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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Le cercle des causeurs disparus

Le cercle des causeurs disparus

Comment vendre un livre quand on ne s'appelle pas Valérie T ?

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Table ronde

Ce que je redoutais tant, j'ai fini par l'expérimenter et j'avoue que ce que j'ai vécu ne m'incite guère à changer de point de vue. Un petit salon du livre, de gentils auteurs en rang d'oignons, attendant sans doute de sécher sur pied et qui font le pied de grue pour saisir au bond, de rares, bien trop rares visiteurs … Le décor est planté, l'atmosphère se fait pesante et le pauvre écrivaillon se morfond.

La dédicace pour unique offrande, une promesse qui devrait soulever des montagnes et voir affluer la foule en délire. Belle illusion que voilà ! Le bon peuple n'adore que les idoles, au-dessus de qui le succès a étendu son aile bienfaitrice. Il faut avoir été vu à la télévision pour faire la tête de gondole et provoquer la ruée des gogos.

Nous ne sommes rien qui vaille et personne n'espère s'approcher de nous afin de pouvoir s'en vanter plus tard dans les soirées mondaines. C'est l'ennui qui est notre compagne ; le crayon à la main reste inoccupé, le chaland passe sans un regard pour celui qui, de sa chaise, espère secrètement sans rien oser dire.

Le livre, il me semble n'est pas un être inerte. Il est porteur de magie et de rêve, d'espoir et de folie. Ne pas lui donner la parole c'est le condamner à la dépression, à l'oubli ou bien pire encore, à l'indifférence. Il doit, par le truchement de son auteur, se raconter, se mettre en scène, se donner à comprendre, séduire et envoûter.

J'en étais à me dire tout cela quand, pour meubler l'ennui et le vide, quelques-uns d'entre nous se livrèrent à une table ronde qui allait tourner en rond. Le risque est si grand qu'il faudrait, par sage mesure de précaution, nommer autrement ce cercle vertueux des causeurs disparus. Le débat porta, sur le livre et sa nature, son exception supposée et ses difficultés avérées. Il fallait être poli pour rester attentif ; comme je ne le suis guère, mon esprit vagabonda vers des contrées intimes.

Quand les discoureurs eurent achevé le sujet et que se furent dispersés les rares auditeurs qui leur prêtaient une oreille lasse, je ne pus m'empêcher d'apporter mon grain de sel, une petite fleur de folie dans ce trop sage débat. Je fis le bonimenteur, celui qui dans les foires, va attirer le client, le convaincre , par ses mots, d'oser la dépense :

« Approchez, approchez ! Il y a autour de vous des livres et leurs auteurs. Ils sont le fruit d'une folle passion, d'un travail obscur qui, aujourd'hui, arrive en pleine lumière. Ils racontent des histoires qui vont vous prendre par le cœur, des aventures que vous pourrez partager. Il ne suffit pas de passer ici sans même regarder, prenez le temps d'écouter celui qui veut vous emporter dans son monde intérieur.

Le livre est une aventure à nulle autre pareille, fruit de l'envie du partage, du désir de la confession. Acceptez de rencontrer le loup avec celui-ci, de découvrir l'Afrique avec cet autre, d'endurer au contraire, avec ce troisième, un hiver si froid, que les arbres se fendaient sur pied. Partez à la découverte de l'imaginaire de ce pays, vivez les péripéties folles de la Vouivre de Loire.

Le livre est l'enfant des auteurs. Réservez-lui le meilleur accueil , une place de choix dans votre foyer, mettez-le à l'honneur, faites-le connaître à vos proches, parlez-en autour de vous. Il ne peut rester oublié sur une étagère ou dans un placard. Il lui faut vivre sa vie grâce à vous, chers lecteurs de passage. Vous avez ici lourde et belle responsabilité et ces gens, assis en silence derrière leur table et leurs ouvrages, n'osent vous tirer par la manche pour vous prendre par le cœur.

Je le fais à leur place car je ne suis qu'un bonimenteur. Un bateleur de foire qui n'hésite pas à vous faire l'article. C'est sans doute par timidité ou pudeur qu'ils restent trop taiseux. Allez à leur rencontre, demandez-leur une petite lecture, un court récit, une promesse de plaisir. Sortez-les de leur mutisme puisqu'ils sont si timides qu'ils n'osent venir à vous. Le livre vaut bien quelques sacrifices… »

Voilà à peu près ce que j'ai dit en jouant de la voix et du corps à la manière des acteurs. Les quelques personnes présentes sont sorties de leur torpeur. Elles m'ont écouté ; il y a eu alors ce silence qui permet de capter les auditeurs. J'espérais qu'ils se précipiteraient vers ceux qui continuaient d'attendre, désespérément, derrière leur présentoir mais c'est à moi que vinrent quelques-uns pour acheter mes Bonimenteries du Girouet.

Décidément, il n'est pas simple de partager et, en dépit des bonnes intentions, ce sont toujours les beaux parleurs qui tirent les marrons du feu. Je continue de penser que la formule actuelle n'est pas fameuse, en effet, un auteur silencieux, n'engage pas le lecteur éventuel à le lire ; il faut qu'il se donne les moyens de le prendre par le cœur . Si l'on m'invite en ces manifestations convenues, il faudra m'accepter ainsi ou ne pas me demander de venir. Le livre est une fête ; les grises mines et les gens trop sérieux n'ont que faire dans mon univers déjanté et bavard.

Livresquement leur.


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10 réactions à cet article    


  • chapoutier 24 septembre 2014 09:10

    la difficulté de se faire édité n’est pas nouvelle, cela date de Gutenberg, beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, et malheureusement ce n’est pas lié au talent de l’écrivain ( rien que BHL suffit à illustré ce fait).

    heureusement qu’il reste la possibilité d’éditer à compte d’auteur.

     


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 septembre 2014 15:07

      chapoutier


      être édité n’est qu’une étape
      La distribution est un labyrinthe

    • Daniel Roux Daniel Roux 24 septembre 2014 10:11

      N’y a t-il pas quiproquo sur le but poursuivi par l’écrivain ? A t-il vraiment besoin de lecteurs ?

      Un écrivain est poussé par un impératif, presque malgré lui, vers l’écriture.Que ce soit Marivaux ou Jules Vernes par exemple, les deux étaient promis à une carrière d’avocat qu’il n’ont jamais connue. L’écriture les possédait, elle les a emportés. Ils ont cherché leur style, se sont égarés puis trouvés, exposés leurs œuvres à la critique, ont souffert des critiques et des méchancetés de gens dont tout le monde a oublié le nom contrairement à eux. Les succès n’était certes acquis d’avance.

      Si vos écrits intéressent quelqu’un d’autre, des milliers d’autres voire des millions, tant pis pour vous, vous tomberez dans la « production littéraire », le bagne de l’écriture calibrée, du bouquin à rendre dans les temps à l’éditeur. Finies les heures de passion à chercher le bon mot, la bonne expression de l’âme, celle que Cyrano recopiait avec tant de talent sur le papier.

      Un écrivain n’est pas obligatoirement un causeur et l’auteur le montre bien. Il s’agit de 2 formes d’expressions différentes, aussi exigeantes l’une que l’autre, aussi passionnantes.

      Jean-Claude Carrière, par exemple, était à la fois un brillant écrivain et un brillant causeur.


      • C'est Nabum C’est Nabum 24 septembre 2014 15:08

        Daniel Roux


        Le lecteur est son corollaire

      • Paulo/chon 24 septembre 2014 11:28

        Bjr,
        L’image de marque littéraire tellement galvaudée, discounter par le ’livre de poche« pour un rattrapage culturel abordable financièrement, éradiquée par les inévitables maquereaux célestes qui ne s’adressent qu’au grand-nombre.
        Sauf votre respect, j’ai suivi ce matin un cours pour lequel la honte, ou du moins je l’espère, aurait envahie votre visage en regard de votre professionnalisme. Coluche avait déjà relevé le manque d’échantillonnage parfois absent dans un sketch d’anthologie.  
        Acceptez mes excuses rétrospectives car j’ai du troubler votre sommeil alors que j’empruntais au dernier millénaire la »levée de la Loire", alors tolérée ou autorisée d’ailleurs, je ne me souviens que des merveilleux bistrots et des quelques parking à contre-sens plutôt bienveillants sans climatisation autonome.
        Bien à vous.



        • C'est Nabum C’est Nabum 24 septembre 2014 18:36

          Hervépasgrav


          C’était un salon d’autreurs régionaux
          Les gens qui passaient (et ils étaioent très peu nombreux) savaient ce qu’ils venaient faire

          Je stigmatise l’attitude des auteurs, trop passifs à mon goüt
          La lecture doit être un palsir il faut l’éveiller

        • C'est Nabum C’est Nabum 24 septembre 2014 22:35

          Hervépasgrav


          Je n’ai pas compris celà ainsi 

        • Le421... Refuznik !! Le421 25 septembre 2014 08:27

          La lecture est une passion qui nécessite du temps et de l’intérêt.
          La culture actuelle du temps perdu qu’il faut absolument rattraper détruit les arts autres que ceux qui s’étalent sur un écran.
          Ajoutez un peu (beaucoup) de Facebook, Tweeter et une pincée de smartphone, la messe est dite.
          Je ne vois plus que des zombies errer autour de moi, marchant sans but, les deux pouces sautillant sur un écran miniature.
          J’ai malheureusement peur de vous ramener à une réalité.
          La rareté crée l’intérêt.
          Or, beaucoup de gens ont trouvé, grâce à de nouveaux moyens de communication, des façons autres que le livre pour exprimer leurs pensées.
          Il faut l’accepter.
          Toutefois, les grands artistes ont souvent été reconnus après leur mort...
          Il y a peut-être un Picasso qui peint près de chez vous et dont tout le monde ignore l’existence !!

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