Dantec : c’est du Verbe que viendra la réponse
Nous sommes en 2057. Après le Grand Djihad, le monde est désormais habité par des Machines qui ont su si bien nous saisir, qu’elles nous ont gentiment dépossédés, non pas du monde, mais de nous-mêmes, un monde où tout est contrôlé donc contrôlable.
Sergueï, Diego, Dimitrievitch Plotkine, héros de l’intrigue, est né le 21 septembre 2001 à 22 heures 17. Au début du roman, à son arrivée à l’Astroport, nous n’en savons pas plus sur lui qu’il n’en sait lui-même. Il fait partie d’un secret encore plus terrible que lui-même. Il fait partie d’un inframonde qui n’apparaît que par la trace laissée par la mort derrière lui.
Commandité par une organisation russe, probablement maffieuse, Plotkine est tueur à gage. Il se rend à Grande Jonction, ville amérindienne où l’ordre règne d’autant mieux qu’il n’y en a aucun, afin d’assassiner Orville Blackburn, son maire mohawk.
Dans l’Interface de Contrôle du Terminal International la lumière veille et le scrute. Car la lumière fait son travail, comme tout ce qui existe ici. Elle fait son travail de flic. Mais Plotkine n’est, à cet instant, qu’une matière à façonner, bien plus faux encore que le monde qui l’entoure. Et c’est une nécessité : pour pouvoir lui mentir, à ce monde devenu expert en contrôle de la vérité, il faut être parfaitement innocent, sans mémoire.
Dans ce monde, où les forces de l’obscurantisme étendent leur règne, les connaissances se perdent, les recherches scientifiques authentiques sont interdites, tout comme le catholicisme d’ailleurs, notre héros est programmé pour advenir.
Tout était prévu, du moins le pensait-il. Mais Plotkine comprit que les choses étaient en train de prendre une tournure absolument imprévue.
C’est alors que Maurice G Dantec quitte l’univers de la stricte science-fiction, qui n’est pas sans rappeler celui des films des frères Wachowski, traversé par le panoptique. En effet, dans la seconde partie du livre, intitulée « Corpus scripti », l’auteur nous précipite vers une métaphysique de l’Apocalypse, dont le lecteur est prévenu par une épigraphe de Saint Augustin « Il est deux choses que Vous avez faites Seigneur : l’une près de Vous, c’est l’ange, l’autre, près du néant, et c’est la matière première », dans laquelle plane l’ombre improbable de Georges Steiner et se retrouve, égaré au détour d’une sentence sur Hitler, Jacques Lacan.
L’abîme qui va s’ouvrir devant Plotkine, et que son programme d’instruction n’avait pu envisager, n’est autre que sa rencontre avec une femme, Vivian MacNellis, son Ange gardien (au sens littéral du terme).
Il s’agira, maintenant, pour notre héros, « l’Homme-Venu-du-Camp » comme il se définit lui-même, de sauver le Monde allant à sa perte et de commencer une autre histoire, dans un autre monde, ou plutôt dans un Après-Monde.
Un authentique écrivain
Evidemment, on ne peut manquer de faire un parallèle entre Dantec et Houellebecq. Même univers post et néo-humain, pensée droitière clairement affirmée (il avait été reproché à l’auteur de Cosmos Incorporated d’avoir adressé ses voeux au groupuscule d’extrême droite « bloc identitaire »), même exil hors de France (Houellebecq en Irlande, pour des raisons fiscales, Dantec au Canada, par conviction idéologique, afin de fuir une société française prise dans les mailles du grand filet invisible des nihilismes), mêmes tractations en vue d’un transfert d’éditeur (de Gallimard à Albin Michel, via Flammarion) par agent interposé. Là s’arrête la comparaison, car ce qui différencie ces deux auteurs de science-fiction c’est, d’abord, leur rapport à la littérature et à la création. Chez Houellebecq le style est plat et les idées, depuis L’Extension du domaine de la lutte, stagnantes, démontrant une absence de capacité créatrice. Avec Dantec nous sommes frappés par cette mise en abîme d’un monde aux frontières du thriller technologique, du roman d’anticipation et de l’expérience mystique, générée par une extraordinaire puissance de l’écriture. La littérature, disait Deleuze, implique une recherche et un effort spéciaux, une intention créatrice spécifique. L’écrivain envoie des corps réels, ajoutait-il. En ce sens, l’auteur des Racines du Mal est un réel, grand écrivain. Si la littérature ne vous change pas en profondeur, si le fait d’écrire ne vous précipite pas vers un feu qui consume tout ce qui, en vous, peut être consumé, autant devenir buraliste ou huissier de justice, ou journaliste aux Inrockuptibles, prévient Dantec. Gilles Deleuze n’aurait pas dit mieux.
Pour Maurice G. Dantec, ce n’est pas la science mais la littérature qui dit la vérité. Il lui reste de savoir se préserver des tentations de l’idéologie.
Maurice G Dantec - Cosmos Incorporated (Albin Michel ? 569 pages 22,50 E) photo : Patrick Gaillardin
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