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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Excalibur : un hymne écolo ?

Excalibur : un hymne écolo ?

La Nature au cinéma, c’est presque un thème inépuisable. Récemment, un ami me demandait de participer à un débat dans lequel étaient abordés des films aussi différents que la Marche de l’Empereur, Mon voisin Totoro ou Blade Runner.
Voyez par exemple la manière dont la forêt est dépeinte dans Blanche Neige de Disney, avec ces arbres menaçants qui terrorisent la jeune fille à la recherche d’un refuge, ces animaux qui semblent pleurer (alors que c’est la pluie qui coule sur la fenêtre et agit par transparence) et paraissent constamment en empathie avec elle. On retrouve une vision similaire (quoique graphiquement différente) dans la Belle au bois dormant quand Aurore chante dans la forêt et que Philippe l’entend : soudain la princesse est fondue dans un élément naturel dont elle est pourtant le centre d’intérêt, ranimant les anciens pactes et les légendes, la nimbant de l’aura d’une sylphe ou d’une dryade.
C’est ensuite que j’abordais l’un de mes films préférés.

Il y a donc Excalibur (j’évite d’aborder la Forêt d’émeraude du même Boorman, une œuvre que je connais mal).

Regardez. Le second tiers du film s’achève. La terre se meurt, l’hiver s’attarde, les paysans crient famine car la Quête (celle du Graal) s’essouffle et l’espoir s’amenuise. Les cultures trop chiches ne peuvent plus subvenir aux besoins d’une populace désenchantée : le roi, Arthur, incarnation du divin sur terre, dépositaire de la magie ancestrale et garant de la bonne marche de l’ordre des choses, Arthur, donc, est mourant, exsangue. De son souffle, de sa force dépend l’énergie qui nourrira les semences, fleurira les essences et redonnera confiance. Las, il ne le peut plus : il n’en a guère, ni la force, ni la volonté, brisé dans son âme, poignardé par cette liaison entre les deux êtres qu’il aime le plus au monde (de son propre aveu fait à Merlin lorsque, sur les remparts de la cité fortifiée de Camelot, auréolés des derniers feux du soleil couchant, il confiait ses doutes à celui qui l’avait élevé dans le respect des traditions). Ainsi, son ami, son frère d’armes, Lancelot du Lac, dont chacun admire la prestance, la vaillance et la loyauté sans égales, le Blanc Chevalier aime Guenièvre, la reine – et celle-ci, ce qui est bien pis, l’aime en retour.

Trahison. Forfaiture.

De son épée légendaire, Arthur fend la terre et crache son désarroi à la face du Dragon enseveli : les pactes sont désormais rompus. Sans son arme issue de la magie des dieux, le roi n’est plus que l’ombre amère du monarque éclairé : le royaume s’enfonce dans la perdition, les hommes réapprennent à écouter leurs plus vils instincts. La peur remplace la foi, la violence et le déni deviennent les nouvelles valeurs universelles. De la Nature, l’Homme ne peut plus attendre que la colère : les éléments se déchaînent, les plantes se refusent.

L’espoir, pourtant, n’est pas mort. Il demeure dans le souvenir de ceux qui ont contemplé et compris la radieuse beauté de cette harmonie bénie : dans ce mariage entre l’humain et le terrestre, il y a l’union sacrée entre les cultes antiques et la nouvelle religion. La Nature n’est pas le Temple de Satan, comme le soulignait (jusqu’à l’écœurement d’une démonstration aussi fascinante qu’abjecte) le dernier Lars von Trier, Antichrist. Elle est l’autel d’un hymen cosmique. Merlin, druide issu de démon, puisant sa force dans les anneaux du Dragon dont les écailles sont les montagnes, le sait mieux que quiconque : quoiqu’endormi, il n’est pas mort (et là, les amateurs de Lovecraft se souviennent de ces heures perdues à répéter à voix basse l’hymne de Cthulhu attendant son heure…) et peut toujours se faire entendre de ceux qui continuent à espérer. Merlin vit donc : il est dans la brise qui s’enroule autour de ces mégalithes où Arthur recherche l’apaisement de son tourment, mais également dans le courant turbulent de la rivière qui emporte un Perceval s’accrochant à sa Foi – car, ainsi qu’il le hurle à un Lancelot transmuté par le remords : c’est tout ce qui lui reste.

Dans cette énergie qui opère la jonction avec les forces élémentales, Perceval le persévérant puise la force de continuer et, au seuil de la mort, parvient à arpenter la voie qui mène au Graal – au Salut mystique qui réveillera Arthur de sa léthargie cathartique. Il lui fallait l’aide d’un homme, sans doute Elu, qui après avoir affronté mille épreuves, aura compris l’essence même du lien unissant la Nature à l’homme, la Terre au Roi.

Alors, les Chevaliers, à nouveau unis, mènent l’ultime assaut, ensemble, contre le fruit d’une erreur et les réminiscences d’une trahison ; sur leur passage, la Nature reverdit, refleurit au rythme du Carmina Burana d’un Carl Orff exploité à la perfection : les arbres s’inclinent sur leur passage, tout en retrouvant leur majesté d’antan, les plantes se parent de corolles multicolores et se dressent en une éclatante haie d’honneurC’est de l’eau que naquit Excalibur, dont chaque apparition teinte l’écran de ces reflets d’émeraude qu’affectionne Boorman, et c’est dans l’eau claire, profonde d’un lac (ou d’une crique) qu’elle retournera, brandie une dernière fois par la main de la Dame du Lac alors que résonnent les cuivres étincelants de Wagner dans ses Funérailles de Siegfried (un moment inoubliable pour moi à chaque écoute, chargé d’une puissance presque magique). Alors Arthur, enfin apaisé, au soir de sa vie trop chargée d’homme au destin surhumain, gagnera sa dernière demeure allongé dans une barque le menant, par delà la mer et l’horizon flamboyant, sur l’île d’Avalon où il reposera en paix, l’âme guérie. Arthur, roi symbolique, qui a connu la révélation au sein même de la forêt, dans l’antre de Merlin, découvrant la puissance omniprésente du Dragon, symbole des forces telluriques, une forêt tour à tour enveloppante et réconfortante, mais aussi inquiétante et mystérieuse, peuplée d’êtres angoissants, dont la pénombre recèle mille dangers et expériences captivantes alors que les frondaisons étincellent au soleil. Une forêt qui ressemble à celle de Sherwood, à la fois repoussoir (car soi-disant peuplée de monstres et hantée de spectres) et refuge des pauvres gens dans Robin des bois, prince des voleurs.

Un berceau, un foyer.


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2 réactions à cet article    


  • Vincent Delaury Vincent Delaury 11 janvier 2010 13:12

    Vance : « Il y a donc Excalibur (j’évite d’aborder la Forêt d’émeraude du même Boorman, une œuvre que je connais mal). »

    C’est dommage car La Forêt d’émeraude (1985) est vraiment un beau film, belle réflexion sur la Nature en tant que champ énergétique, on peut d’ailleurs tisser des liens entre ce Boorman et le cinéma de Terrence Malick, jusqu’au tout récent Avatar mettant l’accent sur une déforestation galopante au nom du profit.


    • Vance Vance 11 janvier 2010 16:39

      Oui, merci du conseil. J’enrage d’ailleurs de ne pas trouver le temps de le visionner car je suis plutôt sensible au cinéma de Boorman. Sur la déforestation, il y avait aussi un beau petit film d’animation dont le nom m’échappe. Et puis le récent Loup de Nicolas Vannier l’évoque à demi-mots.

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