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Femmes sans hommes, Iran été 1953...

 Women without men (2009) de Shirin Neshat, Lion d’argent de la Mostra de Venise 2009, est l’adaptation cinématographique du livre éponyme. « Women without men est un livre très connu en Iran et Shahrnush Parsipur compte parmi les auteurs contemporains iraniens les plus célèbres. Je m’intéresse à son travail depuis longtemps ; son imagination et le style surréaliste de son travail me fascinent et se prêtent par ailleurs parfaitement à la forme très visuelle que je voulais pour mon film. » S’il s’agit du 1er long métrage de Shirin Neshat, précisons qu’elle n’est point une débutante dans l’art. Photographe et vidéaste, elle est représentée par de grosses galeries (Barbara Gladstone, Jérôme de Noirmont) et expose dans le monde entier. Ses portraits photographiques sont en général rehaussés par une calligraphie à l’encre (farsi ou parsi / persan) qui forme comme des rides ou des stries sur la « peau » de la photo. Quant à ses vidéos, elle raconte également des histoires avec. Ce sont de courts films narratifs qui questionnent l’identité des femmes musulmanes dans le monde, sur fond de dialectiques homme/femme, occident/orient, dominant/dominé. Ces oppositions théoriques s’accompagnent également d’oppositions formelles, entre lumière et obscurité, noir et blanc.

Women without men est la synthèse de plusieurs vidéos en format Cinémascope réalisées entre 2003 et 2008. Si l’écrivaine Shahrnush Parsipur, qui interprète une mère maquerelle dans le film, racontait dans son livre le destin de cinq personnages en terres musulmanes, Shirin Neshat, elle, choisit pour son film de n’en garder que quatre. Selon un schéma… lelouchien qui commence à faire école ! (on ne compte plus les cinéastes contemporains, de Iñárritu à Eastwood via Ang Lee, qui en usent), on assiste aux destins croisés de quatre musulmanes qui, à la fin, se retrouvent dans un jardin édénique leur servant de refuge ou d’ouverture sur l’espoir, la liberté. Téhéran, 1953, dans un climat de troubles sociopolitiques sur fond de coup d’Etat, ces quatre femmes iraniennes, issues de classes sociales différentes, se trouvent réunies pendant quatre jours. Zarin, une jeune prostituée prise d’hallucinations, fuit sa maison close. Munis, cloîtrée par son frère – un intégriste religieux qui veut la marier -, résiste à la réclusion en développant sa conscience politique et en s’ouvrant au monde par l’écoute de la radio. Son amie Faezeh a été victime d’un viol. Elle reste aveugle aux soubresauts sociaux, rêvant uniquement d’épouser le frère autoritaire de Munis. Fakhri, la cinquantaine, est prisonnière d’un mariage malheureux. En proie à ses sentiments, elle en pince sérieusement pour un amour de jeunesse fraîchement revenu des Etats-Unis.

A la fin du film, son générique nous apprend qu’il « est dédié à la mémoire de ceux qui ont perdu la vie en luttant pour la Liberté et pour la Démocratie en Iran – de la Révolution Constitutionnelle de 1906 au Mouvement Vert de 2009  ». Doit-on rappeler que le Moyen-Orient est la 2e région productrice de pétrole après l’Amérique du Nord ? Ici, le pétrole, nerf de la guerre, est une fois de plus à l’origine du conflit. En 1951, le pétrole iranien, afin de mettre fin au joug britannique, est nationalisé par le Dr Mossadegh, 1er Ministre de l’époque élu démocratiquement. Il s’agit pour lui de montrer que le pétrole iranien appartient à l’Iran. Les dirigeants britanniques refusent de coopérer. En 1952, la Grande-Bretagne planifie de renverser Mossadegh. Celui-ci ordonne aussitôt l’expulsion des citoyens britanniques hors d’Iran. Utilisant la menace de la « propagation du communiste », Churchill parvient à convaincre Eisenhower d’intervenir. En 1953, l’armée britannique et la CIA orchestrent un coup d’Etat en Iran ; le gouvernement de Mossadegh a été le 1er mais aussi le dernier à être élu en Iran de manière démocratique. Neshat mêle classiquement les petites et la grande histoire. Son film est ouvertement féministe, elle montre la tradition et la religion des islamistes dans leur rapport aux femmes, à la sexualité, au corps, au désir. Mais cela ne l’empêche pas de montrer des hommes, révolutionnaires et autres, qui combattent pour la liberté et l’affranchissement des femmes via notamment la défense de la culture. C’est un film politiquement engagé : Neshat, qui vit aux Etats-Unis depuis 1974, a dû tourner son film au Maroc. La réalisatrice, en montrant que son pays a cherché à s’émanciper de l’impérialisme américain, donne à voir ce coup d’Etat de 1953 organisé par la CIA comme, non seulement un élément majeur de l’Histoire du Moyen-Orient, mais également comme une date mondiale importante qui a marqué le début des vives tensions entre puissances occidentales et monde musulman. On est ici au bord du film à thèse mais sans jamais y être vraiment. Grâce à la puissance évocatrice de ses images, la plasticienne Shirin Neshat évite le pensum idéologique car elle se nourrit certes de politique mais aussi et surtout de poésie.

Alors que l’agitation dans les rues de Téhéran se développe, les quatre femmes du film tentent de se libérer de leurs tourments, des hommes, de la société iranienne et de ses diktats. Women without men, c’est comme Une Journée particulière (1977) multipliée par quatre. Mais à une différence près, le film de Neshat est nettement moins émouvant que le Scola. Son film est plus distant, plus indirect, moins incarné. Neshat met beaucoup de filtres symboliques, philosophiques et esthétisants pour narrer son histoire. Ca présente un avantage, on l’a déjà mentionné, qui est de ne pas confondre art et journalisme et de conduire le récit dans un registre onirique tenant à distance un trop grand didactisme. Mais ça comporte également un inconvénient : on reste à distance des personnages et du monde représenté. Bref, ça manque de chair. Si Fakhri, l’épouse occidentalisée d’un général, fait circuler autour d’elle une belle émotion (cf. la superbe séquence où elle chante devant une assemblée émue par sa classe et sa séduction), les trois autres personnages (Zarin, Munis, Faezeh) sont davantage des archétypes que des êtres de chair et de sang. Dommage. Et il ne suffit pas de filmer dans un hammam la jeune Zarin en train de se frotter la peau jusqu’au sang pour nous faire toucher, sans mauvais jeu de mots, l’os du personnage. C’est pour moi la faiblesse du film. Autant il présente une beauté formelle indéniable, avec un sens aigu de la composition visuelle, et une résonance politique tout à fait louable (après Kiarostami, Jafar Panahi et la Marjane Satrapi de Persepolis, on prend plaisir à découvrir l’Iran à travers le regard perçant de la Persane Shirin Neshat), autant le film, qui fonctionne par des entrecroisements de blocs narratifs ne facilitant pas l’attachement aux personnages, manque d’intensité dramatique. Tout cela est très joli (le vent qui s’engouffre dans les voiles noirs des musulmanes filmés au ralenti ; les tons saturés tels que les noirs profonds des intérieurs et les blancs lumineux aveuglants de terres d’Orient dévorées par le soleil), mais il y manque un supplément d’âme, un je-ne-sais-quoi qui fait qu’un film devient soudain magique.

Avec intérêt, on suit ce qui se passe à l’écran sans être véritablement absorbé alors qu’on sent que la cinéaste aimerait vraiment parvenir à cela - « Je pense que chacun d’entre nous a une relation particulière aux formes d’art narratif. (…) Ecouter des histoires, c’est un moyen d’échapper à la réalité de sa personnalité propre et d’entrer dans celle de quelqu’un d’autre. C’est pour cela que le public est beaucoup plus absorbé par les films que par toute autre forme d’art. » (Neshat) Avec Women without men, on reste hélas sur le pas de la porte, en quelque sorte on n’est jamais invité à table avec les personnages, du fait d’un traitement narratif et formaliste qui tient à distance l’émotion. Mais, à la décharge de la réalisatrice, peut-être qu’au cinéma, le traitement merveilleux d’une histoire, tirée du côté du conte, de la métaphore et de l’allégorie, est moins propice à l’ébranlement du spectateur que le traitement « coup de poing » de films au style direct ancrés dans un cinéma réaliste et social, genre les Dardenne ou Kechiche. Malgré ce bémol, Women without men est un film estimable, ambitieux et stylé, dont certaines images (une femme enterrée qui renaît à la vie, des manifestations filmées telles des chorégraphies urbaines, un verger luxuriant s’ouvrant à la poésie persane mâtinée de mysticisme) restent longtemps en tête après l’avoir vu ; du 3 sur 5 pour moi. 

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1 réactions à cet article    


  • Alicia fFrance aliciabx 21 avril 2011 15:16

    Bel article qui n’intéressera sûrement pas les machos du coin.

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