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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « L’Epilogue » de Philippe Caubère au théâtre du Rond-Point

« L’Epilogue » de Philippe Caubère au théâtre du Rond-Point

Se pendre ou se peindre, tel est le dilemme auquel aboutit Caubère en 1980 lorsqu’il en finit avec Philippe et sa ficelle. C’est alors que le comédien sursoit à l’exécution du projet funeste, ne pouvant échapper au plaisir jubilatoire de raconter sa débâcle du Lorenzaccio en Avignon 78, entouré de tous ses démons intérieurs.

Là où le destin devrait en finir, tout rebondit pour dépeindre précisément l’autoportrait de "L’homme qui danse" jusqu’à nos jours au terme de 25 années de créativité fictionnelle en boucle autour d’une époque, celle des années 70 qui se terminaient pour l’acteur en impasse professionnelle.

Rarement homme de spectacle ne se sera autant exposé aussi longtemps au sein d’un plébiscite public sans cesse croissant, tant la galerie des personnages qu’il a incarnés sur scène aura eu la vertu de symboliser dans la caricature, le désarroi chronique dont chacun voudrait triompher en son for intérieur.

Alors qu’en est-il de cet épilogue, lors de sa création au théâtre du Rond-Point en septembre 2007, en deux parties à voir dans la chronologie ?

- La Ficelle est donc un spectacle embryonnaire à l’origine du projet global que Philippe Caubère reprend et complète pour mettre un terme à la saga de Ferdinand. C’est l’instant tragique où le comédien se retrouverait seul face à lui-même, sans fard et sans recours à l’artifice des rôles interprétés alternativement.

Isolé dans la frustration avec son ego exigeant, mais en compagnie d’un bout de ficelle qui va servir, par un coup de génie, de support à un délire orchestré autour d’une rencontre avec une jeune fille inconnue dans un restaurant.

Durant le récit, le comédien s’adresse de manière récurrente à un pseudo spectateur des premiers rangs, ne comprenant rien à rien, dissipé et vulgaire.

Il faut dire que ce leitmotiv est assez pesant d’autant plus qu’il suggère que ce gêneur est représentatif d’une partie du public, fût-elle marginale.

Néanmoins, cela déclenche chez le comédien l’opportunité de crises nerveuses où sa parole déshinibée serait en phase avec les associations de son inconscient. Fou rire de mise !

Quant à la ficelle, elle s’essaye à symboliser l’imaginaire de l’artiste dans le moindre détail topographique jusqu’aux sentiments de sa partenaire féminine fictive.

Néanmoins pour les afficionados de "L’homme qui danse", le plaisir est moins jubilatoire car en compagnie de sa ficelle, Philippe est hyper présent avec ses propres ressentiments sans être en mesure de se projeter dans ses fameux personnages fantoches.

Cependant la boucle est bel et bien bouclée ; le spectateur est revenu au point de départ de l’aventure Caubérienne. Bon prince, le comédien va l’inviter à un dernier tour de manège grandiose en compagnie des ombres mythiques de la Cour d’Honneur pour assister en direct à : La Mort d’Avignon.

- La Mort d’Avignon, là où tout va échouer au coeur du Lorenzaccio alors que tout aurait du commencer pour le nouveau "Gérard Philipe". En assistant à ce morceau de bravoure au théâtre du Rond-Point, on se dit que l’apothéose pour Philippe Caubère, ce serait précisément de le jouer dans la Cour d’Honneur. Avis donc aux organisateurs du festival !...

Sans doute le comédien y est-il au faîte de son art ; jamais sa distanciation n’a-t-elle été autant l’égale de son implication ; le vaste plateau est cette fois totalement vide de tout décor ou accessoires à l’exception d’une lettre juchée à même le sol, là-même où le tapis maternel réunissait auparavant les éléments symboliques de l’univers familial.

C’est Paul Puaux, l’ex-directeur du Festival d’Avignon ayant succédé à Jean Vilar son fondateur qui, avant de laisser les rênes à Bernard Faivre d’Arcier, devient ici la mascotte choyée par Caubère au point d’en constituer une véritable légende du spectacle vivant.

Pipe à la bouche, tel un Maigret inspecteur d’un Etat imaginaire, à la fois bonhomme parvenu en fin de carrière au-delà de toutes contingences, sa caricature s’emploie au beau milieu de la Cour d’Honneur à des dialogues inénarrables avec Georges Wilson son double complice alors que la fin d’après-midi baigne d’une douce lumière orangée les prémices du mistral qui s’apprête à visiter la représentation du soir.

L’échec programmé est inscrit dans une jauge "bourrée" jusqu’au-delà d’une audition compréhensible et tous semblent donc s’amuser de la catastrophe imminente... sauf bien entendu le principal intéressé qui va jouer son va-tout professionnel dans le rôle de Lorenzo.

Anthologique et déjà culte, ces instants d’ultime répétition avortée où l’artiste en difficulté serait censé à l’instar des anciens d’appliquer une recette technique destinée à contrecarrer la nuisance du vent, vont être l’occasion du dévoilement d’un remède désuet, mais plein de compassion nostalgique à l’égard de tous les comédiens solidaires dans l’adversité.

Tournoyer sur le plateau dans le sens contraire du vent tourbillonnant, tel un derviche tourneur à rebours, devrait susciter l’étrange impression de l’immobilité de l’acteur au regard des spectateurs puisque les forces physiques s’annulant, celles-ci permettraient de porter sa voix en flux inversé vers les gradins.

L’interprétation de Philippe Caubère touche au sublime dans ces instants désopilants à l’aune d’une inspiration géniale libèrant la vraisemblance de l’absurde enchevêtrée dans l’énergie du désespoir.

Tout le théâtre est là présent qui a convoqué ses grandes âmes disparues dans un ballet mémorial où les rejoignent pêle-mêle les voix du général de Gaulle, François Mauriac et même Johnny Hallyday. Véritable leçon de patrimoine culturel, cette master class façon Caubère restera dans les mémoires comme un témoignage privilégié d’une époque artisanale et par conséquence profondément humaine.

Quel est donc de ces deux versions gémellaires, le véritable épilogue ?

Notre préférence irait spontanément à La Mort d’Avignon en raison de l’exposition vivante d’une ultime galerie de personnages à laquelle Caubère nous a rendus addict.

Cependant pour l’artiste, sa réelle césure avec le cordon ombilical se situe bel et bien dans La Ficelle puisque s’il y trouve en prime une corde pour se pendre, il est surtout censé y triompher de ses démons en sortant vainqueur d’une thérapie de 25 années.

Doit-il accomplir son destin d’adulte existant à part entière et autonome ou devrait-il faire plaisir à son public en restant poings et esprit liés à son talent de parodie métaphorique ?

Attention !... Un Caubère pourrait bien en cacher un autre !...

Quoi qu’il advienne, nous aimons l’interprète parce qu’en dansant sur un volcan, l’art du comédien donne à penser que la vie humaine est une effervescence fantasque et poétique.

Photo © Michèle Laurent

L’EPILOGUE

- *** Theothea.com - de Philippe Caubère - mise en scène : Philippe Caubère - avec Philippe Caubère - Théâtre du Rond-Point -


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