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Eldorado : une belle utopie en actes

Création à Caen de la pièce de Marius von Mayenburg : Eldorado.

A l’heure où le monde de la culture manifeste une nouvelle fois son inquiétude et sa « faiblesse » politique, il est encourageant et stimulant de voir que, quelque part, dans une de nos belles « provinces » françaises, il existe encore des initiatives qui font honneur aux plus riches heures de la décentralisation dramatique.

Comme toujours au théâtre dressons le décor :
un Centre dramatique national (CDN) donc, à Caen. A sa tête, Jean Lambert Wild, un jeune metteur en scène fraîchement nommé qui tente de remettre à flot une structure de création essentielle, mais fragilisée par le lourd déficit d’une gestion antérieure.
Une jeune compagnie locale, ensuite, Actea, dirigée par un homme de théâtre : Olivier Lopez.
Une œuvre contemporaine enfin : la pièce de Mayenburg, découverte en France à travers la mise en scène du brillant metteur en scène allemand Ostermeier et présentée ici dans sa traduction française.
On le voit, on retrouve ici les éléments désormais classiques de la situation théâtrale en région : une institution lourde et « labellisante » : le CDN ; une jeune compagnie qui après quelques créations dans des circuits de création plus « intimistes » accède pour la première fois à un grand plateau, et un public enfin, qui, au final, restera le seul juge de la validité du « montage » artistique.
Si je prends soin ici de parler un peu des « cuisines » de la création théâtrale, de ces enjeux humains, politiques et culturels qui se livrent bataille derrière le rideau de scène, c’est bien pour rendre sensible, s’il en était besoin, les mécanismes qui permettent au public de découvrir (ou pas) une nouvelle œuvre théâtrale et plus gravement encore de redire les tensions, les espoirs qui se cachent derrière ces mots de Culture, Ministère, Région...
Trêve de politique cependant et consacrons toutes nos forces à décrire ce qui fait l’événement de cette création : son implacable et jubilante réussite.

La fable racontée par Mayenburg est simple. A travers quelques scènes, il nous expose la chute d’un jeune homme qui pensait faire de l’argent en construisant sur les ruines d’un monde : le sien. Comédie, drame, satire ? L’essentiel n’est pas dans le qualificatif que chacun trouvera bon, au final, de retenir. Non, l’essentiel se trouve dans le « sans faute » de toute l’opération. Un metteur en scène (Olivier Lopez) qui prend pleinement conscience des enjeux de la pièce et qui parvient, avec la force des moyens mis à sa disposition, à faire entendre une parole actuelle (laissons de côté le « moderne » si galvaudé) et qui parvient plus encore à produire un spectacle populaire en ne reniant rien de ses exigences artistiques et des ambiguïtés politiques du texte. Et c’est bien sur ce mot « populaire » qu’il convient de s’arrêter, parce qu’ici il vit sur le plateau, qu’il n’est pas ce « néon » clignotant aux frontons blafards de théâtres qui résistent encore à des appellations de « boîtes de nuit » ; parce que derrière le mot populaire se démontre, en actes, la volonté de réunir le temps d’une soirée, un public disparate et métissé, jeune ou plus âgé réuni autour de la découverte d’un texte, d’une aventure et d’un propos.
L’envie n’est pas ici de livrer une critique littéraire pertinente ou passionnée de ce travail, mais bien de souligner à quel point de tels « petits bonheurs de théâtre » sont encore possibles dès lors qu’une institution joue pleinement son jeu : celui de la distinction, de la chance et de la confiance accordée à une équipe de création ; en ne cherchant pas à la reléguer dans une petite salle, en ne la poussant pas à penser « petit » (un projet avec deux personnages), en lui permettant de rêver « grand » !
Hélas, notre monde du théâtre n’est pas qu’un Eldorado. Et l’on sait par avance, au-delà des qualités indéniables du projet, les difficultés qu’il rencontrera à sortir de sa ville, à faire entendre sa pertinence esthétique et c’est autour de cette difficulté que la profession des gens de théâtre devrait se réunir. Quels sont aujourd’hui les mécanismes qui empêchent implacablement des réalisations de ce genre de connaître une plus large audience ? Le propos dépasse largement l’actualité de cette création à Caen car, à moins de rejeter l’ensemble du théâtre public, il existe partout en France de telles aventures singulières. Alors est-ce la faute à l’engorgement du système, à la paresse des programmateurs, à la redoutable consécration parisienne, au népotisme inconséquent de quelques directeurs de salles, à la diversification des pratiques culturelles ? Il est urgent d’esquisser des réponses à toutes ces questions, mais il est plus urgent encore de continuer à faire confiance au théâtre. Il me semble cependant essentiel de dire ici que l’esprit des pionniers de la « décentralisation » n’est pas mort, qu’il produit encore des pépites telles qu’on les rêvait sur les chemins d’un Eldorado et qu’il suffit peut-être de réactiver le désir d’y croire encore.
A Caen, une jeune compagnie a fait ce rêve et nous avons jusqu’au 14 mars pour l’accompagner.
Eldorado
De Marius von Mayenburg
Mise en scène d’Olivier Lopez
Théâtre d’Hérouville.


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