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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La température de l’Amérique

La température de l’Amérique

Cornwell_signe_suspect L’enquête 2004 de Kay Scarpetta, Trace (traduite en français au Livre de Poche sous le titre Signe suspect), donne la température récente de l’Amérique. Son auteur, Patricia Cornwell, apparaît comme un sismographe de la psychologie du pays. Ce qui l’explique ? Sa popularité d’abord, elle est un auteur à succès, désormais « établie » dans le paysage. Sa réussite personnelle ensuite, elle a fondé sa propre société de production de best-sellers, Cornwell Enterprise Inc. qui documente, élabore, négocie et s’occupe des droits dérivés des livres que l’auteur continue seul à écrire, parfait chef d’orchestre comme se rêvent les chefs d’entreprise. Son caractère enfin, décidé, accrocheur, professionnel, si « américain » ; il suffit de comparer la photo de Patricia en quatrième de couverture, blonde, les cheveux courts, les yeux bleu gris, et le portrait qu’elle fait régulièrement de Kay Scarpetta (« petite chaussure » en italien), pour s’apercevoir que le médecin-légiste-avocat-expert-général est le double idéalisé de l’auteur.

Kay Scarpetta, c’est l’Amérique telle qu’elle se veut : experte mais humaine, plongée dans la jungle des questions personnelles mais s’en débrouillant par la communication. Le lecteur peut noter, dans ce dernier roman surtout, cette importance de la parole. Est-elle nouvelle ? Est-elle apparue comme une nouvelle évidence après les attentats du 11-Septembre, dont nous avons vu, dans une précédente note, combien ils avaient marqué le « sismographe Cornwell » ? Toujours est-il que la parole aujourd’hui des « gens sains », chevronnés et sensibles à la fois, comme le veut Cornwell, s’oppose absolument à l’égoïsme pathologique des deux extrêmes de la société des Etats-Unis que sont, pour l’auteur, la femme très riche ou l’homme très dominateur d’un côté, et les psychopathes enfermés dans leur paranoïa, solitaires par rigidité, de l’autre. Tous ces gens sont barricadés en eux-mêmes, narcissiques, manipulateurs, d’un égoïsme forcené. Henri (diminutif étrange d’Henrietta), Suze (diminutif étrange de Susanna) et la richissime divorcée voisine de Lucy sont des femmes ; la première est psychologiquement malade, la seconde une nymphomane frustrée qui ne pense qu’à son plaisir pervers, la troisième méfiante et délaissée, « moi-je » à l’extrême. Côté hommes, ce n’est guère mieux. Edgar Allan, crevette rousse élevée par une mère castratrice et réduit à incinérer les cadavres, développe une paranoïa sur une bouffée de formaldéhyde qui n’a pas arrangé ses poumons ; il est le psychopathe du thriller, rusé, « selfish », exilé de la société. Le père de la Gamine Assassinée est un médecin attoucheur qui fantasme sur les combinaisons de vol et les uniformes de l’armée, un tyran qui s’écroule, bien évidemment, devant une lesbienne formée au FBI, qui fait souvent « n’importe quoi » (comme conduire une Ferrari tout en ne voulant pas se faire repérer), mais qui a de la graine d’adulte dans la tête et est donc récupérable (il s’agit de Lucy, Mademoiselle Nièce). Marino est le pendant masculin de la nièce ; lui aussi fait « n’importe quoi », avalant bière sur bière (avant de se finir au Bourbon) avant d’aller « jouer » avec la mère de la victime. Le pendant de Scarpetta est le docteur Marcus, son remplaçant comme médecin-général, un incapable qui n’a jamais pratiqué d’autopsie, suffoquant au bruit d’une benne à ordures, perversement attaché à mouiller son prédécesseur pour raisons politiques. Le roman est construit ainsi à coups de caractères binaires, comme si la distinction du « bien » et du « mal » était à redéfinir.

L’idée de tout cela ? La corruption est au coeur de l’humain (idée bien protestante). On ne peut être sauvé que par son ouverture aux autres, la parole disant comment il est socialement requis de se conduire, mais aussi comment ces autres-là vous aimeront si vous répondez à leurs attentes en respectant leur liberté. L’Amérique cornwélienne est protestante (tout le monde ne sera pas sauvé) mais méritocratique (entraînez-vous, parlez, faites bien votre boulot et vous aurez une chance de vous en sortir) ; l’Amérique cornwélienne se cherche un nouveau « code ». C’est le sens des échecs du Dr Marcus dans les anciens services de Kay : un chef indifférent et plus préoccupé de sa politique que de son équipe ne peut avoir auprès de lui que des professionnels démotivés qui parlent dans le désert. L’analyseur Eise est de ceux-là, aussi écouté que l’agent Haynes du FBI qui a envoyé note sur note à propos du comportement suspect de Mohammed Atta avant le 11-Septembre. C’est le sens de l’échec de Lucy qui fait passer sa sensualité avant son professionnalisme avec « Henri », star ratée devenue policier peu sûre avant d’être embauchée (pour le lit ?). A l’inverse, Kay Scarpetta, Benton, Rudy, sont des gens « sains » (i.e. « américains ») qui laissent de côté leurs problèmes personnels (qui existent bel et bien) pour parler, agir selon un code moral et fédérer autour d’eux des gens qui vont « bien » travailler (i.e. efficacement).

L’Amérique de Patricia Cornwell se remet lentement du traumatisme du 11-Septembre. Après avoir déserté l’administration, incapable, et mis le cap entièrement sur le privé pour régler tous les problèmes, elle revient avec circonspection voir comment les bureaucrates s’en sont tirés. Le constat est évident : mal ! Mais le nouveau gouverneur de Virginie est une femme ; cinq ans ont passé depuis que Kay Scarpetta a été remerciée par le précédent gouverneur ; son service de médecine légale, jadis exemplaire, part aujourd’hui à vau-l’eau. Va-t-elle revenir ? « Non, non », jure-t-elle à Marino ; mais la rumeur court. Dans les thrillers suivants, peut-être se laissera-t-elle convaincre ? Cela prouverait que l’Amérique « normale » renaît, que le sens de l’Etat revient plutôt que l’égoïsme, même « pro », du seul privé. Qui sait ?


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2 réactions à cet article    


  • naim (---.---.95.187) 4 avril 2006 13:04

    je cherche des nouvelle entrepise pour y investir ou pour une creation.


    • Olivier (---.---.137.122) 4 avril 2006 20:50

      Intéressant article qui détend, à défaut de chauffer !

      Merci

      Olivier

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Argoul

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