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La vie rêvée d’une ange

Le nouveau film de François Ozon, « Angel » exige la version originale : pour mieux goûter à cette palette de couleurs chatoyantes, romanesques et débordantes d’imagination qu’une femme délaye toute sa vie durant pour éprouver ses rêves.

Angel (Romola Garai, sublime) est une jeune femme qui s’ennuie un peu, au-dessus de l’épicerie de sa mère. Son père est mort, elle écrit. Elle veut devenir écrivain. Ou plutôt, elle sait qu’elle ne sera que ça : écrivain à succès. Alors elle écrit, jour et nuit, au mépris de l’école, au mépris des conseils, elle écrit, elle plonge dans sa réalité, la seule qui compte, la seule qui importe. La seule pour elle qui existe.

Son premier manuscrit terminé, elle l’envoie à plusieurs éditeurs, puis elle attend. Elle attend que son rêve devienne réalité, ou plutôt que la réalité s’efface devant son rêve. Tout se mélange déjà dans sa tête, elle angoisse, ne sort plus, n’attend plus que la lettre, qui arrive enfin, pour lui signifier qu’elle est en train de naître à nouveau. De renaître. Un éditeur accepte de la publier, à condition qu’elle modifie quelques petits détails : on n’ouvre pas, par exemple, une bouteille de champagne avec un tire bouchon. Mais Angel ne veut rien savoir, elle claque la porte, ne veut changer aucune virgule de son manuscrit. C’est l’éditeur qui la rattrapera, comme la réalité rattrape rarement la fiction. Il l’invite à dîner, elle accepte, boit du vin comme d’autres de la bière, n’écoute pas le récital de piano de la femme fardée de l’éditeur (fabuleuse Rampling) et avoue d’emblée, un peu pompette, qu’elle ne sait pas vraiment si ce qu’elle dit est vrai. Qui est-elle ? D’où vient-elle ?

Détails. L’important est ailleurs : succès qui s’enchaînent, renommée, richesse, gloire. Angel s’emporte, s’envole, s’échappe définitivement de son existence propre pour épouser son ombre, ou son idéal. Ses illusions. Elle ne vit pas ce qu’elle est, elle n’est pas ce qu’elle vit. Elle achète une vieille et imposante bâtisse appelée « Paradise », bâtisse dans laquelle elle avait refusé de mettre les pieds, avant le succès, avant son accomplissement. Angel est bien un ange, au fil du temps : plus le temps se déroule, moins elle existe. En fait elle n’existe jamais vraiment. Elle devient son roman, tous ses romans, infinité de propositions, d’hypothèses, d’amours déçues, d’envolées romanesques. Du toc. De la couleur surtout. De la couleur partout.

Elle tombe amoureuse et se marie avec un peintre raté qui ignore la couleur, lui, qui ne peint que du gris, du violet, du sombre. Le portrait qu’il réalise d’elle la représente avec le visage d’une autre, ou le sien, une réalité qu’elle ignore, jusque-là avec superbe. Cette réalité qui continue de s’échapper, comme des cuves d’un pétrolier éventré, mais qui s’impose soudain, brutale, et inarrêtable, froide et irréversible : la guerre surgit pour renverser l’ordre du monde rococo et kitsch d’Angel. La guerre et ses morts, ses blessés qui ne reviennent pas plus, ses couleurs qui se brouillent. Angel la nie quand même. S’imagine plus forte que le cours simple de l’humanité. Elle écrit sur la paix, perd ses lecteurs, et ne comprend pas. Son homme reviendra, une jambe en moins, plus sombre mais moins peintre qu’auparavant.

Jusqu’au bout Angel reste ancrée dans ses chimères, le masque du rire et de la légèreté comme vissé à l’âme, coûte que coûte. L’armure, pourtant, cède en certains points. L’écriture n’y est plus, le succès est vaincu, l’argent se tarit, la solitude triomphe. Trop de bouleversement, trop de changement. Plus assez de couleurs.

François Ozon change encore d’univers dans ce film émouvant, juste et très original. Original, oui, un qualificatif qu’on n’emploie que peu dans le cinéma d’aujourd’hui. Peu de réalisateurs peuvent se targuer de présenter une œuvre aussi disparate, hétéroclite et variée que celle d’Ozon. Pas de quoi à chaque bobine crier au génie, mais suffisamment de talent, suffisamment de savoir-faire, parfois par petites touches, parfois sur toute la durée du film, pour alpaguer le spectateur.

Angel n’est ni un mélo, ni bien sûr un film sur les affres de la création. Même pas un portrait de femme. Juste la vie rêvée d’un ange. D’une ange, en fait, tant ce cinéma d’Ozon donne aux anges un genre.


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1 réactions à cet article    


  • (---.---.183.200) 16 mars 2007 11:50

    A coté de la VO c’est sûr, çà vaut pas grand chose

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