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Dernier maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche : la rencontre du marxisme et de l’islam

Un très beau film sur les rapports de la religion et du monde du travail dans un univers ouvrier étrange et asphyxiant.

Rabah Ameur-Zaïmeche est le réalisateur de l’excellent Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? (prix Louis Delluc du meilleur premier film en 2001) et de Bled number one. Avec ce très beau Dernier maquis, il poursuit dans la veine naturaliste en situant cette fois son récit dans un entrepôt, avec ses ouvriers, tous immigrés, et son patron, immigré lui aussi. Ce dernier fait construire une mosquée pour ses employés, mais beaucoup d’entre eux n’en oublient pas pour autant les heures supplémentaires non payées et les conditions de travail difficiles.

Le film aborde la question de la religion et son rapport au travail et à la société en général, avec un point de vue fort subtil : l’islam est un recours, un refuge (un dernier maquis, donc) pour des travailleurs en grande difficulté, mais aussi un instrument de manipulation de la part du représentant du pouvoir, ici le patron (la religion comme opium du peuple, en somme). Cette analyse quasi marxiste est d’autant plus stupéfiante quand on sait qu’Ameur-Zaïmeche est lui-même croyant. On sent du respect pour la religion musulmane, mais jamais de complaisance (ainsi la longue scène de prière à la mosquée n’est-elle pas embarrassante, mais au contraire très belle, même pour une athée convaincue comme moi). Les protagonistes sont conscients de ce double rapport à leur religion et sont capables de s’en insurger. Il ne s’agit pas de dénoncer avec simplisme une forme d’exploitation, mais de montrer ses manifestations protéiformes, ambiguës.

Rabah Ameur-Zaïmeche s’est attribué un rôle extrêmement complexe, celui du patron qui devient très vite antipathique, manipulateur, paternaliste (une figure de réalisateur, quoi !), mais jamais le mal incarné : lui aussi est poussé par des difficultés financières Ou comment la misère entraîne en son sein même des rapports de domination, de perversité et de violence implicite. Dernier maquis montre aussi avec beaucoup de subtilité les rapports qui se tissent entre les ouvriers : on voit bien que ce sont les mécaniciens maghrébins, les plus intégrés, qui luttent contre la manipulation et cherchent à se révolter, tandis que les manœuvres africains, encore plus précarisés qu’eux, s’avèrent par là même plus manipulables car n’ayant pas le choix de s’insurger contre les agissements du patron.

Mais au-delà de ses enjeux sociaux et politiques d’une profondeur éblouissante, le film de Rabah Ameur-Zaïmeche est avant tout un film de cinéma, un vrai. La mise en scène est de toute beauté - jeu sur les couleurs et les formes, mouvements soudains qui font émerger la vie, déplacement des comédiens, usage du hors champ... Le décor des palettes rouges que manipulent les ouvriers est particulièrement bien utilisé. Ce sont des murs que l’on construit et que l’on déconstruit, qui cachent et qui montrent, à la fois beaux et laids, vivants et morts. Cet entrepôt étrange où les ouvriers passent leur temps à déplacer des palettes est un univers ô combien asphyxiant, fermé, mortifère (on remarquera d’ailleurs l’absence totale de toute figure féminine).

Mais la vie peut parfois s’y faire jour, comme lors de la belle digression où un ragondin venu du canal à proximité des lieux se retrouve coincé dans le garage : la nature, sa beauté, sa liberté sont juste derrière, là, à portée de main. L’humour est donc également présent pour pallier l’aridité du propos, comme dans cette conversation qui ouvre le film, sur les différents moyens d’accéder au paradis, ou encore lorsqu’un employé voudrait faire passer un auto-circoncision pour un accident du travail ! Le final est étrange, abrupte, poétique soudain, révolté tout en restant critique, c’est quasiment un autre film qui commence. Les protagonistes vont enfin faire un usage personnel, un usage presque révolutionnaire (un dernier maquis, là aussi), de ces fameuses palettes rouges. Pour quel résultat, c’est ce que le film ne dit pas...

Sans aucune lourdeur ni aucun misérabilisme, avec beaucoup d’humour et peu de moyens, Rabah Ameur-Zaïmeche signe un vrai film de cinéma (à mille lieu, donc, du reportage télé) important et bouleversant.


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15 réactions à cet article    


  • morice morice 29 octobre 2008 11:59

    Le marxisme et l’islam ??? ouh là la meute va débarquer... messieurs, après vous..


    • Leila Leila 29 octobre 2008 13:38

      Un grand merci pour cette analyse lumineuse. J’irai voir le film.

      Les véritables croyants, chrétiens ou musulmans, sont souvent scandalisés par le comportement de leur hiérarchie religieuse.


      • Leila Leila 29 octobre 2008 13:43

        J’oubliais... scandalisés aussi par la hiérarchie au travail, les patrons les plus assidus à l’église étant parfois de vrais salauds. Et je ne parle pas de la classe politique.


      • Sahtellil Sahtellil 29 octobre 2008 13:41

        Excellent papier. Toutes mes félicitations AnnaM, belle pousse qui éclot "plantureusement", et tout en sensibilité.

        Bonne continuation.

        BMD


        • Bois-Guisbert 29 octobre 2008 15:07

          Le film aborde la question de la religion et son rapport au travail

          On connaît des pays qui nous dameraient le pion sur toute la ligne, à nous industrialisés occidentaux, si leurs habitants mettaient autant de conviction et d’énergie dans le turbin, que dans la croyance et la pratique religieuses,...

          On en connaît, mais on ne les nommera pas ! Ils se reconnaîtront smiley


          • Gazi BORAT 29 octobre 2008 15:15

            @ Bois Guibert

            Ô grand chantre de la supériorité de l’Occident.... aujourd’hui bien écornée...

            Peut-être vous-même devriez vous inspirer de "l’ardeur au turbin" des Chinois, que la littérature coloniale décrivait autrefois comme irrémédiablement condamnés à l’indolence et au fatalisme...

            Tous ces préjugés d’une époque révolue disparaissent petit à petit avec l’épreuve du temps et du Réel...

            "Le temps béni des colonies" appartient bel et bien au passé.

            gAZi bORAt


          • Gilles Gilles 29 octobre 2008 15:46

            Moi il m’a semblé entendre plusieurs fois que les chinois considèrent les français comme des fainéants

            Dernièrement un patron de restau chinois, un chinois connaissance d’un pote, qui refusait d’employer des français car selon lui, une fois terminées leurs heures ils se cassaient, tandis que les chinois, eux, travaillaient sans compter ! Surtout les sans papiers .... puisque ses serveurs venaient directement de Chine pour bosser chez lui

            D’ici à ce que dans un siècle les arabes considèrent les descendants de Bois Guibert comme des larves décadentes oisives....


          • Ricos77 Ricos77 29 octobre 2008 19:17

            Pensez-vous qu’il soit pensable, même en rêve, que des travailleurs Chrétiens décident de faire une chapelle dans une entreprise, dans un pays musulman ? 
            Je n’irais pas voir ce film, qui participe encore un peu plus à faire rentrer cette religion dans la sphère publique, et qui devrait être censuré, comme un film équivalent avec des Chrétiens dans un pays musulman l’aurait été immédiatement. 


            • Gilles Gilles 29 octobre 2008 19:30

              Cela veut-il dire que nous devrions appliquer le principe de l’ancien testament "oeil pour oeil, dent pour dent" à l’égard de pays au régime politique autocratique et/ou fanatique alors que nous nous gargarisons d’êtres des états de droit démocratiques ?

              ça me fait penser aux cons qui refusent que soit porter le foulard en France simplement car le port de la croix est interdit en Arabie Saoudite

              Tu ne vaux pas mieux que les crétins de "l’autre bord". Même mentalité, même combat, même nombre de neurones

              Casses toi pauv’con !



            • Ricos77 Ricos77 29 octobre 2008 19:58

               "oeil pour oeil dent pour dent" c’est aussi dans le coran.
              Tendre la joue droite après avoir été frappée sur la gauche (qlq chose comme ça et inversement) c’est uniquement Chrétien.
              Oui, on devrait interdire le port du foulard en France.
              Quand ils mettrons la France à feu et à sang, comme ils l’ont toujours fait dès qu’ils en ont eu le pouvoir (apprends l’histoire) tu seras dans quel camp ?


            • Super resistant de l’islam 30 octobre 2008 09:10

              Exactement !

              Je ne vois pas pourquoi on irait leur construire des lieux de priere alors qu’eux nous refusent la reciproque !

              S’ils veulent renifler les tapis en babouches qu’ils aillent leur faire dans leur pays. Gilles peut y aller aussi , vu qu’il aime tant offrir son pays.


            • Gilles Gilles 30 octobre 2008 10:24

              Tendre la joue droite après avoir été frappée sur la gauche (qlq chose comme ça et inversement) c’est uniquement Chrétien.

              Justement Ricos, et ta charité chrétienne alors ? On pourrait rajouter :

              ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse

              Sans compter que les individus qui interdisent les églises en Arabie ne sont pas les mêmes qui vont prier à la mosquée en France. D’autant plus qu’il y a des églises dans la plupart des pays musulmans

              Mais bref en fait tu suis juste le précepte de l’ancien testament (qui est il est vrai aussi un livre saint pour les musulmans) mais tu restes aveugle aux valeurs chrétiennes. En ce sens tu es plus proche des salafistes que de Jésus


            • Nobody knows me Nobody knows me 30 octobre 2008 11:52

              Quand ils mettrons la France à feu et à sang, comme ils l’ont toujours fait dès qu’ils en ont eu le pouvoir (apprends l’histoire) tu seras dans quel camp ?

              Heu, vous parlez de qui là ? Des arabes arrêtés à Poitiers ? Dans ce cas, je voudrais juste émettre un bémol, car à cette époque, TOUT LE MONDE mettait le feu à la région qui correspond à peu près à la France... Les Goths, les Wisigoths, les Uns, les Vikings... Tout le monde venait se servir.
              Vous, apprenez l’histoire de manière plus exhaustive afin de remettre les faits dans leur contexte. On ne peut pas utiliser les invasions du Moyen-Âge pour anticiper sur une éventuelle nouvelle invasion... à moins de supposer que ce soit dans les gênes de certains. Et là, ce serait un peu plus grave. Voir plus haut... xD
              C’est n’importe quoi. Je ne vais par ex. pas supputer que les allemands pourraient de nouveau déporter les juifs sous prétexte qu’ils l’ont déjà fait !!


            • foufouille foufouille 30 octobre 2008 12:09

              la meute des caniches fa a rappliquee .........................


            • Orélien Péréol Roland Petit 29 octobre 2008 19:41

              Je trouve ce film plutôt mal fait. On comprend très tard et assez mal de quoi s’occupe cette enteprise (il y a deux activités). Les premiers plans montrent des circulations de chariots élévateurs, dans tous les sens, la caméra tourne et bouge aussi. C’est sûr, c’est rouge et c’est beau. Bien pus tard on voit une scène où un ouvrier répare une palette (ma fille de 20 ans avec son bac ES d’il y a deux ans n’a rien compris de ces deux activités, elle a cru que l’ouvrier passait une colère sur une palette...)
              Le patron utilise l’islam comme mode de management de ses employés. La religion est une forme de pouvoir, c’est pas nouveau, c’est juste comme ça actuellement. Il donne une salle pour une mosquée et nomme l’imam, ce que certains n’acceptent pas.
              Quand le patron doit fermer le garage, il s’y prend de la façon la plus brutale et insensible qui soit.
              La fin : le conflit entre les ouvriers des deux activités (les caristes ne peuvent plus travailler). Le patron vient et dit : "je suis chez moi". Aucun dialogue possible. Il pourrait leur montrer que l’activité n’est pas rentable et les mettre sur ce problème. Au lieu de ça, il répète "je suis chez moi", joue les zorros en escaladant la grille, se fait casser la gueule et le film se termine là dessus. Bon !
              Ce personnage n’est pas cohérent. La façon de filmer, lente, a un certain charme et fait "auteur" : il ne filme pas comme les autres, comme tout le monde... il a sa singularité et son point de vue sur le cinéma.
              Quant au titre, il est dans l’air du temps... l’entreprise est le dernier maquis (?...) c’est ça que cela veut dire ? il nous manque des analyses plus fines et plus pertinentes...

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