaste et un Barenboïm en sueur et très ému qui, à l’image des musiciens, a manifestement donné le meilleur de lui-même. Il dira plus tard « Cela a été l’une des plus formidables expériences de ma vie !  » L’intégrale de ce concert historique – ô combien émouvant ! – est disponible en accès libre jusqu’au 12 novembre inclus sur le site du Berliner Philharmoniker Digital Concert Hall.

Tandis que le Philharmonique finit d’interpréter la 7e symphonie de Beethoven, un autre événement musical mémorable débute à quelques kilomètres de là : le Konzert für Berlin. Pas de compositeurs classiques au programme, mais des groupes rock qui se succèdent sur la scène de la West Berlin Deutschlandhalle en lieu et place de l’esplanade du Reichstag pour des raisons de sécurité. Le concert, organisé par la Sender Freies Berlin (Radio libre de Berlin), attire – sans publicité ni annonce officielle – une foule de spectateurs. Par moments, ils sont près de 15 000 dans la salle ! Le concert dure… 11 heures (de 13 heures à minuit), pour le plus grand plaisir des très nombreux jeunes de Berlin Est venus se mêler aux Berlinois de l’Ouest. Une vingtaine de groupes se succèdent. Parmi eux Joe Cocker, qui a spontanément interrompu une tournée européenne pour participer à cet événement, et Nina Hagen. Quelques-uns des artistes présents prennent la parole pour exprimer leur propre émotion, leur fierté d’être là, et leur solidarité avec les Berlinois dont l’unité est retrouvée. Ainsi Melissa Etheridge : « En tant qu’Américaine, je suis très fière d’être ici à ce moment de l’Histoire. En tant qu’être humain, je vous souhaite à tous les deux, Est et Ouest, Paix et Liberté, maintenant et pour toujours ! »

Le 12 novembre 1989 a incontestablement été, sur fond de musique, une journée très différente des autres. Un dimanche de joie, de larmes, de rires, d’émotion. Pour beaucoup de Berlinois, cette journée particulière a marqué leur mémoire d’une trace indélébile.

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10 réactions à cet article    


  • mmbbb 11 novembre 2019 18:54

    l anniversaire a ete plutot discret non Si le mur est tombe , le mur de nos illusions sur l Europe a chu .

    Quoi qu il en soit , j ai ecoute l emission de Merlin « au choeur de l orchestre » de France musique Il repassait les grandes heures de la philharmonie de Berlin 

    Furtwangler fut un grand chef : quelle interpretation dans la VII de Beetoveen 


    • Fergus Fergus 11 novembre 2019 19:56

      Bonsoir, mmbbb

      Le Philharmonique de Berlin est sans nul doute l’un des meilleurs orchestres du monde, et dans le top 5 des formations européennes. Fürtwangler a effectivement été un très grand chef comme on peut l’entendre sur la plupart des enregistrements qu’il a conduits. La 7e, bien sûr : un monument.
      Personnellement, j’ai eu la chance d’assister à un concert du Philharmonique à Berlin : La flûte enchantée.

      « le mur de nos illusions sur l Europe a chu » 
      Certes ! Mais l’Histoire n’est pas définitivement écrite : tôt ou tard, l’UE devra se réformer, sauf si ses membres choisissent le suicide...


    • Pierre 14 novembre 2019 14:43

      Marrant de la part d’un supporter de Mélenchon...


      • Fergus Fergus 14 novembre 2019 15:03

        Bonjour, Pierre

        Je ne comprends pas bien le sens du message. J’ajoute que je n’ai jamais été un « supporter de Mélenchon », mais un électeur de La France Insoumise pour son programme socio-économique.


      • Pierre 14 novembre 2019 15:42

        @Fergus
        Ah bon, vous n’avez toujours pas compris que lui et sa fabuleuse équipe propose à la fin des fins ce qui s’achève par un mur ?


      • Fergus Fergus 14 novembre 2019 17:23

        @ Pierre

        Une conjecture en forme de procès d’intention délirant qui ne repose sur rien : lisez donc le socle du projet de LFI : L’avenir en commun !


      • Pierre 14 novembre 2019 23:52

        @Fergus
        Tous les collectivismes finissent de la même façon et si vous aimez, allez vous installer en Corée du Nord. Cela dit, c’est très bien de faire l’éloge de Bach, Rostro (réfugié, quelle horreur, aux US) ou Barenboim.


      • Fergus Fergus 15 novembre 2019 11:34

        Bonjour, Pierre

        Il n’y a pas de projet « collectiviste » à La Fance Insoumise, mais une volonté de tendre vers une société plus juste au plan socio-économique qui, précisément, ne bascule pas dans les modèles pervertis du passé dont la Corée du Nord est une survivance.

        Cela fait d’ailleurs partie de mes désaccords avec Mélenchon qui prône une « révolution bolivarienne » dont les effets n’ont pas toujours été convaincants en Amérique du Sud. Or, sur ce plan-là, JLM est loin, fort heureusement ; d’être suivi par tous les cadres du mouvement.

        Au delà de la politique, heureusement qu’il y a la musique. Elle permet de rassembler des personnes qui ont des idées divergentes, voire contradictoires, et c’est très bien ainsi. smiley


      • Fergus Fergus 15 novembre 2019 11:57

        Bonjour, Tall

         smiley
        Je crains malheureusement que, dans le climat actuel qui règne à LFI, cette fanfare ne soit quelque peu cacophonique, le chef n’étant pas, du fait de ses choix d’harmonie contestés par certains instrumentistes, en mesure de faire jouer tous les musiciens à l’unisson. 


      • Pierre 15 novembre 2019 14:06

        @Fergus
        Sauf que, quand l’état règle tout , s’occupe de tout de force et décapite au passage, on est bien dans le collectivisme, ce qui déplaît d’ailleurs aux Verts. Seule consolation, on a quand même pu avoir notamment Shosta et Prokofiev...

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