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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > L’exceptionnelle résurrection : Ulisse de Gioseffo Zamponi

L’exceptionnelle résurrection : Ulisse de Gioseffo Zamponi

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Lorsque par un concours de circonstance en février 2012, je suis invité à assister à l’enregistrement de l’opéra de Gioseffo Zamponi (1600/10-1662) et au concert de clôture, peu d’informations me sont connues de l’oeuvre et du compositeur. Tout au plus je m’attends à une production de qualité et excitante grâce au trio d’amis et musiciens hors-pairs Jérôme Lejeune/Stéphanie de Failly/Leonardo García Alarcón. Cette semaine dépasse mes attentes et c’est après coup, le livre-disque en mains, que je me rends compte d’une part de l’importance de l’oeuvre dans l’histoire de la musique et d’autre part de l’amour porté à ce projet par les protagonistes cités ci-dessus. Exhumer une partition oubliée depuis plus de 300 ans et la porter à la connaissance du public est un dilemme. Il faut forcément y croire. 

C’est exactement la démarche de la violoniste Stéphanie de Failly et de son ensemble Clematis puisque c’est à elle que revient cette redécouverte au début des années 2000. Imprégnée de l’école Gabriel Garrido qu’elle a rencontré lors de son doctorat en Suisse, inépuisable défricheur de compositeurs baroques du Nouveau-Monde, c’est à lui qu’elle doit à son tour son intérêt pour le répertoire des anciens Pays-Bas du sud dont Bruxelles faisait partie. Ainsi, des extraits de l’Ulisse all’isola di Circe furent déjà représentés en 2006 à Flagey avec des musiciens présents encore en 2012. Continuité et maturité sont les maitres mots. Proximité et alchimie électriques aussi entre les musiciens, la partition et le chef. Et puisque l’on parle de maitre, sa rencontre avec Jérôme Lejeune (directeur artistique et fondateur du label Ricercar) et le chef argentin Leonardo García Alarcón ont été les chainons manquants pour faire de ce projet une promesse aujourd’hui réalisée. 

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Tout est symbole dans cette résurrection. L’opéra est créé le 24 février 1650 à la cour de Bruxelles pour les noces de Philippe IV d’Espagne et Marie-Anne d’Autriche, puis est repris en février 1655 pour Christine de Suède. Enfin, il est intégralement représenté le 24 février 2012 dans la Salle Philharmonique de Liège.Deux ans plus tard, aujourd’hui ce 25 mars 2014, un livre-2 CD’s à la mesure de l’évènement parait chez Ricercar avec une distribution vocale de rêve et un effectif orchestral rehaussé pour l’occasion.

Ici l’opéra est de style vénitien, style débutant avec le Couronnement de Poppée de Monteverdi (1641) et se poursuivant avec les opéra de Francesco Cavalli (1602-1676). Il déploie une esthétique novatrice avec ses duos, ses travestissements, ses accents plébéiens ou encore sa sensualité extrême. 

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Le plateau vocal est de premier choix : citons l’Ulisse incarné par un Furio Zanasi solaire et d’une diction raffinée, accompagné de Céline Scheen en Circé sensuelle, charmeuse et oserait-on dire érotique. Enregistrements après enregistrements, il faut se rendre à l’évidence : Céline Scheen chante de mieux en mieux et se trouve des affinités avec le répertoire du Seicento. D’aucuns seront frappés par ses fins de phrase lancées dans un souffle languissant que Jérôme Lejeune n’hésitait à qualifier de « souffle à la Gainsbourg » lors de l’enregistrement, en clin d’oeil complice à Stéphanie de Failly.

Ecoutez le duo langoureux « Languisco, mi moro » du couple Ulisse et Circé, en extrait-ci dessous, pour vous en persuader. Pour ceux que cela intéresse, il est fascinant de noter que l’introduction en forme d’ostinato a été retravaillée pendant plus d’une heure jusqu’à ce qu’un compromis de timbres et coloris entre violons soit trouvé. De même à la fin où seules deux cordes pincées concluent le duo alors que des violes ont été envisagées tout un temps. Un véritable travail d’orfèvre !

https://soundcloud.com/outhere-music/zamponi-ulisse-all-isola-di

Enfin, ce plateau ne serait rien sans la présence de Dominique Visse et ses facéties en vieille harpie d’Argesta. Ses miaulements sont un régal et contrastent avec le timbre méditerranéen de Mariana Flores en suave Vénus que l’on retrouve avec bonheur.

Entre joyaux dramatiques et danses, il faut mentionner l’opulent continuo et la section bien fournie des vents. Rien n’a été choisi au hasard, et je reste fasciné par la coloration des ritornelli et sinfonie choisie par Leonardo García Alarcón : chaque instrument à vent se voit dédier un personnage. Ecoutez la basse obstinée de l’air de Satiro avec ses piffari symbolisant l’esprit du carnaval.

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Cet opéra a indéniablement sa place aux côtés des grands de Cavalli ou Cesti. Le format luxueux en forme de livre n’est là que pour rendre justice à ce projet réfléchi, mûri, et exceptionnel qui montre combien la musique ancienne n’est pas qu’une affaire de redites et de crossover. Le livre se compose de textes éclairés de Jérôme Lejeune, du musicologue Philippe Beaussant et d’Olivia Wahnon de Oliveira afin de permettre une meilleure compréhension de l’oeuvre et du contexte. Le tout entrecoupé de reproductions des scènes de danses et costumes du Ballet du monde, ballet qui a fourni les intermèdes dansés du drame mythologie via l’édition du librettiste Ascianio Amaletto.

En conclusion, il me reste en tête deux images qui, à mon sens, résume et éclaire cet enregistrement. La première est le travail passionné et sans relâche de Leonardo García Alarcón qui, au lieu de rejoindre sur le temps de midi les autres musiciens, restait dans la salle philharmonique à travailler ou dans les loges au piano, un sandwich en guise de repas. On ne peut qu’être frappé par la consistance des sonorités, la variété et le dynamisme de l’ensemble instrumental, et l’emploi des forces à disposition pour rendre plus que jamais vivant le tableau musical.

La deuxième découle de la première. Ecoutez l’emploi des clochettes dans la Sinfonia d’introduction de l’acte III précédant le Vaghe chiome dorate de Circé et pensez à Céline Scheen, émue aux larmes par tant de beauté, m’ayant confié cette pensée à elle-même juste avant de chanter : « Mon dieu, Céline, tu ne peux pas chanter après ça »…

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Gioseffo Zamponi : Ulisse all’isola di Circe, 1650. Première mondiale.

Furio Zanasi, Céline Scheen, Dominique Visse, Mariana Flores, Fernando Guimarães, Sergio Foresti, Fabian Schofrin , Zachary Wilder, Matteo Bellotto, …

Clematis, Cappella Mediterranea, Chœur de Chambre de Namur. Léonardo Garcia Alarcon, direction.

2014 Ricercar (RIC 342). Enregistré à Liège, salle Philharmonque, en février 2012


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1 réactions à cet article    


  • Richard Schneider Richard Schneider 25 mars 2014 17:46

    Très bon article. Grâce à la vidéo, on découvre un opéra très intéressant.

    Bravo l’auteur.

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