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Hommage à Samira Bellil, à propos de son livre, Dans l’enfer des tournantes

Je suis loin de Samira Bellil : Un homme, né de parents français, qui n’a pas vécu en cité. Peu féru de littérature contemporaine, rien ne me destinait à rencontrer son livre. Et pourtant, j’y consacre ces lignes.

Une personne ne peut rester murée dans du béton armé. La violence et la détresse qui m’habitent ont besoin d’exploser. Mon corps trouve une solution. C’est intelligent un corps ! Il se met à faire des crises d’épilepsies.

 

Je suis loin de Samira Bellil : Un homme, né de parents français, qui n’a pas vécu en cité. Peu féru de littérature contemporaine, rien ne me destinait à rencontrer son livre. Et pourtant, j’y consacre ces lignes.

Son ouvrage est inquiétant (dérangeant, qui interdit la quiétude). Atypique, il constitue une autobiographie poignante qui vaut pour témoignage. Atopique, il est sans lieu fixe, fait d’errances, de fugues, d’exils à plusieurs niveaux… Toutefois, ce livre captive le lecteur pour constituer une épopée, un voyage initiatique sur le sentier de la délivrance. 

Céline confie dans un entretien que parmi les écrivains, ne l’intéresse que celui qui « met sa peau sur la table », or, c’est bien ce que fait Samira, aux prises en continu avec « la grande inspiratrice » : « la mort ». « Ecrire pour ne pas mourir », disait Blanchot ! Tel est l’enjeu, rien de moins !

A l’instar de son auteur, ce livre a plusieurs facettes. Ce témoignage constitue un ouvrage de sociologie et pour certains des spécimens rencontrés il touche même à l’éthologie ! Mais c’est avant tout un ouvrage engagé, un combat qui porte la souffrance des victimes sur le devant de la scène et n’épargne pas la société et ses rouages laxistes voire complices avec les agresseurs. Entre autres intérêts, il présente le récit d’un extraordinaire travail sur soi qui culmine avec la thérapie proprement dite mais dont les multiples incartades artistiques de l’auteur (danse, théâtre, écriture pour les plus saillants) attestent des bienfaits cathartiques de ses intermèdes expiatoires. Sur le plan psychologique, on y lit comment la parole, la vérité se dit contre les résistances de la jeune fille avec le corps qui se fait souffrance, hurlant de symptômes. Pourtant, malgré ce foisonnement d’entrées et sa richesse, l’ouvrage est passé assez inaperçu et n’a pas vraiment séduit de lecteurs au-delà des lignes féministes…

Mais, s’il en va d’un voyage avec ce livre, c’est d’un type exceptionnel à plus d’un titre. D’abord, parce que, réflexion faite, c’est moins le lecteur qui est au centre de celui-ci que son auteur. Ensuite, dans la mesure où il est question d’un retour. Car, ce lieu, cette île que Samira brûle de retrouver après en avoir été exilée, ostracisée n’est autre que son propre corps profané… On prend dès lors conscience que ce voyage présente une autre face atypique en ce qu’il s’identifie au réinvestissement d’une terre meurtrie. Cette reconquête s’effectue grâce aux mots, ils sont le navire et la sève, eux seuls peuvent repeupler d’identité, de désir ce corps souillé, déserté par la vie.

Avec cette clef de lecture, nous tenons sans doute le secret de cet ouvrage et par là-même celui de sa rencontre manquée avec des lecteurs davantage hétéroclites ! En effet, s’il est bien la métaphore de son corps, on comprend mieux les résistances que mobilise la jeune fille pour en barrer l’accès à l’homme, à cet étranger. Ainsi, se déploie-t-il comme des cercles concentriques, valeureux gardiens de son intimité ! Car, le titre, la dédicace, l’exergue, la mention explicite de destinatrices (p. 264), jusqu’au style et au champ lexical rédhibitoires sont autant de digues, de herses érigées pour dissuader l’autre de pénétrer plus avant. Mais, heureusement, la vérité, soit le dire où la souffrance se fait parole, rassemble. Alors, peut-être que de prolonger sa plainte de mes mots, d’une main tendue de si loin, lèvera ces barrières sans fouler aucune pudeur.

A ceux qui ne réduisent pas l’homme au macho ou à la brute, refusant de donner ainsi le change à celles qui résorbent la féminité dans le féminisme, ce livre ne doit pas rester étranger ! Car la crise de l’autorité, davantage que d’une féminisation fantasmée, procède du gommage de la différence sexuelle dans une position de retranchement hors du langage qui ne rejette plus face à face, de part et d’autre de l’abîme, qu’un homme sans humanité et une femme désexualisée… Ce drame où la violence bâillonne toute parole est bien la toile de fond de cet ouvrage.

Enfin, il y a une dernière raison qui fait que je défends ce livre, littéralement, pour son auteur. En effet, ce n’est qu’après sa lecture, lors du travail d’écriture de ces pages que j’ai appris que Samira, qui écrivait en 2003, « Je ne me donne pas plus de dix ans à vivre dans l’état où je suis », s’est éteinte à l’âge de 32 ans des suites d’un cancer de l’estomac. Information peu relayée par les médias…

Bien sûr, il y en aura toujours qui geindront : « Pourquoi cet homme, si étranger à cette affaire et à son monde, écrit-il sur ce livre ? » Alors j’invoquerais pour secours un poète de notre temps que Samira, qui aimait tant la Belgique et la Flandre, goûtait sans doute avec délice. Que tonne donc, pour toute réponse, la verve sylleptique de Jacques Brel : « Et si mes frères se taisent … Et bien tant pis pour elles ! »


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17 réactions à cet article    


  • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 23 juillet 2013 17:31

    Dire que tout témoignage n’est pas forcément de l’art est une évidence, comme il serait absurde de penser que le fait d’avoir été violé ou traumatisé rendrait artiste. Néanmoins, je pense que Céline a raison. A ce titre, il s’agit moins d’offrir un témoignage fidèle que d’abréagir la douleur, de la sublimer. Par là l’oeuvre quitte sans doute le registre du témoignage en s’affranchissant de la référence. Mais est-ce si simple à trancher ? Un exemple : « A l’ouest rien de nouveau » de Remarque, oeuvre d’art ou témoignage. Bref, pour moi, ce n’est pas exclusif...
    Soutenir que le vrai artiste ne parle pas de lui me paraît une gageure.
    La souffrance éprouvée dans sa chaire est une entrée privilégiée, celle des écrivains que je préfère : Céline, Bloy, Onetti, Vargas Llosa...
    Si l’artiste peut partir d’autre chose que la souffrance, je doute qu’il puisse le faire sans se nourrir de son irreductibilité aux autres, de sa singularité...
    En tous cas la question des sources de la création est passionnante...
    Bonne continuation dans votre site et votre combat contre la pensée correcte (qui ne pense pas bien loin)...
    Bien à vous.


  • Elodie Leroy Elodie Leroy 25 juillet 2013 11:25

    @durae.leges.sed.leges : Le véritable artiste ne parlerait jamais de lui-même ? Avez-vous seulement déjà expérimenté l’acte de création artistique, pour affirmer une telle chose ? Un artiste parle TOUJOURS de lui-même, même quand il croit parler d’autre chose.

    @l’auteur : Je ne comprends pas très bien le sens de cette phrase (et du paragraphe qui suit) :
    "A ceux qui ne réduisent pas l’homme au macho ou à la brute, refusant de donner ainsi le change à celles qui résorbent la féminité dans le féminisme, ce livre ne doit pas rester étranger ! « 
    Je crois déceler une attaque implicite aux féministes d’aujourd’hui... Si c’est le cas quel dommage, cela gâche un peu votre article (que j’ai par ailleurs apprécié). Les seules personnes qui s’intéressent vraiment aujourd’hui à ces jeunes filles prises dans l’enfer des tournantes sont justement les féministes. Parler de ce que vivent ces filles tout en se désolidarisant des féministes et en les prenant de haut relève d’une incapacité à assumer totalement votre prise de position.
    D’autre part, n’est-il pas prétentieux de vouloir »définir« à quel public ce livre doit s’adresser et donc poser, d’une certaine manière, des limites à la portée de l’œuvre ? Si certaines personnes ne voient en l’homme que la brute et le macho parce qu’elles ont eu, par exemple, une expérience similaire à l’auteure, pourquoi les exclure de votre discours ? Au contraire, vous devriez d’autant plus les inclure dans vos »destinataires"...


  • Dominique TONIN Dominique TONIN 28 juillet 2013 19:03

    @ Elody Leroy,


    Voilà qui est dit, et bien dit !


  • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 2 août 2013 19:54

    Bonjour Elodie,

    Merci pour votre commentaire et vos remarques pertinentes. Je ne suis bien entendu pas hostile à toutes les féministes et me garde donc de condamner ce mouvement dans son ensemble. Par « celles qui ne résorbent pas la féminité dans le féminisme », je voulais précisément évoquer les féministes dont j’approuve le combat et les méthodes, qui ont su dépasser une basique haine de l’homme et qui véritablement, à l’instar de Samira Bellil, cherchent à construire quelque chose. Reste que, comme partout, il y a des brebis galeuses dont, même si elles peuvent se montrer secourables pour quelqu’un qui est en souffrance, je doute qu’elles l’aiguillent sur une bonne voie.

    Cautionnez-vous tout du féminisme ? Pour ma part, permettez-moi, par exemple,  de me désolidariser des femen quand elles urinent dans les cathédrales...

    Pour autant, je n’exclus personne de mon discours. Je pointais juste que ceux qui sont dans une haine de l’autre sexe (de quelque bord qu’ils soient) dans une logique de domination ne trouveront pas leur compte dans ce livre. J’entends cependant ce que vous dites et concède que d’un certain point de vue c’est à celles-ci que ce livre peut sans doute le plus apporter pour les sortir d’une mauvaise spirale. ..

    Bonne continuation et au plaisir d’échanger à nouveau.


  • rikoder rikoder 23 juillet 2013 10:48

    Vous « apprécierez » le livre d’Obertone récemment publié : La france orange mécanique.
    C’est pas très joyeux à lire mais c’est enrichissant, l’auteur crédite plusieurs fois Samira pour son livre.


    • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 23 juillet 2013 17:36

      Je ne l’ai pas encore lu. J’ai entendu dire que c’était un coup de tonerre, en effet...


    • Gens_d_Ormesson Gens_d_Ormesson 23 juillet 2013 11:27

      Merci de votre article, merci d’essayer de ne pas faire tomber dans l’oubli l’histoire de Samira, qui s’en est allée, sous le regard des objectifs, nombreux ce jour au père Lachaise. Triste spectacle en fait que ce déploiement massif d’attention soudaine, j’y étais.
      A Samira, à ses sœurs, sa maman et feu son père, que le sort leur lâche un peu la grappe.


      • ZenZoe ZenZoe 23 juillet 2013 15:23

        Oui je me souviens du livre et de celle qui l’a écrit - ça date d’au moins 10 ans il me semble.
        Je n’habite pas dans les « banlieues » comme on dit pudiquement mais quelque chose me dit que rien n’a changé en mieux hélas pour les femmes.
        La faute en grande partie aux peines ridicules voire inexistantes infligées aux violeurs. De tels témoignages devraient être lecture obligatoire pour les étudiants en droit, futurs avocats ou magistrats - histoire de les faire sortir de leur monde - car la sanction, à la fois punition et message, sera le seul moyen de fortement diminuer la fréquence de ces horreurs.


        • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 23 juillet 2013 17:34

          Merci pour votre commentaire.
          Oui, malheureusement ce livre est encore d’actualité... C’est pourquoi j’espère le faire découvrir à quelques uns par cette modeste contribution...


        • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 23 juillet 2013 17:39

          Merci à vous pour ce commentaire.
          Je joins mes voeux aux votres pour ce qui est de sa famille.


          • Vipère Vipère 23 juillet 2013 20:33

            Bonjour

            « L’enfer des tournantes » un titre terrifiant et tabou, touchant à l’intime féminin qui ne peut qu’ interpeller les femmes et le féminisme.

            Un hommage posthume sensible et touchant rendu à l’auteur du livre, qui n’est plus aujourd’hui, n’ayant pu surmonter vraisemblablement un tel drame et les souffrances induites.

            Un livre-témoignage en direction des lecteurs afin que son trou ne se referme pas dans l’eau, pour paraphraser l’excellent Georges Brassens.


            • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 29 juillet 2013 21:11

              Bonjour,

              Merci pour ce commentaire. Vous terminez comme moi sur un grand nom de la chanson...


            • kergen 23 juillet 2013 22:13

              Je ne savais pas qu’il fallait être noir pour s’indigner avec Toni Morrison ou juif pour pleurer avec Primo Levy.
              Drôle d’approche des choses. Je ne pense pas que feue-Samira(décédée à 34 ans) ai spécialement écrit à l’intention des beurettes de banlieue....
              C’est vraiment saugrenu votre truc. Autant bravo pour parler d’elle, de son livre et de son combat, mais je trouve nul et indécent cet auto-émerveillement sur soi d’avoir faire preuve d’une « telle grandeur d’esprit ».
              Bizarre, vous avez dit bizarre...


              • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 29 juillet 2013 21:08

                Il est clair que vous n’avez pas lu ce livre. Pour ce qui est de l’auto-emerveillement, je crois que vous fabulez... Votre argumentaire bobo... je n’en parle mème pas...


              • Simple citoyenne Simple citoyenne 24 juillet 2013 10:08

                Bonjour à vous Auteur ; je me rappelle très bien de cette jeune femme, et du livre qui relate la cruauté dont elle a été victime ; même si se livre a été écrit il y a déjà dix ans, c’était pourtant le début de ces vérités qui dérangeaient les bonnes gens qui ne voulaient pas et qui ne veulent toujours pas voir que certains quartiers sont abandonnés et à la merci de la violence et du manque d’éducation crasse de certains. Mais que pourtant les petites gens supportent depuis plus de trente ans.  Pourtant, c’était aussi il y a seulement dix ans au 21e siècles où l’on refusait de voir la réalité en face, et pour ce, on a évité le mot viol collectif, ce qui a été rectifié depuis, enfin presque, mais on parlait de tournante, sans doute pour éviter d’écorcher les oreilles trop chastes des pouvoirs publics quels qu’ils soient, et qui, après tout, avec le mot tournante, échappaient grâce à cette manipulation des mots, au sévère verdict, en effet, de celui de complice, puisqu’en laissant des quartiers aux mains de l’impunité, oui, ils se font complice de ces agressions.


                • Cherif C. Kanz Cherif C. Kanz 29 juillet 2013 21:15

                  Bonjour,

                  La manipulation par les mots et de leur sens est omnipresente en effet ! Le but : Que l’on ne pense plus...


                • COVADONGA722 COVADONGA722 29 juillet 2013 08:49

                  on se rappellera ici , et il y en a encore des traces archivées que d’aucuns au nom du

                  « du faut pas stigmatiser » ont niés la réalité des tournantes dans les sous-sol banlieusards , on 
                  nié le sort des jeunes filles dans ces nomanslands ou toutes tentatives de réintroduire la loi républicaine est combattue par ceux qui y règnent et par leurs alliés objectifs des merdias !

                  Asinus : ne varietur
                   

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