Femmes sans hommes, Iran été 1953...
Women without men (2009) de Shirin Neshat, Lion d’argent de
Women without men est la synthèse de plusieurs vidéos en format Cinémascope réalisées entre 2003 et 2008. Si l’écrivaine Shahrnush Parsipur, qui interprète une mère maquerelle dans le film, racontait dans son livre le destin de cinq personnages en terres musulmanes, Shirin Neshat, elle, choisit pour son film de n’en garder que quatre. Selon un schéma… lelouchien qui commence à faire école ! (on ne compte plus les cinéastes contemporains, de Iñárritu à Eastwood via Ang Lee, qui en usent), on assiste aux destins croisés de quatre musulmanes qui, à la fin, se retrouvent dans un jardin édénique leur servant de refuge ou d’ouverture sur l’espoir, la liberté. Téhéran, 1953, dans un climat de troubles sociopolitiques sur fond de coup d’Etat, ces quatre femmes iraniennes, issues de classes sociales différentes, se trouvent réunies pendant quatre jours. Zarin, une jeune prostituée prise d’hallucinations, fuit sa maison close. Munis, cloîtrée par son frère – un intégriste religieux qui veut la marier -, résiste à la réclusion en développant sa conscience politique et en s’ouvrant au monde par l’écoute de la radio. Son amie Faezeh a été victime d’un viol. Elle reste aveugle aux soubresauts sociaux, rêvant uniquement d’épouser le frère autoritaire de Munis. Fakhri, la cinquantaine, est prisonnière d’un mariage malheureux. En proie à ses sentiments, elle en pince sérieusement pour un amour de jeunesse fraîchement revenu des Etats-Unis.
A la fin du film, son générique nous apprend qu’il « est dédié à la mémoire de ceux qui ont perdu la vie en luttant pour
Alors que l’agitation dans les rues de Téhéran se développe, les quatre femmes du film tentent de se libérer de leurs tourments, des hommes, de la société iranienne et de ses diktats. Women without men, c’est comme Une Journée particulière (1977) multipliée par quatre. Mais à une différence près, le film de Neshat est nettement moins émouvant que le Scola. Son film est plus distant, plus indirect, moins incarné. Neshat met beaucoup de filtres symboliques, philosophiques et esthétisants pour narrer son histoire. Ca présente un avantage, on l’a déjà mentionné, qui est de ne pas confondre art et journalisme et de conduire le récit dans un registre onirique tenant à distance un trop grand didactisme. Mais ça comporte également un inconvénient : on reste à distance des personnages et du monde représenté. Bref, ça manque de chair. Si Fakhri, l’épouse occidentalisée d’un général, fait circuler autour d’elle une belle émotion (cf. la superbe séquence où elle chante devant une assemblée émue par sa classe et sa séduction), les trois autres personnages (Zarin, Munis, Faezeh) sont davantage des archétypes que des êtres de chair et de sang. Dommage. Et il ne suffit pas de filmer dans un hammam la jeune Zarin en train de se frotter la peau jusqu’au sang pour nous faire toucher, sans mauvais jeu de mots, l’os du personnage. C’est pour moi la faiblesse du film. Autant il présente une beauté formelle indéniable, avec un sens aigu de la composition visuelle, et une résonance politique tout à fait louable (après Kiarostami, Jafar Panahi et
Avec intérêt, on suit ce qui se passe à l’écran sans être véritablement absorbé alors qu’on sent que la cinéaste aimerait vraiment parvenir à cela - « Je pense que chacun d’entre nous a une relation particulière aux formes d’art narratif. (…) Ecouter des histoires, c’est un moyen d’échapper à la réalité de sa personnalité propre et d’entrer dans celle de quelqu’un d’autre. C’est pour cela que le public est beaucoup plus absorbé par les films que par toute autre forme d’art. » (Neshat) Avec Women without men, on reste hélas sur le pas de la porte, en quelque sorte on n’est jamais invité à table avec les personnages, du fait d’un traitement narratif et formaliste qui tient à distance l’émotion. Mais, à la décharge de la réalisatrice, peut-être qu’au cinéma, le traitement merveilleux d’une histoire, tirée du côté du conte, de la métaphore et de l’allégorie, est moins propice à l’ébranlement du spectateur que le traitement « coup de poing » de films au style direct ancrés dans un cinéma réaliste et social, genre les Dardenne ou Kechiche. Malgré ce bémol, Women without men est un film estimable, ambitieux et stylé, dont certaines images (une femme enterrée qui renaît à la vie, des manifestations filmées telles des chorégraphies urbaines, un verger luxuriant s’ouvrant à la poésie persane mâtinée de mysticisme) restent longtemps en tête après l’avoir vu ; du 3 sur 5 pour moi.
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