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Goya, dessinateur au « Canard Enchaîné »

L’exposition "Goya et la modernité" à la Pinacothèque de Paris, à la Madeleine, se termine à la fin de ce week-end. De quoi laisser aux yeux le plaisir du regard ironique mais aussi de la tendresse de l’humanité.



Bien sûr, Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828) est avant tout très célèbre pour ses peintures exceptionnelles ; mais il est aussi l’auteur de centaines de gravures beaucoup moins politiquement correctes, représentant de façon plus personnelle et originale sa vision très satirique du monde dans lequel il a vécu.

Associée à l’exposition "La dynastie Brueghel" dans le cadre du thème "Les peintres témoins de leur temps", l’exposition de nombreuses œuvres de Goya apporte un regard très moderne (c’est dans le titre de l’exposition) de l’actualité qu’a vécue l’artiste devenu le peintre officiel de la cour d’Espagne. Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque, voit le peintre comme un observateur majeur de la société espagnole des XVIIIe et XIXe siècles : « Le choix de Goya me semblait une évidence, compte tenu du contexte historique et politique dans lequel il a eu l’occasion de déployer son génie de peintre et de graveur. ».

En déambulant dans les salles qui servirent, l’année précédente, à présenter les nombreuses estampes d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), le visiteur peut contempler plusieurs séries de gravures au complet, qui n’étaient pas des commandes et qui, souvent, ont été éditées tardivement (celles exposées ont été éditées à la fin du XIXe siècle). Elles brossent des réalités souvent glauques et terribles qui montrent le réel état d’esprit de Goya sur des thèmes important (comme la guerre, l’éduction, le mariage etc.). Même ses peintures officielles pour les quelques rois d’Espagne et leur cour qui lui ont fait confiance sont sans complaisance, les traits parfois enlaidis car trop réels, mis en évidence dans des positions qui, aujourd’hui, apparaissent assez ironiques.

Dans les gravures, les visages des personnages sont généralement très expressifs, souvent très laids, caricaturaux et peuvent même laisser l’impression que d’autres s’en sont inspiré, comme le dessinateur Claude Serre (1938-1998), spécialiste des dessins d’humour noir à thème (médecine, sport, automobile, nourriture, bricolage, vacances etc.).

Comme pour Brueghel, je vais donc faire ici un petit tour de quelques gravures et tableaux que j’ai appréciés, sachant que ces œuvres ne sont qu’un très petit échantillon de ce qu’on peut admirer à la Pinacothèque pour quelques jours encore.

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Dans "La Prière au Jardin des Oliviers" (1819), ce qui frappe, c’est le visage quasi-terrorisé du Christ face à un ange au visage serein et détaché. L’émotion ne peut que surgir de cette nuit sans fond. Dans une société où la religion est un élément dominant, Goya a réalisé de nombreuses commandes d’origine religieuse malgré son style peu conventionnel. Son style est à la fois très original tout en gardant les canons classiques de l’art religieux de l’époque.

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Issu d’une grande série d’eaux-fortes, "Les Caprices" (1799), le numéro 74 "Ne crie pas, idiote" montre une jeune femme craintive face des lutins qui lui assurent qu’ils ne lui feront aucun mal. L’une des légendes, celle du manuscrit de la Bibliothèque nationale d’Espagne, explique que les jeunes filles laides font semblant d’avoir peur mais se contentent, faute de mieux, des rencontres bizarres avec ces moines.

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Ce tableau, "Enfants jouant à la tauromachie" (1782-1785) ainsi que le suivant sont deux œuvres qui décrivent extraordinairement la vie quotidienne de la société espagnole, pas très glorieuse ici, avec la pauvreté d’enfants aux habits plein de modestie.

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On retrouve avec "Enfants jouant à saute-mouton" (1782-1785) le regard sans complaisance de Goya sur ces enfants habillés très pauvrement. Au loin, on devine le paysage dont la représentation est somme toute assez proche de l’impressionnisme du siècle suivant.

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L’exposition livre sans pudeur toute la série sur la guerre "Les Désastres de la guerre" (où les ennemis étaient les Français dirigés par Napoléon Ier). Préfigurant le journalisme de guerre qui montre les dégâts et les atrocités d’une guerre, Goya sans relâche dépeint l’incompréhension d’une guerre absurde, de son horreur, avec de nombreuses scènes de torture, comme ici avec "Que peut-on faire de plus ?" (1810-1813) où l’on voit un ennemi découpé en morceaux (selon certains, ces scènes ne sortiraient que de l’imaginaire de Goya), dans d’autres gravures, on voit des bras, des jambes, une tête découpées et posées sur les branches d’un arbre.

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Parmi les thèmes récurrents de Goya sur la guerre, il y a la place des femmes, leur courage, leur martyre. À voir les nombreuses gravures qui leur sont consacrées, on peut sans contestation estimer que Goya fut un féministe avant l’heure (du moins dans son œuvre). Dans "Amenées en charrette au cimetière" (1810-1820), on voit de malheureuses jeunes femmes que la guerre a fauchées, insistant sur le gâchis de telles beautés.

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Dans "Quel courage !", c’est carrément une femme qui manipule le canon, faute de soldat, puisque tous les hommes sont à terre, massacrés.

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La description de la noirceur de la guerre n’en finit pas. C’est le cas de "La vérité est morte" (1810-1820), symbolisée par une jeune femme à terre qui est enterrée en grandes pompes par toute une société.

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Dans "Les Caprices" (1799), ce sont des compositions plus humoristiques qu’attristées qui décrivent les mœurs de son époque. Goya use et abuse de sarcasmes pour fustiger les hypocrisies sociales. Dans "Quel sacrifice !", la jeune et belle fille issue d’une famille pauvre va devoir accepter de se marier avec un homme laid mais riche pour subvenir aux besoins de sa famille. C’est une dénonciation déjà très aiguisée des mariages de raison où l’amour et la passion sont les grands absents.

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Avec "Tu ne t’échapperas pas", Goya fait comprendre que la beauté et la jeunesse seront toujours perdantes à ce petit jeu de rôle. Contre elle, ce sont les plus rapaces qui gagnent, ici, celui qui marche déjà sur les épaules des autres prétendants pour avoir une longueur d’avance.

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Parmi les thèmes de prédilection, il y a également les prostituées. Avec "Bien tirada esta", une jeune fille tire son bas avec ostentation. C’est le Caprice numéro 17 (1799) avec cette légende en français qui se joue des mots : « Elle est bien tirée vers le bas ».

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Autre thème de protestation sociale, l’éducation des enfants. Goya, avec son Caprice numéro 25 "S’il a cassé la cruche" (1799) s’en prend à la mères qui fait plus de tort d’être en colère en donnant la fessée que l’enfants espiègle qui casse une cruche. La légende du manuscrit de la Bibliothèque nationale d’Espagne est : « Il y a des mères qui démolissent le c+l de leurs enfants à coups de souliers, s’ils cassent une cruche, mais qui ne les punissent pas pour une véritable faute. ». En dénonçant les châtiments corporels qui ne contribuent pas au développement des facultés intellectuelles, Goya n’est pas loin, ici, de signer une pétition sur Internet pour interdire définitivement les fessées.

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La critique de l’éducation émanant des gravures de Goya ne se réduit évidemment pas à la seule responsabilité parentale. Il a ainsi réalisé toute une série où il se moque des professeurs ou des médecins qui sont aussi ignares que leurs élèves ou patients. Dans le Caprice numéro 27 "Et si le disciple en savait plus ?" (1799), Goya n’a aucun scrupule à dessiner les précepteurs sous les traits d’un âne prétentieux.

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Toujours pour témoigner d’une société espagnole qui laisse beaucoup à désirer socialement, dans "Intérieur de prison" (1793-1794), Goya présente une vision crue et terrible de la réalité carcérale, avec des prisonniers qui n’ont aucune hygiène et qui semblent agoniser sur le sol. Le fond très sombre fait penser à celui (peint un quart de siècle plus tard) du Mont des Oliviers.

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Dans le Caprice numéro 43 "Le sommeil de la raison engendre des monstres" (1799), Goya laisse entrevoir le lien entre absence de raison et guerre. Au-dessus de l’eau-forte, sur le mur du musée, affichée en grand, comme un hymne à la philosophie des Lumières, cette phrase : « L’imagination, abandonnée par la raison, produit d’impossibles monstres : lorsqu’elle est unie à elle, elle est la mère des arts et la source de leurs merveilles. ».

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Très révolté contre les crimes de l’Inquisition qui brûlait les femmes jugées en sorcellerie, Goya, dans le Caprice numéro 68 "Jolie Maîtresse !" (1799) met en scène une "sorcière" qui apprend à une jeune fille de se servir d’un balai volant.

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Retour à la prostitution dans le Caprice numéro 20 "Et ils s’en vont déplumés" (1799) dans lequel Goya donne libre court à son imagerie symbolique. Les clients ayant payé sont jetés dehors par les belles intéressées, sous le regard de deux révérends pères à l’origine de toute cela.

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La dernière salle de l’exposition est consacrée à la peinture "officielle" de Goya qui lui a permis de vivre avec aisance pendant une trentaine d’années de sa vie. "Portrait de Charles III en chasseur" (1786-1788) donne un exemple des portraits dont il est capable pour représenter les souverains espagnols successifs. Le visage du roi Charles III est loin d’être glorifié.

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D’autres portraits insistent encore plus sur la disgrâce de ses royaux modèles comme ce "Portrait de Marie-Louise de Bourbon-Parme en habit de cour" (1800) qui donne l’air d’être une femme crainte, sévère voire méprisante (elle était la belle-fille de Charles III).

Ce qui me restera essentiellement de cette exposition, ce sont donc surtout ses "Caprices" et ses "Désastres de la guerre", deux séries très éprouvantes parmi d’autres, qui n’ont été retrouvées qu’après la mort de fils de Goya en 1854 et éditées seulement en 1863, soit trente-cinq ans après la mort de Goya. Je n’ai pas cité, entre autres œuvres également exposées, la tauromachie avec la série "La Tauromaquia" ni les "Proverbes", dont la signification reste assez mystérieuse.

Cédons maintenant à Baudelaire le mot de la fin, dans "Les Fleurs du mal" :

« Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De fœtus qu’on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues

Pour tenter les Démons ajustant bien leurs bas. »

("Les Phares" en 1861).

Informations pratiques : la Pinacothèque de Paris est ouverte tous les jours de 10h30 à 18h30 et les nocturnes ont lieu les mercredis et vendredis de 10h30 à 21h00. L’exposition "Goya et la modernité" se termine le dimanche 16 mars 2014. L’entrée se fait au 28 place de la Madeleine, à Paris 8e.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mars 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.

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1 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 15 mars 2014 09:05

    Merci Sylvain Rakotoarison, pour cet article très intéressant.

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