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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Jeanne Ferron, conteuse

Jeanne Ferron, conteuse

Au-delà des murailles de la prison du quotidien

 À l’heure exacte où les trois-quarts de mes compatriotes s’agglutinaient béatement, qui devant un match de football, qui devant un écran géant, qui dans les espaces à béatification collective qu’on nomme « fan zones », une petite bonne femme à la tenue improbable, mi-femme mi-enfant, évoluait seule sur la pelouse du parc du Poutyl à Olivet devant un public majoritairement féminin, qui l’eût cru ?

 Jeanne Ferron, silhouette fragile, petit visage de fouine, accent beauceron, s’excuse presque de venir nous distraire de nos soucis quotidiens. Elle avance sur un fil de mots, équilibriste incertaine, acrobate en suspension entre imaginaire et quotidien. Avec elle, le voyage au pays des songes prend une allure indécise : le spectateur hésitant toujours entre fou rire et émotion.

 Elle a ce talent merveilleux de parler en images, de donner à voir ses mots et son histoire qui n’en finit pas de rebondir, de digresser, de s’envoler vers un ailleurs mythologique, de franchir l’espace et le temps. Elle est magicienne et sorcière tout à la fois ; tendre, drôle, grinçante, délirante, touchante, étonnante.

 Son histoire est abracadabrantesque, quoique ! Elle a ce don d’unir la légende et le quotidien, d’incarner le personnage, de lui donner âme et consistance, de nous le proposer en toute confiance. Nous acceptons cette offrande ; nous prenons grand soin de sa petite fille quand elle s’égare dans un épisode de la mythologie d’un burlesque échevelé. Nous retombons alors les pieds sur terre, sans jamais être certains de savoir de quel côté du miroir nous nous trouvons.

 Jeanne Ferran est une catalyseuse d’émotions. Elle nous fait passer par toute la gamme des possibles, des sensibles, avec une économie de moyens qui me laisse admiratif et un peu envieux. Quel talent ! Quel art consommé de la pirouette, de la métaphore, de l’uchronie, de la pantomime, de l’épopée, de l’intime. Elle ose tous les registres ; elle nous prend par le cœur et par les songes, par le rire et par les larmes, par l’émotion et par l’imaginaire.

 Elle est d’une présence incroyable et pourtant si discrète, tout en s’effaçant totalement derrière ses personnages. Le conte devient grand spectacle en multicolore, son et lumière, voyage à travers le temps. Le public est accroché à ses mots : personne ne bouge, personne ne part. Elle a captivé toute l’assistance, sans exception. Miracle d’une diseuse, d’une montreuse, d’une illusionniste magnifique.

 La pénombre survient, un petit vent frisquet nous offre ce surcroît de sensations qui conforte le voyage que nous réalisons. Nous voilà dans la grande forêt russe ou bien dans ce petit bois aux manifestations hallucinantes. Une flamme brille dans les yeux de la conteuse malicieuse. Nous ne nous brûlons pas à ses délires : bien au contraire : nous y trouvons paix et réconfort ; nous retombons en enfance, nous acceptons de nous laisser bercer.

 La dame achève son histoire en s’excusant presque de nous avoir ainsi enlevés, soustraits au réel. Elle applaudit son public comme s’il était devenu extraordinaire d’accepter ainsi une parole sans artifice, sans autre moyen qu’un corps qui se fit décor universel. Comment partir ? Comment retrouver ce monde qui va peut-être sombrer dans la folie si l’équipe nationale gagne sa finale ?

 Fort heureusement il n’en sera rien. Je peux ainsi rentrer et prolonger longtemps encore ce spectacle qui envoûte et qui transporte. La conteuse a réussi son pari : elle a aboli le temps et l’espace, elle s’est faite petite flamme qui brille dans mes yeux. Je suis rentré mais j’ai la tête ailleurs : elle reste sur la pelouse du Poutyl ; elle a peut-être été dérobée par la méchante sorcière-maison aux pattes de poules. Merci les Moulins à paroles !

 Je me retire sur la pointe des pieds. Je vous laisse quelques instants en compagnie de la dame. Personne mieux qu’elle ne peut évoquer son travail : « Je suis à la recherche du rire dans les contes. Loin de moi l’idée de tourner en dérision la beauté des contes. Il s’y déroule parfois des horreurs dans ces contes, mais les fées sauvent l’enfant en perdition. En cherchant à rire de tout cela, je ne me moque pas des fées, je ne me moque pas de l’horreur, je ne me moque pas des enfants, je me moque un peu de moi-même et surtout, je crois en la force du rire. Le rire est pour moi une source de courage et de guérison. Il y a des ogres, des ogresses, des sorcières, des diables, mais un petit rire peut réussir à percer les murailles de la prison. Le rire est une petite fée personnelle. J’ajoute aussi que les contes étant comme des géants, je les apprivoise à ma façon, avec mon rire. Mon rêve c’est de partager ce rire avec le public. »

 

http://www.lesmoulinsaparoles.fr/sur-le-feu-jeanne-ferron/

 

Émerveillement sien

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4 réactions à cet article    


  • juluch juluch 12 juillet 2016 13:00

    Une bonimenteuse............... 

     smiley

    merci Nabum !!


    • C'est Nabum C’est Nabum 12 juillet 2016 22:21

      @juluch

      Non une vraie conteuse

      Je ne suis pas reconnu par cette confrérie


    • soi même 12 juillet 2016 19:47

      Belle expérience dommage, qu’il y a pas d’extrait .... !

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