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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La Tragédie de la Naissance

La Tragédie de la Naissance

Les rencontres d’Averroès qui se sont tenues à Marseille en novembre 2009 avaient pour thème « la Tragédie ».
Le thème d’une des tables rondes était « naissance de la tragédie », et à vite basculé en « tragédie de la naissance ».
 
C’est donc une invitation à la pratique de l’oxymore que nous a proposé France Culture en diffusant le 2 aout 2010 sur son antenne, l’une des tables rondes des 27 et 28 novembre 2009, à l’occasion des Rencontres d’Averroès.
Barbara Cassin, Vassilis Papavassiliou et Takis Théodoropoulos en étaient les animateurs. lien
Averroès était un philosophe arabo-andalou qui a vécu il y a un peu plus de dix siècles, et qui devrait se féliciter de ces tables rondes, puisqu’elles permettent une rencontre ouverte entre philosophes et public. lien
Comme le dit Thierry Fabre, concepteur des rencontres, «  le mur de Berlin est tombé il y a 20 ans. On nous annonçait l’avènement d’un nouvel ordre international. Force est de constater qu’il n’est pas advenu  ». lien
Voilà bien la tragédie.
(Sur ce lien on peut télécharger l’intégralité de la table ronde).
Nous ne sommes donc pas dans le domaine théâtral, mais dans la réalité, et au fil du débat, les intervenants ont développé leurs arguments : notre naissance serait donc une tragédie.
L’expérience de la vie ne servirait à rien, puisque au fil des siècles, voire des millénaires, nous n’avons pas retenu la moindre leçon, nous contentant d’apprendre l’histoire sur les bancs d’une école républicaine, (ou pas), sans en comprendre la portée.
Nous savons quelles erreurs il ne faut pas commettre, ce qui ne nous empêche pas pour autant d’en commettre.
Il nous faudrait donc nous tourner délibérément vers la comédie tant la frontière est fragile entre la tragédie et la comédie.
Comme le dit Takis Théodoropoulos : «  même les grandes tragédies sont teintées d’un aspect parodique et frôlent parfois la comédie  ».
Avec la comédie, nous pouvons manier l’humour en décrétant : « je cesse d’espérer », et son corolaire « je commence à vivre  ».
L’espoir nous est donc interdit si nous voulons commencer à vivre.
Si nous voulons donc vivre, il nous faut accepter que « la vie n’est qu’une comédie », et que les erreurs sont toujours recommencées.
Il nous faut décider d’être « superficiels en profondeur ». Nouvel oxymore.
Freud en a posé la première pierre en décidant de banaliser le tragique, quitte à en faire une thérapie au grand dam de Michel Onfray.
« Le vocabulaire tragique fait émerger des oxymores, des contradictions auxquelles nous sommes soumis et que nous tentons de déplacer. La tragédie est toujours à la croisée des chemins. Dans l’indécidable…et à un moment, çà bascule ».
Pour Sophocle, et son « théâtre de la vie » : l’homme passe partout, et pourtant il ne passe pas.
L’homme s’insinue dans tous les domaines de la pensée, de la création, et pourtant çà ne lui sert à rien.
Il ne fait que passer, en voyageur insouciant, en touriste désœuvré, exhibant son appareil photo numérique, et son bronzage à toute épreuve.
Il ne reste pas. vidéo
Il n’est pas.
Puisque l’homme n’est jamais sur.
Comme le dit Vassilis Papavassiliou : « dans la tragédie, l’homme est une intermittence fragile entre la raison et le bestial. L’humanité n’est jamais donnée  ».
La tentation est donc grande de se réfugier en Dieu.
C’est aussi un nouvel oxymore : « je crois en Dieu parce que c’est absurde  ».
Les intervenants ont aussi évoqué la tragédie dans le théâtre.
Les spectateurs que nous sommes sont aussi les comédiens d’une réalité que nous sommes incapables de vivre, mais juste de rêver, d’observer.
Mais ce théâtre n’est pas l’arène où un malheureux taureau, affaibli à force d’être charcuté, va être assassiné, au nom d’une imbécile tradition.
Il ne s’inscrit pas non plus dans le cercle d’un cirque ou les gladiateurs d’un autre temps sont remplacés par des dompteurs et autres jongleurs.
Ce théâtre est en demi-cercle, nous faisant complices de l’acteur qui s’adresse à nous, nous prenant en otage d’un texte qu’il veut défendre.
Nous sommes son miroir dans cet hémicycle.
Mais il est aussi notre otage.
Il est à notre merci, et en se fragilisant, il devient notre porte parole.
Toujours cet oxymore.
Alors que l’arène nous fait captifs de ce que nous regardons.
Dans le cercle de l’arène ou du cirque, ne pouvons participer autrement que par l’applaudissement ou les sifflets, ravalés que nous sommes, au rang de spectateurs passifs.
Nous sommes des avatars devant un écran de télévision, piégés par la petite image tremblotante que les médias ont décidé de nous imposer afin d’occulter le peu qu’il nous reste de cerveau pour réfléchir.
Nous n’avons que la possibilité de nous lever et de partir, ou de prendre la télécommande afin de zapper cette « comédie ».
Nous avons seulement la possibilité d’écouter et de regarder.
Nous n’avons pas celle de participer.
Nous n’existons donc plus.
Le cercle serait donc l’image de l’imperfection, et le demi-cercle serait bien plus abouti.
Nouvel oxymore.
Ces contradictions qui émaillent notre vie devraient nous inciter à plus de prudence, plus d’intelligence, plus de sagesse, et pourtant, nous continuons, comme si de rien n’était.
Nous mettons à la tête de l’état celui qui « parle le mieux », celui qui sait convaincre, celui qui sait séduire, et nous écartons du pouvoir le sage.
Alors que nous sommes tous issus de la même race, la race noire, au nom d’une identité nationale, et à la moindre bavure d’un membre d’une communauté, nous acceptons de mettre au ban de la société toute cette communauté.
Nous avons forgé tous les éléments qui permettraient notre propre disparition.
Un exemple au hasard :
La disparition programmée des haies a emporté dans les fleuves l’humus fertile, programmant la disparition des oiseaux, et la prolifération des insectes ravageurs.
Notre réponse a été la dispersion d’insecticides et d’engrais chimiques, qui finiront dans nos estomacs avec les conséquences que nous connaissons.
Nous avons accumulé assez de force nucléaire pour faire disparaitre toute vie sur la surface du globe.
Lancés à grande vitesse sur l’autoroute de ce que nous appelons progrès, nous avons encore le pied enfoncé sur l’accélérateur, et tout au bout il y a un mur.
Le mot de la fin revient à Papavassiliou qui cite Aristophane : « la maison de chacun a battu la Cité  » puisque l’égoïsme triomphant de l’individu met en échec le projet collectif prenant comme preuve la dimension tragico-comique des gesticulations de nos décideurs politiques.
Sophocle avait raison :
« La naissance est bien une tragédie ».
Car comme disait mon vieil ami africain :
« Quand on ne sait pas d’où on vient, on ne sait pas où on va ».

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20 réactions à cet article    


  • Gabriel Gabriel 5 août 2010 10:45

    Bonjour Olivier,

    Le plus beau jour de ma vie fut celui de la naissance de mon fils alors que le pire fut celui de ma naissance, comment expliquer ce paradoxe ? Je crois qu’il faut rire de la vie car entre nous, elle c’est bien foutu de nous en nous mettons au monde car dés cet instant, elle nous a condamné à mort. Alors vive la dérision car c’est un peu l’art de remettre la vie sur ses pieds.


    • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 11:16

      Gabriel,
      çà a été aussi ma réflexion après avoir écouté longuement cette magnifique table ronde d’Averroès.
      vive la dérision.
       smiley
      et merci de ton commentaire.


    • jako jako 5 août 2010 11:32

      Merci Olivier une excellente reflexion.
      Je n’arrive plus du tout à comprendre pourquoi l’homme a tout écrit , tout vécu et continue dans les mêmes travers.


      • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 13:11

        Jako,
        c’est peut-être dans sa nature.
        il sait, ou présage, ce qu’il est, et voudrait dépasser cette conditions, mais sans y croire vraiment,
        alors il fait du « sur-place »
        un manque de foi, peut être ?
        foi, dans ce cadre là n’étant pas, bien sur, du domaine religieux.
         smiley


      • herbe herbe 5 août 2010 11:52

        Pour alimenter le recueil de pensées profondes , je viens de découvrir celle ci :

        " Vous ne pouvez pas creuser un trou ailleurs si vous continuez à le creuser »

        ça vient de Edward De Bono qui a développé le concept de pensée latérale :

        http://www.point-fort.com/index.php?2008/10/06/285-la-pensee-laterale-selon-edward-de-bono


        • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 13:15

          herbe,
          oui, beau raccourci
          je ne connaissais pas cet « edward » aux pensées d’argent.
          il rejoint (sans le savoir ?) ce concept d’une démocratie horizontale.
          il y est question d’abandonner la « structure pyramidale » qui veut qu’au sommet de la pyramide, le chef décide, et les autres exécutent.
          il s’agit donc de la remplacer par une structure horizontale.
          c’est la base, à l’ultime condition qu’elle en ait les compétences, ou plutot la volonté, d’une autre démocratie.

          merci de ton commentaire, et du lien.
          essentiel, ce lien.
           smiley


        • herbe herbe 5 août 2010 13:48

          Salut Olivier,

          Bien vu cette connexion à l’impératif d’autre chose que la pyramide.

          Cordialement


        • L'enfoiré L’enfoiré 5 août 2010 11:55

          Salut Olivier,
           J’ai une chanson pour cela de mon maître à penser...
           Tragédie ?
           Non évolution.
           smiley


          • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 13:18

            Guy,
            le grand Jacques n’est jamais décevant,
            le contraire donc d’un petit Nicolas.
            à mon tour de te proposer une autres chanson :
            il faut choisir le titre 1 sur ce lien :
            http://olivier-cabanel.fr/Disq/Rever/Re%CC%82ver%206/
            merci de ton commentaire.
             smiley


          • L'enfoiré L’enfoiré 5 août 2010 15:53

            Olivier,
             Je tiens à te remercier pour cet ensemble de chansons que j’ai beaucoup aimé.
             J’ai tout écouté avec beaucoup d’intérêt.
             Le N°5 est plus en accord avec ton billet.
             L’étude du piano et de la musique est une des choses que je regrette de ne pas y avoir consacré du temps.
             smiley


          • LE CHAT LE CHAT 5 août 2010 13:16

            La naissance est une tragédie , je suis venu au monde sans cuillère en or dans la bouche ni rollex au poignet , j’étais déjà un raté !  smiley


            • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 13:20

              Le Chat,
              je vois que tu enfourches déjà le registre de la dérision,
              car chacun sait, (ou en tout cas moi) que tu n’es évidemment pas le raté décrit.
              il s’agit même d’un nouvel oxymore (décidément)
              la richesse du coeur serait essentielle.
               smiley


            • PhilVite PhilVite 5 août 2010 14:17

              Bonjour Olivier,
              Juste pour vous rappeler le magnifique « De l’inconvénient d’être né » de Cioran. (Lecture exclusivement réservée aux non-suicidaires !)


              • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 16:38

                PhilVite,
                merci d’avoir rappelé ce texte magnifique,
                pour les curieux (en forme) un lien avec des extraits :
                http://www.patoche.org/alone/aujourdhui/1999/06/inconvenient.html
                 smiley


              • Dominitille 5 août 2010 15:14

                Bonjour Olivier,
                Certain milliardaire est né la même année que moi, pourquoi lui est milliardaire et pas moi ? mais en y allant par là, certaines personnes sont aussi nées la même année, et bien, je préfère ma vie que la leur.
                Comme quoi, tout ne serait que hasard malheureux ou heureux, selon que l’on soit du bon ou du mauvais côté de la barrière.
                Vendredi, je rejouerai au loto pour les riches et je verrai bien si encore le hasard se fiche de moi en ne me faisant gagner que 2,50E. Mais ce hasard ne serait-il pas le fait que je ne joue pas les bons numéros, en ce cas je suis la seule responsable de ne pas gagner.
                J’ai au poignet une montre Cartier, mais gagnée dans une tombola en 1989. Comme quoi, le hasard ne m’oublie pas.
                Mon commentaire tourne exclusivement autour de l’argent, il n’y a pas de hasard là-dedans car j’aime les billets de banque ;
                Bonne journée.


                • olivier cabanel olivier cabanel 5 août 2010 16:40

                  Dominitille,
                  juste une consolation :
                  dormir sur un matelas de billets reste peu confortable,
                  rien ne vaut un bon matelas tout court.
                   smiley


                • Clojea CLOJEA 5 août 2010 15:30

                  Salut Olivier : Merci de ton article. Pour reprendre le commentaire de Jako plus haut, « l’homme a tout écrit, tout vu, tout vécu.... » Et bien non, justement. Ce qui manque à l’homme est une science du mental qui fonctionne, qui lui fasse comprendre qui il est, et de fait il sera plus à même de comprendre les autres. Aucun progrès ou peu ou occulté dans ce domaine depuis toujours, et c’est dommage car c’est là que se trouve la clé.
                   Le bouddhisme et quelques nouveaux mouvements religieux ont fait des avancés dans ce domaine, mais je me risque sur un terrain ou bien sur les critiques peuvent aller bon train, mais comme dirait l’autre, j’en ai vu d’autre.
                  C’est là qu’est la clé. C’est là ou un jour, toutes les tensions peuvent enfin disparaître.
                  Je suis toujours fasciné par la « philosophie » de beaucoups de gens :
                  « On ne vit qu’une fois, donc on amasse du blé, et on bosse comme des dingues, toujours pressé etc.... »
                  C’est déjà en soi débile d’opérer comme ça, car si on ne vivait qu’une fois, alors pourquoi se casser la tronche ??? Franchement ca tient pas debout. C’est toujours ce que j’ai pensé, mais apparemment on est pas nombreux à penser comme ça. C’est vrai quoi, si on ne vit qu’une fois, alors pourquoi s’emm.... la vie à bosser pour des salaires souvent de m.... et d’avoir une vie insipide ? Hein ? Intéressant. Le débat est lancé.

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