De Noir et de Noir
Musée Soulages
Il est des artistes qui finissent par être prophètes en leur pays. C'est le cas de Pierre Soulages qui a l'immense honneur de recevoir en présent et de son vivant, ce véritable mausolée à sa gloire dans sa ville de naissance. Privilège qui dit l'admiration des siens pour le grand homme. La chose est suffisamment rare pour souligner cette exception notoire. Il est vrai que sa notoriété mondiale, la donation faite à Rodez et quelques amateurs éclairés ont permis sans doute de dresser au cœur de la cité ruthénoise ce magnifique écrin au grand homme.
C'est avec beaucoup de retard sur l'actualité que je me suis rendu dans ce magnifique vaisseau aux mille et une nuances de gris et de noir. Tout est en harmonie pour célébrer l'art sans pareil du chantre de l'outrenoir. Chaque élément de ce bâtiment semble sorti tout droit de la palette du maître. Pas un mètre carré de couleur uniforme ; l'uni est ici banni alors que tout est noir.
La nuance, le détail, les variations, les changement de matière, les modifications imperceptibles font que tout le musée est une œuvre de celui qu'on célèbre ici. Il faut s'incliner devant pareille perfection et se laisser porter à la découverte d'un univers qui, finalement, ne résistera pas très longtemps à votre admiration.
C'est véritablement une prouesse d'aménagement et de décoration pour donner à comprendre les mystères de la lumière se réfractant sur le noir des tableaux. Alors, vous pouvez tout à la fois admirer les œuvres, certaines monumentales, d'autres plus intimistes, tandis que vous vous amusez du ballet des visiteurs, tournant autour des tableaux à la recherche d'un rayon de lumière.
Vous oubliez alors de remarquer que, vous aussi, vous êtes pris par cette recherche frénétique. Vous avancez, vous reculez, vous allez d'un côté, puis de l'autre. À chaque fois, une nouvelle découverte, un nouveau point de vue. Le noir vous parle, le blanc vous émeut et le brou de noix ouvre les portes de la suite.
Est-ce cela le talent ? Communiquer avec la matière ! Entrer en osmose avec la lumière ! Devenir maître des illusions ! Je n'ai ni la connaissance ni l'expertise pour juger de l'œuvre. Je fus pris au jeu des reflets, des brillances, des trous noirs, des fulgurances. Il faut sans doute les nommer autrement et je m'en moque. J'ai découvert la magie de ce qui, en représentation papier, ne me semblait qu'une supercherie à la mode.
Ce qui m'a fasciné c'est l'adéquation parfaire, l'harmonie entre le bâtiment et son contenu. Il y a là un exemple merveilleux de respect et de compréhension, de vulgarisation accessible à tous et de volonté de donner à comprendre à chacun au plus intime de son être. Voilà une belle expérience et une formidable réussite d'autant que le projet d'aménagement urbain semble avoir suivi cette ambition en transformant la vieille cité de Rodez.
J'ai parcouru ce musée que j'ai admiré tout autant que je fus admiratif devant tous ces spectateurs qui entraient, eux aussi, dans l'esprit du maître. Nul propos déplacé, nulle attitude cavalière n'étaient à déplorer. Chacun était ici comme dans un monastère, un lieu de culte ou bien un sanctuaire. Tout concourait à la réflexion, à la concentration, à la méditation. C'est ce que je fis en me posant et en observant, à distance, à la fois les œuvres et les autres visiteurs, les murs et le plancher, le plafond et tout l'espace réunis.
Le noir était mis, en toute lumière, en toute splendeur. Et la lumière se fit en cette dernière journée de l'année. Soulages m'avait pris par le cœur ; je lui devais bien ce petit billet de béotien, inculte en matière picturale. La matière a trouvé son maître et le noir son magicien. Il ne vous reste plus qu'à suivre le même chemin que moi si, par extraordinaire vous ne l'avez déjà fait.
Soulagement sien.
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