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Eloge de Guillaume Depardieu dans le dernier Rivette

Impressionné par le dernier Rivette (Ne touchez pas la hache), adapté de La Duchesse de Langeais de Balzac, notamment pour sa vitesse d’enchaînements des sentiments et des corps sous pression, une sorte de film-compression, évoquant une douloureuse passion ratée, et surtout impressionné par le charisme de Guillaume Depardieu, absolument... étourdissant. Pourquoi ?

C’est une question d’une sorte de présence indomptable, de résistance au cadre, de tempête visible sous un crâne et dans un grand corps malade, c’est la présence d’un corps-masse quoi, qui, même fatigué, même handicapé, se pose dans le plan, tel une entité, un bloc, un territoire, une citadelle. Alors bien sûr, cette présence physique et cette aura style « romantisme noir », pas si loin d’un sadomasochisme qui contamine ce film tendu, on ne peut les extraire du réel, depuis notamment le rôle de Depardieu en écrivain maudit à la Russe dans le crépusculaire Pola X, et surtout du fait du background existentiel de Guillaume Depardieu - à savoir le fait qu’il est poète et qu’il est acteur avant de faire l’acteur.

Oui, il trimballe avec lui une souffrance sourde, un pathos (non lacrymal) qui le rend désespérément too much, sympathique en diable, voire fascinant parce que bigger than life. Quand il joue l’écorché vif, le mec qui brûle la vie par les deux bouts, ça ne fait pas Actor studio façon Benoît Magimel dans Truands ou Romain Duris dans De battre mon cœur s’est arrêté, c’est-à-dire qu’on sait qu’il ne joue pas, qu’il ne cachetonne pas ici, il est ainsi : une force brute, une carcasse abîmée, une passion qui se consume irréversiblement, avec un net penchant pour l’autodestruction (son visage est paysage-cicatrices), et c’est à prendre ou à laisser. Et alors on comprend pourquoi un cinéaste de l’ampleur romanesque de Jacques Rivette (fasciné par les complots, les sociétés secrètes, les zones d’ombre, le mystère de la présence des acteurs et par Balzac) s’empare d’un tel acteur (né) qui va tout donner, quitte à s’écorcher, à se brûler les ailes, définitivement. Tout donner, on s’en souvient, c’est le titre de son bouquin (2004, Plon) qui s’annonçait en fait programmatique : « Je suis d’ailleurs, je suis un esprit, je suis une force, je suis un magnétisme, une énergie, quelque chose qui va susciter, qui va pouvoir engendrer d’autres choses... Je suis un loup, un animal sauvage, indomptable, je me suis fabriqué mes rites, mes autels, mes religions... » (Guillaume Depardieu). Ouais, OK, on peut trouver ça hyperprétentieux, hypermégalo (l’envie de légitimer sa place, son ego, par rapport à la figure tutélaire de son père-ogre, je t’aime moi non plus, etc.) mais ça se vérifie aussi à l’écran... à cran quand son corps-animal, emporté, moins technique que la théâtralité brillante de sa partenaire de choc (Jeanne Balibar), vient créer un territoire dans le territoire du film, une île, bien au-delà de la simple « mythologie » du personnage autour de son amputation connue ( la hache du titre, tiens tiens, ce n’est pas à négliger pour autant) et de la peoplisation de la « chose ». Le talent, ça se voit.

Et Rivette, selon moi, se sert magnifiquement de l’animal Depardieu. Il exclut d’emblée le voyeurisme du spectateur (comment l’acteur va gérer cet handicap au cinéma ?) en le montrant, en pied, en train de marcher, telle une figure-totem de Giacometti, debout, parmi les « ruines » romantiques à la Hubert Robert de Majorque, et même affrontant, en claudiquant, des escaliers. Il est Armand de Montriveau, général bonapartiste baroudeur, au regard d’aigle guettant sa proie, mais aussi pirate, investissant des espaces ou ouvrant des portes, des appartements, comme s’il occupait des proues de bateaux corsaires.

L’intensité animale de Guillaume Depardieu, pas si éloignée d’un côté rock star à la Keith Richards, est à son climax dans deux moments forts du film. Au tout début, donc, quand tel un sphinx sorti tout droit d’un tableau de Caspar David Friedrich, il pose devant le bleu azur du ciel, assis. Puis, vers la fin, sur un mode apparition-disparition, quand le Vidame de Pamiers ( alias Piccoli ) attend, dans un salon froufroutant, de voir... la bête blessée, celui dont on parle tant, guettant le « membre fantôme », le « corps fantôme », et dit : « Voici le pantalon ( lapsus révélateur qui en dit long )... le planton de madame la Duchesse ». Eh oui, un planton, c’est un soldat de service portant des ordres d’en haut, une sentinelle sans armes, mais c’est aussi quelqu’un qui se tient debout ( rester de planton = attendre debout ). Et qui voit-on alors dans le cadre rivetien, tel un chêne vieilli prématurément ? Eh bien Guillaume Depardieu qui, même debout, boitant ou assis, reste debout, fier, rockmantik, habité. C’est une idée fixe, une verticale qui en impose grave, bref ce qu’on appelle une présence, je crois...



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