Fred Junck, dit l’homme au cigare
Connu pour son taux de chômage incroyablement bas (3%) et
son niveau de vie incroyablement élevé (PIB le plus élevé du monde et PNB parmi
les plus élevés), le Grand duché du Luxembourg n’est pas qu’une pompe à argent. Il y a dans ce petit pays, grand (2586 km²) comme La Réunion, peuplé
(448 300 habitants) comme la Drôme et abritant 38% d’étrangers, un intérêt pour la
culture en général et pour une culture du tabac en particulier, qui en fait un petit
paradis pas seulement fiscal.
Fred Junck (1942-1996) en est un personnage clef. Amateur de
cigares et cinéphile, il est le créateur de la Cinémathèque du Luxembourg (1)
qui est l’une des plus importantes d’Europe pour ses archives
cinématographiques (13 000 films). Il a fait ses études de journaliste à Paris
avec Barbet Schroeder et Bertrand Tavernier. Passionné de cinéma dès cette
époque, il a tourné avec Eric Rohmer aux côtés de Schroeder La boulangère
de Monceau, le premier des Six contes moraux
(1962-1963-1967-1969-1970-1972). A partir de 1969 il a animé une émission de cinéma
hebdomadaire sur RTL et parallèlement, sans craindre le scandale, a tourné More avec Barbet Schroeder. Début 1970, il a réalisé un court
métrage documentaire intitulé A man, a legend : George S.
Patton commandé par la Century Fox en vue de lancer Patton
de Franklin Schaeffner.
Personnage très contesté, il ne s’est pas fait que des amis en
créant la cinémathèque. Ne tolérant personne à ses côtés, il dirigeait seul son
entreprise, collectionnant préférentiellement les films rares et se les
procurant de façon pas toujours très orthodoxe. Un film documentaire d’Andy
Bausch intitulé L’homme au cigare (2003) lui rend hommagee et
par ailleurs lui a valu à titre posthume le Prix d’honneur de la Ville de
Luxembourg.
Inséparable de sa « havana », comme on dit au Grand
Duché, il avait des allures d’Orson Welles ou d’Alfred Hitchkock et, dirait-on
maintenant, de Philippe Noiret. Le habano occupe au Grand Duché une place de
choix dans les civettes autrefois un peu frileuses envers les autres terroirs.
Il est d’ailleurs quelques adresses incontournables, tant pour les touristes
amateurs de puros que pour les résidents. Au centre de la capitale, ville où il est possible de circuler en voiture sans mourir de stress, se
trouve « La Civette » (2), une magnifique boutique à l’ancienne, à
Esch-sur-Alzette « La Tabathèque » (3) présentant également un choix
intéressant de cigares dominicains et à Rombach-Martelange « La
Vinothèque » (4) particulièrement bien fournie en vins et cigares de tous
les terroirs.
Le fonds documentaire de la Cinémathèque de la ville de
Luxembourg provient de collections particulières, d’échanges avec d’autres
cinémathèques et de copies fournies par les distributeurs. Mais ce qui en fait
l’originalité est la collection de films rares, dont il n’existe plus qu’une ou
deux copies d’époque. Ainsi les filmographies de Fritz Lang, d’Howard Hawks,
d’Alfred Hitchcock, de Raoul Walsh, de Jean Renoir, d’Orson Welles, de Samuel Fuller et de Max
Ophuls y sont quasiment complètes. On y trouve aussi des collections orientées
vers certains genres ou certaines époques comme celles de films français
des années trente, dont ceux tournés durant l’Occupation, de films des
cinéastes européens exilés à Hollywood ou alors lde films américains
indépendants des majors.
S’il ne peut se prévaloir d’une grande et riche tradition en
matière de production cinématographique, le Grand Duché a néanmoins su au cours des
dernières années tirer son épingle du jeu. De nombreux films produits ou
coproduits au Luxembourg ont été primés et des acteurs comme Nathalie Baye,
Gérard Depardieu, Philippe Noiret ou Al Pacino ont tourné pour des sociétés de
production luxembourgeoises qui sont aujourd’hui au nombre d’une
quarantaine ! Actuellement, entre huit et quinze longs métrages sont
annuellement tournés par des sociétés du Grand Duché.
Le virage s’est opéré en 1989, quand le gouvernement a
investi quinze milliards de francs luxembourgeois dans Schako Klak,
un film tourné pour le 150e anniversaire de l’indépendance du pays. L’idée de
professionnaliser les structures de production faisant très rapidement son
chemin, le Grand Duché a mis en œuvre, dès 1990, une politique de promotion de la
production audiovisuelle. Du coup, d’une réalisation de 110 films entre 1899 et
1989, la production est passée à 120 films entre 1990 et 1999 ! En 1992 Hochzäitsnuecht de Pol Cruchten a été le premier long métrage 100%
luxembourgeois présenté à Cannes. Conscient de l’utilité des alliances pour
tenir face à la concurrence étasunienne, le gouvernement luxembourgeois a passé des
accords avec le Québec (1994), le Canada (1996), la France (2001) et
l’Allemagne (2002).
Une génération de réalisateurs luxembourgeois a donc émergé,
et des noms comme Andy Bausc, Pol Cruchten, Paul Scheuer, Geneviève Mersch,
Laurent Brandenbourger et Louis Galvão Teles feront encore parler d’eux. Pour
la petite histoire, seuls deux longs métrages ont été tournés en langue
luxembourgeoise, ce sont Back in trouble (1997) et Le Club
des chômeurs (2002) qui connut un succès immédiat. Tout cela ferait,
s’il pouvait encore le voir, très certainement plaisir à l’homme au cigaren car
d’une manière ou d’une autren il y est pour quelque chose...
Azür
1. 10, rue Eugène Ruppert 2453 Luxembourg dans
http://www.luxembourg-ville.lu/ 2. 22b, avenue Porte Neuve 2227 Luxembourg
www.la-civette.lu 3. 1, rue J. B.
Bausch 4023 Esch-sur-Alzette www.tabatheque.com 4. 4, route de
Bigonville 8832 Rombach-Martelange
Photo :
http://www.bnl.lu/new/nos_select/media/images/cigare.jpg
Documents joints à cet article
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON