L’impudique écrit
Dans le bruit du silence
Un collègue dont j’avais apprécié le premier roman, à la construction si particulière, m’a envoyé son second opuscule, sans doute pour que je lui offre un billet à ma façon. J’ai longuement hésité à me lancer dans cette aventure, non pas que je ne sache quoi en penser mais plus étrangement parce que mes pensées vont pérégriner à la marge de son ouvrage.
Le roman peut-il être un jour intime et forcément impudique ? Quelle place prend alors le lecteur confronté bien malgré lui à la posture du voyeur ? J’avoue plus d’une fois m’être senti mal à l’aise dans cette histoire qui finalement n’en est pas une à moins que ce ne soit l’éternel et pathétique cheminement des couples qui se déchirent.
La déchirure n’en finit pas de s’accentuer même si parfois, des réminiscences de consommations charnelles viennent raviver une flamme, une plaie, des regrets et forcément des tourments. A-t-on le droit ainsi de livrer en pâture aux inconnus ces moments si intimes, si secrets ? Que peut penser l’autre moitié de ce couple en perdition de se retrouver ainsi couchée sur une page qui semble ne jamais rien cacher ?
Où est le roman, où est le récit ? Si vérité et fiction s’entremêlent, comment le lecteur parvient-il à distinguer le vrai du faux, le phantasme du réel, le règlement de compte de la douce nostalgie ? C’est troublant au début jusqu’à ce que s’installe le malaise, le sentiment de ne pas être là où la décence le permettrait.
Combien de fois j’ai voulu me retirer de ce tête à tête en l’absence d’un des deux protagonistes avant de replonger malgré moi dans cette confession publique qui est plus certainement une incroyable exhibition des sentiments et des pulsions ? J’étais pris au piège de ces rets diaboliques tout autant que d’une construction si foutraque et je m’interrogeais sans cesse sur la volonté cachée du metteur en mots.
Est-ce cela faire littérature que de jouer des sens et des constructions, des situations et des digressions, des impasses et des fausses pistes ? Plus je lisais plus je me questionnais sur l’implicite et l’explicite tout autant que sur la clarté narrative et la permission accordée ou repoussée faite au lecteur de tout comprendre.
Un roman, est-ce une thérapie au seul usage de son auteur ou bien une invitation à un voyage en commun où chaque partie trouve un attrait ou bien un petit plaisir ? Il est évident que mon ami vide son sac, sans aucune retenue, sans aucun tabou même, et en cela je lui reconnais un courage sans limite mais que fait-il de son lecteur qui se perd dans les arcanes d’une pensée en permanente construction ?
Son roman ou bien devrais-je dire son essai, n’est certes pas le produit final, abouti, bouclé et estampillé grand public. C’est tout au contraire, l’ébauche de la trame, le brouillon des possibles, les traces évanescentes d’une écriture en devenir qui sans cesse se refuse à son auteur même. Les aller et retour permanents entre l’auteur et ce qu’on peut qualifier de correcteur imaginaire sont à ce titre d’une incroyable sinuosité intellectuelle.
Ce n’est donc pas un roman mais plus certainement l’éventualité d’un plan. Nous entrons ainsi dans les secrets de cette élaboration complexe qui conduit celui qui écrit à structurer ce qui n’est au départ qu’une vague idée, un mince fil qu’il convient de mener quelque part. Mais cette fois, le chemin est si étrange que la destination n’est sans doute pas connue de celui qui tient le clavier lors de ses interminables nuits.
J’ai le sentiment de n’être pas invité à cette longue succession d’insomnies. Il convient pourtant qu’une présence supplée le départ de celle qui ne cesse de hanter cet ouvrage. Le roman est ici un domaine où l’absente est reine tout autant que démon. Le lecteur s’interroge, il dérange tout autant qu’il s’interpose, il permet les ultimes confrontations sans jamais saisir la nature même de cette histoire.
On ne peut sortir indemne d’un tel livre. Il pose bien plus de questions qu’il n’apporte de véritables satisfactions de lecture. Il vous contraint à vous immiscer à la fois dans la mort d’un couple tout autant que dans la naissance d’un écrit qui n’est encore qu’à l’état de fœtus. Est-ce un enfantement qui ne se fera jamais ?
Je reste perplexe tout autant que profondément troublé par cette lecture. Mes questions demeurent innombrables, mes rejets tout aussi nombreux que les moments d’incompréhension devant ce qui était écrit ou confessé. Je referme cette chose que je ne saurais nommer avec le désir profond de communiquer les abysses de réflexion dans lequel m’a poussé mon camarade. Je crains qu’il m’en veuille à moins que ce personnage soit assez diabolique pour atteindre ici, son dessein secret et qu’il s’agisse ici d’une construction plastique comme ce maître sait les réaliser.
Briquement sien.
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