Fury (1936) – Fritz Lang
Fritz Lang est né à Vienne le 5 décembre 1890.
Il est l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma.
C’est en Allemagne qu’il tourne ses premières œuvres. On peut citer parmi celles-ci : Métropolis, Le Docteur Mabuse, et son premier film parlant "M le maudit".
En 1933 il fuit le régime nazi et réalise un film en France, "Liliom", avant de rejoindre les USA.
La-bas, il est rapidement engagé par la MGM qui lui confie un synopsis où il est question du lynchage d’un homme par la population d’une petite ville américaine. Lang est séduit par le sujet mais il modifie l’intrigue.
Le résultat donnera Fury (1936), qui se révélera être contre toute attente un grand succès critique et commercial qui assura à Fritz Lang son avenir à Hollywood.
Une seule personne n’accueille pas ce succès avec enthousiasme, Louis B Mayer, à qui Lang avait refusé de parler suite aux divergences entre les deux hommes sur le scénario .
L’histoire du film :
En route pour rejoindre son amoureuse, Joe est interrogé pour une affaire locale de kidnapping, puis emprisonné en attendant que la justice éclaircisse son cas. Plus rapides que les enquêteurs, les habitants du village où il s’est arrêté trop longtemps décident de le juger eux-mêmes. Bientôt, toute la localité se range derrière quelques élus pour mener l’assaut contre le poste de police. Malgré une fière résistance des forces de l’ordre, celles-ci cèdent sous le poids du nombre, le bâtiment est brûlé et Joe déclaré mort dans les décombres de sa cellule.
Pour son premier film aux Etats-Unis, Fritz Lang s’attaque avec audace aux dysfonctionnement de ce pays. Fury est un film en deux parties.
Ce que Lang montre dans Fury, du moins dans la première partie, c’est que l’Etat est bien incapable de contrôler la frénésie des citoyens, cette foule qui veut à tous prix rendre justice. Lang se base sur une réalité, puisqu’à l’époque avait lieu aux Etats-unis un lynchage tous les trois jours. Il met également en avant l’incapacité des institutions à fonctionner correctement : la police bâcle l’enquête, le gouverneur est empêché d’intervenir afin de ne pas susciter la désapprobation de ses futurs électeurs et la justice, enfin, se révèle influençable au point de commettre une erreur fatale.
La seconde partie du film débute par l’image de Joe qui réapparaît face à ses frères dans l’ombre comme un fantôme revenu du royaume des morts.
Le changement radical opéré en Joe est impressionnant . Cet homme sympathique et amoureux au début du film, s’est transformé en monstre sordide, en être sans coeur assoiffé de vengeance, à l’image de ses propres lyncheurs. Tel un fantôme, à l’écart de la société des hommes qu’il abhorre, Joe se cache, n’alerte même pas sa fiancée qu’il est vivant. Rien ne nous dit donc qu’il n’est pas effectivement mort puisque socialement il n’a plus d’existence. Toute son énergie est concentrée par son désir de faire prendre les vingt deux suspects qui se trouvaient aux abords de la prison.
Lang oppose dans ces deux parties, deux formes de haine. La première est instinctive, irrépressible, aveugle, elle met en mouvement la foule, somme d’individus qui interagissent pour conduire un homme à la mort. L’autre, réfléchie et préméditée, lui est opposée dans la seconde partie : c’est celle qui guide Joe Wilson dans sa démarche vengeresse. Dans les deux cas, l’individu, assuré de son bon droit, cède à des forces inconscientes qui lui sont supérieures.
Pendant le procès, on suit les questions du procureur qui accusent les suspects et ceux qui leur fournissent un alibi. Mais on s’attarde aussi sur le point de vue de Joe qui, tapis dans l’ombre de sa clandestinité, écoute à la radio les auditions et celui de sa fiancée qui espère un semblant de justice. Toutes les subjectivités, toutes les morales se mêlent jusqu’à ce que l’on enfin projette les images objectives du lynchage.
On reprocha à Lang ce procédé dramatique, lui expliquant que tout cela était impossible dans une salle de tribunal. Avec le recul, et sachant qu’aujourd’hui on accepte dans certains états quelques preuves par l’image, on doit admettre que Lang avait prévu bien avant tout le monde que ce support servirait un jour la justice.
Lors de cette projection on est avant tout marqué par le fait que certains des lyncheurs qui visionnent le film se disent en se voyant sur l’écran "Ce n’est pas possible, je n’ai pas pu faire ça" .
Il faut dire que les scènes de lynchage sont particulièrement impressionnantes avec ses gros plans sur des visages déformés par la haine vengeresse.
Lang fait preuve ici d’une maîtrise incroyable. Il nous tient en haleine avec suspense, la mise en scène est peaufinée jusque dans les moindres détails, résolument moderne, vive et percutante.
Ne pas oublier la prestation du duo d’acteurs vedettes.
La métamorphose de Spencer Tracy entre la première et la seconde partie du film est des plus impressionnantes Du bon gars qui montre le bon exemple à ses frères, et choisit de travailler d’arrache-pied loin de sa fiancée durant de longs mois pour pouvoir fonder un foyer, à l’inquiétant bloc de haine qui le pousse à la plus terrible des vengeances, le fossé est incroyablement large.
A l’opposé de la haine trimbalée par Tracy, Sylvia Sidney incarne la raison et l’empathie. C’est elle qui pose la vraie question soulevée par le film : peut-on juger individuellement les membres d’une foule ?
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