François Hadji-Lazaro : « on ne s’en sortira jamais »

Sur scène Pigalle c’est François François (batterie), Boubouche (basse), Gael Mesny (guitares) et bien sûr François Hadji-Lazaro qui a fondé le groupe en 1982 et que nous interviewons ci-dessous.
Sur Des espoirs, 6ème album studio (si l’on compte la compilation Neuf et occasion qui comportait 6 titres inédits), seul figure le nom de François Hadji-Lazaro.
Mais tout ça c’est du passé. Aujourd’hui Des espoirs est, comme on dit, dans les bacs. Force est de constater que François comme le bon vin s’améliore avec l’âge.
Pas de super-héros en vue, mais des gens banals qu’on croise tous les jours sans vraiment les voir. Bref, chez Pigalle ce n’est pas très bien fréquenté, c’est un peu comme la rue ou ces bistrots tellement cradingues qu’ils n’ont pas les moyens de s’appeler des lounges.
Interview de François Hadji-Lazaro par Olivier Bailly
Olivier Bailly : Qu’est-ce qui différencie Pigalle de François Hadji-Lazaro ?
François Hadji-Lazaro : Au départ Pigalle c’était trois amis. C’est moi qui leur ai donné envie de faire de la musique. Après on s’est retrouvés en duo. Ensuite je n’ai refait un groupe que parce qu’il y avait une demande. Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Trembley, personnage falot mais ô combien attachant (1986), disque où il y a Dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs, c’était le deuxième album. Et même le dernier.
OB : Dans l’écriture des textes qu’est-ce qui diffère ?
FHL : On retrouve une patte. Même dans Los Carayos, avec Schultz et Manu Chao, ou encore dans les Garçons bouchers, même si les thèmes sont différents et les rythmiques beaucoup plus violentes. On savait très bien qui avait écrit quoi. Je trouve ça très important.
OB : Des espoirs = no futur ?
FHL : Oui et non. Si je l’assumais je n’aurais pas fait d’enfant. Quand on a créé le label Boucherie production on considérait que le marché du disque était déjà mort. Notre marque de fabrique était d’être pessimistes et efficaces. Là c’est un peu pareil.
OB : La tonalité générale de l’album est assez fataliste. Il n’est question que de gens qui ne s’en sortiront jamais et pour qui tout est joué
FHL : C’est l’évidence de la société elle-même : on ne s’en sortira jamais. Mais ça n’empêche pas d’aller y chercher quelques petites pépites. Quand on écoute les chansons, même dans les plus effroyables, il y a toujours en permanence, par-ci par-là, un jeu de mot, un côté décalé.
OB : Des espoirs fait penser à un recueil de nouvelles où les instruments donnent une coloration particulière à chaque chanson, la nimbe d’un décor fantastique, festif, onirique, nostalgique, glauque…
FHL : Au niveau des textes, je me réfère beaucoup à la tradition de la chanson réaliste. Bon le terme chanson réaliste c’est pas beau, j’aimerais qu’on trouve autre chose …Dans la chanson réaliste, si on enlève l’arrangement, la façon de chanter, les voix - les voix et la façon de chanter changent tous les dix ans - on verra que la plupart du temps les thèmes et les personnages sont totalement intemporels.
FHL : Têtes raides, on peut dire que c’est de la chanson réaliste. Des dizaines de groupes ont copié cette démarche. A la fin avec le label Boucherie on en avait marre de ces groupes. Il y a eu tellement de copies conformes que ça s’est cassé la gueule. Maintenant il n’y en a presque plus ou alors ça passe pour ringard - je trouve ça très bien parce que moi aussi je trouve ça ringard à part ceux qui ont commencé comme Têtes raides et qui ont ouvert des portes.
OB : Elle est un peu nombriliste la chanson qu’on entend aujourd’hui, non ?
FHL : Oui, c’est vrai, mais enfin il y a eu toujours ça. On peut considérer que Gainsbourg c’est de la chanson hyper nombriliste
OB : Peut-être que le talent fait la différence ?
FHL : Il y a surtout le problème de l’abstraction. Il faut manier l’abstraction avec dextérité. Souvent je trouve ringard le côté réaliste, mais quand on fait de l’abstraction contraint et forcé parce qu’on ne sait pas quoi faire autrement ça devient de l’abstraction en plastique et c’est bien pire. Et c’est souvent le cas.
OB : Pour le coup Des espoirs ne fait pas dans l’abstraction ni dans le virtuel
FHL : Bien qu’il y ait une chanson, Ophélie, qui parle d’une petite nana sur son ordinateur et qui se met à rêver. C’est comme le mec qui veut enculer les biches, je ne sais pas s’il y en a tant que ça. Moi j’ai essayé, ça court vite. Le seul moyen c’est d’enculer les vieilles biches. C’est un choix. Il y a celles qui courent le moins vite. Mais bon.
OB : Vous jouez de nombreux instruments de musique depuis longtemps. En découvrez-vous de nouveaux parfois ?
FHL : Oui, je joue sur scène un instrument dont je ne jouais pas avant, qui s’appelle la pipa, le luth chinois qui jusqu’au début du siècle n’était joué que par les femmes, mais je n’ai pas le temps de me déguiser…
OB : Qui voudrait parler d’elle semble une chanson assez représentative des personnages que vous décrivez dans le cd. A part vous qui voudrait parler de cette femme dont la "vie si futile, restera en rade" ?
FHL : Eh ben Alain Souchon ! Je le dis dans la chanson ! J’ai été correct, je lui ai demandé le droit, il ne m’a même pas répondu. C’est vrai qu’on peut comprendre que c’est un peu moqueur vis-à-vis de lui.
OB : Vous les traitez avec distance, pourtant, sans donner de leçons
FHL : Il y a donneur de leçon et donneur de leçon. Je n’aime pas non plus les chansons revendicatives. Mais ça reste ça. Le mode d’emploi, la façon d’enrober la chose est différente, mais ça reste de la chanson « engagée ». Sauf que si je n’aime pas le terme chanson réaliste celui de chanson engagée c’est encore pire !
OB : Vous n’abordez pas les questions sociales, mais vous décrivez la manière dont les individus sont broyés par un monde qui leur est hostile.
OB : Vous avez adapté des textes de Roland Topor. Y a-t-il d’autres auteurs avec qui vous aimeriez travaillez ?
FHL : Pas tellement, non. C’était un bon hasard. On m’a souvent posé la question. Jean Teulé m’avait conseillé de reprendre des chansons de Villon. Ça t’irait bien, m’avait-il dit. Mais quand on lit vraiment les textes de Villon. Déjà pour les comprendre ce n’est pas simple…
OB : La chanson Je bois ma vie, c’est le versant triste de l’alcool ? Le portrait de quelqu’un qui aime se saouler plutôt que bien boire, contrairement à vous ?
FHL : Si j’avais suivi ma démarche adolescente et post-adolescente, je ne serais même pas là pour en parler ! J’étais parti pour me tuer directement. C’était la bouteille de Ricard entière, à tomber par terre. J’ai arrêté au moment où il fallait.
OB : Est-ce qu’il y a chez vous une nostalgie de ces comptoirs qu’on trouvait encore dans le Paris des années 80 ?
FHL : Je vais dire oui, parce que j’y ai fais des trucs délirants. Mais est-ce bien objectif ? Est-ce que je n’oublie pas exprès plein de choses ? Donc, je m’en méfie.
OB : Paris, la nuit, c’est fini ?
FHL : J’ai vécu jour et nuit à Pigalle. On pouvait vivre la nuit. Je me souviens qu’on ne dormait pas pendant des jours et des jours. Mais c’était déjà plus le Pigalle des bandes de Marseillais et de Corses où ça rigolait moyen la nuit.
OB : Dans une chanson de Pigalle !
FHL : Voilà ! C’est pour ça que je parle de ce fameux pessimisme constant.
OB : La Dernière fois est " la fin supposée" de La première fois, chanson extraite du deuxième album de Pigalle, sorti il y a vingt ans. Quel regard vous portez sur ces deux décennies, sur la crise du disque, notamment ?
FHL : Là effectivement j’y vois un côté plus politico-culturel. Ça va faire ancien combattant, mais si on remet dans le contexte, à Boucherie production, on a vite défini un rôle où l’on pouvait faire bouger les choses. Ce qui a été vrai. Si d’autres groupes et labels, Bondage mis à part, bref si tous les « traîtres ! » comme Têtes raides, Noir désir et autres Mano Negra (encore que la Mano c’est un peu différent)…
OB : …On cite les noms ?
FHL : Oh, moi, personne n’ose me toucher ! J’ai toujours la réputation du taré total ! Non, mais je regrette que ces groupes qui étaient forts à l’époque n’aient pas créé immédiatement leur structure. On se seraient retrouvés avec une douzaine de structures aussi fortes que Boucherie qui, quand ça a commencé à marcher, je peux vous dire que dans le milieu des majors, c’était alerte, alerte !
François Hadji-Lazaro (avec le Professeur Choron et Jackie Berroyer) : Je chante très mal le blues
Los Carayos (Hadji-Lazaro, Schultz, Manu et Tonio Chao, Alain Wampas) : Rawhide
Pigalle : Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs
Les Garçons bouchers : La bière
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