Ferrari avait une originalité toute aristocratique, qui imposait un peu de savoir, un droit d’accès à la connaissance, pour demeurer entre initiés. C’est le volume unitaire de chaque cylindre qui était affiché sur le catalogue, et cela n’a d’ailleurs changé que récemment avec l’ère Montezemolo et la nouvelle ligne baptismale, Maranello, Modena... Donc les savants savaient qu’une 250 était bien une 3 litres car absurde pléonasme, une Ferrari ne pouvait avoir que 12 cylindres.
C’est Mercedes qui a dû commencer avec les lettres : la SS puis la SSK, Super Sport mit Kompressor de Caracciola, hymne wagnérien à la puissance du Reich . Puis sophistiquer en ajoutant que sa 300 était SL, Sport Luxus et pas SE, pour Super mit Einspritzung. Luxus et pas Leicht, on s’en doute, mais éternelle quand même. Quoique non, puisque ces incorrigibles Anglais avaient utilisé le double S des SS tant qu’il était encore portable, sur leur Standard Swallow, devenue Jaguar après la guerre. La SS100, souvenez-vous. Et puis les MG du Morris Garage... Les années 30 furent fertiles en chiffres et en lettres. A Molsheim aussi, où le rigoureux Patron mettait un numéro à ses types de chassis (35,37,40, 51,57 etc. pour les plus célèbres), comme l’ingénieur Delage qui, lui, comptait les cylindres de ses onctueux moteurs (D6,D8) en ligne.
Puis vinrent les GT, pour Gran Turismo... Ah ! ces deux lettres magiques, que la décence imposait de ne pas afficher ailleurs que sur le catalogue des plus grands et des plus confidentiels. D’autant que le rusé Commandatore ne se refusait pas d’y ajouter si nécessaire quelques appellations d’origine étrangère du plus bel effet : SWB, pour « short wheel base » (chassis court) ou TDF pour « Tour de France » en souvenir des victoires d’une 250 dans la fameuse épreuve, ou mieux encore LM pour « Le Mans ». Mais nul n’était besoin d’en apposer les lettres sur la carrosserie ; il suffisait que ceux qui avaient à en connaître, sachent... Il me semble que c’est Aston-Martin qui vissa le premier avec sa DB4GT ces deux lettres mythiques sur la poupe « superleggera » de la belle. Un peu voyant sans doute, mais très mérité compte tenu des performances affichées par l’ auto. De quoi, sans aucun doute, s’autoriser de Grands parcours Touristiques, à la cravache. Que la route était belle !
Puis vinrent les i, derrière un T, sans injection, mais avec de bons gros Weber (TiSA) et la célébrissime 1800Ti la mère de toutes les Béhèmes. La première berline à franchir avec Dieter Quester la barrière symbolique des 10mn sur la Nordschleife du Nürburgring.. Avec l’arrivée de l’ injection Kugelfischer, force était de coller un deuxième i derrière le premier. Et vint la 2000 Tii...
C’est avec l’ apparition de la lettre D que les choses ont, à mon avis, commencé à se gâter un peu. Signe avant-coureur d’un changement d’époque. D’abord tout seul, un peu triste, mais si raisonnable derrière son petit panache de fumée malodorante. Puis bien vite, amélioré par le T qui, paraît-il, changeait tout. L’ empilage du « i » rendant les choses trop semblables, nos constructeurs occupèrent le terrain à l’initiative du GTI de Volkswagen qui se trouva vite interdit de vol sur d’autres hayons que celui de la Golf. Et chacun s’appropria une première lettre bien à lui et sa combinaison des deux magiques, Diesel et Indirectes, comme les contributions... Avec une armée d’avocats autour pour en défendre la rareté, donc la valeur.
Les HDI, CDI, DTI, DCI, SDI sonnent sans doute à l’oreille des générations d’aujourd’hui comme nos SWB, nos DOHC (Double overhead camshaft), nos TC pour Twincam (la même chose en plus Lotus) et nos TC (pour Turimo Corsa) ou TT (pour Tourist Trophy) d’hier. Ce sont d’autres lettres, pour d’autres temps. Nos constructeurs ont, semble-t-il, épuisé toutes les combinaisons prononçables, et se tournent désormais vers les cabinets spécialisés en invention de nom. Beau métier poétique, fait par ordinateur, qui nous donne des Vel Satis. Moi qui croyais en lisant l’ Auto-Journal des années 50 qu’en 2000 les voitures voleraient. On pouvait même les voir en dessin dans Tintin !
Elles ne volent toujours pas en 2003 , mais au moins elles ont parfois des noms de planètes mystérieuses. A chaque génération son romantisme.
Mais pas chez BMW, cette maison d’ingénieurs, dont la rigueur numérologique, 7, 5 , 3, ne résistera pas longtemps, semble-t-il, à une avalanche de nouveaux modèles. Les intervalles étant faits pour être comblés, le 6 est brillamment occupé à nouveau, les 1 et 2 sont en route. Pour le 8 et le 9 j’ai un doute... Mais tout est prévu pour les allergiques : l’option "sans type" est une option gratuite dans le tarif de la marque.
CDP
PS : Que les puristes me pardonnent les oublis et les erreurs inexcusables dans cette évocation où les chiffres et les lettres se sont un peu mélangés, en dansant la farandole dans mes souvenirs d’ automobiliste heureux.